Exploser la linéarité

EXPLOSER LA LINÉARITÉ

Après un GROS laïus, on reprend la série d’articles sur les liens entre jeu et narration. Dans cet épisode, oubliez tout ce que vous savez sur le temps et l’espace et plongez dans la quatrième dimension de l’interactivité !

(temps de lecture : 20 min)

Brickset, cc-by

LA SÉRIE :

1. Le jeu et la narration, c’est la même chose

2. Les briques narratives

3. Exploser la linéarité

4. Méta : je t’aime moi non plus

SOMMAIRE

Résumé

Introduction

1. Les scénarios non-linéaires à choix quantifiés

1.1. Le scénario en arborescence

1.2. Le donjon

1.3. L’improvisation à choix multiples

2. Les scénarios non-linéaires à choix illimités

2.1. Les options de personnalisation

2.2. Les bacs à sable ou les mondes ouverts

2.3. Les scénarios à agendas

2.4. Les scénarios interactionnels

2.5. Les mondes organiques

2.6. Le jeu de basse et l’importance de l’impro

2.7. Les scénarios malléables et compatibles avec l’impro

2.8. Laisser les joueuses créer l’intrigue

3. Dé-linéariser les médias linéaires

3.1 Les scénarios non-linéaires comme outil d’écriture

3.2. Laisser une part d’interprétation

3.3 Les récits déstructurés

3.4. Les récits à choix multiples

Conclusion

Les trois idées-clés de l’article

RÉSUMÉ

Les romans, le cinéma et le théâtre nous ont habitué à une fiction linéaire, immuable quel que soit le public. Mais les jeux de rôles sur tout support permettent en revanche de développer, en plus de ces fictions linéaires, des fictions non-linéaires, qui varient donc en fonction du public, à chaque performance.

On distingue deux catégories d’ouverture dans les scénarios non-linéaires. Tout d’abord, les scénarios non-linéaires à choix quantifiés se « contentent » de multiplier les embranchements narratifs ou l’ordre d’exploration de la fiction, mais restent globalement sur un éventail de possibilité fini. Il existe des formes d’improvisation inspirée de ces structures.

De l’autre côté, les scénarios non-linéaires à choix illimités tentent de tirer tout le parti de la capacité adaptative d’une fiction rôliste. Ils peuvent proposer aux joueuses de simples options de personnalisation ou aller jusqu’à développer des petits mondes cohérents où les initiatives des joueuses entrent en interaction avec les agendas des figurants ou les lois physiques ou métaphysiques de l’univers de jeu, pour produire une fiction où tout semble possible mais inféodé à une certaine forme de cohérence. Il existe également des formes d’improvisation inspirées de ces structures, et elles sont d’ailleurs la forme ultime de non-linéarité.

L’émergence des fictions interactives n’a pas laissé indemne le monde des médias linéaires. Ceux-ci s’en inspirent pour proposer des fictions qui transpirent l’agentivité des personnages, utiliser des structures rôlistes pour bâtir leur intrigue, déstructurer la narration, ou encore devenir eux-mêmes des formes innovantes de fictions interactives.

La tension entre linéarité et non-linéarité est donc un phénomène qu’il est crucial de comprendre quand on veut entrer de plain-pied dans le monde des jeux et des histoires.

INTRODUCTION

La linéarité est la caractéristique des médias de fiction non interactifs : roman, théâtre, cinéma. Dans ces médias, l’histoire est forcément linéaire dans le sens où on peut visionner l’œuvre autant de fois qu’on le veut, l’histoire sera toujours la même. Elle peut se dérouler dans une chronologie et une spatialité (et même une causalité) éclatée, ce n’en est pas moins la même histoire immuable.

Du moins dans la définition de linéarité choisie pour cet article (puisque des critiques qualifieront certaines histoires de ces médias comme non-linéaires du fait d’un récit déstructuré).

Structurellement, il est quasiment impossible de produire une histoire linéaire dans des médias tels que le jeu de rôle, le jeu vidéo, le jeu de plateau, le visual novel ou le livre dont vous êtes le héros, parce que le public est en capacité de faire des choix (au moins quelques uns) qui vont infléchir l’histoire.

Pour autant, un certain nombre d’œuvres dans ces médias choisissent de s’approcher d’un récit linéaire pour des raisons qui peuvent être bonnes (proposer une direction artistique forte, limiter le nombre de choix pour renforcer leur impact) ou mauvaises (manque d’imagination, manque de moyens, faible culture de l’interactivité). On parle alors de scénarios dirigistes ou tout simplement de scénarios linéaires. Ces scénarios, à grand renfort de cinématiques et de scènes imposées (allant jusqu’à piloter les comportements des protagonistes ou à mentir sur les résultats des dés), limitent le nombre de choix à quelques choix cruciaux voire à de simples choix cosmétiques, proposant ainsi un récit presque aussi immuable que celui d’un roman.

Si les scénarios dirigistes ne sont pas un mal en soi, il est cependant proposé une alternative depuis l’enfance du jeu de rôle : le scénario non-linéaire. Plutôt que de contrôler le nombre de choix des protagonistes, le scénario non-linéaire cherche à maximiser et encourager la pluralité des choix. L’interactivité devient une valeur supérieure à celle de récit, considérant soit que la qualité de l’expérience ludonarrative réside dans la liberté d’action. Nous allons ici parcourir des structures de deux sortes : celles qui augmentent le nombre de choix tout en en présentant une quantité finie (typiquement les livres dont vous êtes le héros) et celles qui cherchent à proposer et gérer la possibilité d’avoir une infinité de choix.

Pour aller plus loin :

[Podcast + Article] D1000 & D100, L’interactivité est-elle l’ennemie de la narration ?

[Podcast] Outsider, Game Design jeu de rôle : les bacs à sable

[Article] Frédéric Sintes, Le Jdr est potentialité, sur Limbic Systems

[Article] Frédéric Sintes, Question de choix, sur Limbic Systems

[Article] Greg Costikyan, Les jeux, les histoires, et pourquoi briser le collier de perles, sur PTGTPB.fr

[Podcast] Podcast Science : Narration non linéaire, avec Fibre Tigre

Nous verrons enfin que cette culture de l’interactivité peut être réinvestie dans les médias linéaires, soit pour concevoir des histoires de qualité en explorant des scénarios non-linéaires comme outil d’écriture, soit en concevant des récits déstructurés, soit en proposant des choix multiples.

1. Les scénarios non-linéaires à choix quantifiés

L’approche, sinon la plus simple, du moins la plus contrôlée, pour exploser la linéarité est d’introduire un nombre limité de choix. Ceci permet de maintenir une direction artistique forte dans le sens où si tous les choix possibles sont prévus, on peut designer une histoire et des enjeux intéressants pour chaque embranchement. Cette approche est cependant coûteuse en temps de préparation puisqu’il s’agit d’envisager et de rédiger tous les possibles. La liberté d’action des personnages a un prix : le scénario ne sera pas joué dans son intégralité, une bonne partie – voire la majeure partie – du contenu sera sacrifié selon les choix ou la fortune des personnages. Il y a d’ailleurs une déontologie à choisir quand on fait un scénario en arborescence :

+ privilégier la liberté d’action, et donc la multiplicité des embranchements, au risque de donner l’impression que tous les choix se valent et qu’aucun n’est vraiment punitif ;

+ limiter la liberté d’action avec une structure dite en fuseau (les possibles se multiplient en milieu de scénario puis convergent en fin de scénario vers un nombre limité de fins possible) pour donner l’impression d’une vraie histoire et faciliter la comparaison des expériences

Pour aller plus loin :

Christophe Dang Ngoc Chan – Les livres-jeux, un engagement à créativité limitée ?, conférence au Colloque « Jeux de rôles : engagements et résistances », 2017

Vvirginie, cc-by-sa

1.1. Le scénario en arborescence

La façon la plus intuitive de gérer les choix dans un scénario est de le rédiger sous forme d’un arbre des possibles, comme on en voit dans les livres dont vous êtes le héros.

La structure du scénario en matrice propose d’aller un peu plus loin. Elle combine 5 scènes principales connectées à 4 scènes secondaires (et facultatives), qui forment le classique arbre des possibles. Ensuite, on y rajoute :

+ 3 scènes flottantes (charge à l’arbitre de les intercaler – ou non – selon son humeur et ses besoins) ;

+ plus une succession de trois scènes de la jauge des emmerdes, sorte de colonne vertébrale qui vient s’ajouter à l’intrigue principale en la compliquant, à intercaler selon l’humeur et les besoins de l’arbitre.

+ plus une scène dite « repoussoir », qui consiste à se poser la question de ce qui se passe si les personnages veulent fuir la zone du scénario. En général, c’est permis mais cela a un coût.

évoquer le scénario en 4D.

Le brouillon d’un scénario en 4D de la campagne L’Ordre et le Sauvage

Une campagne peut également se concevoir comme arborescente, c’est-à-dire que les scénarios eux-mêmes peuvent être vus comme les paragraphes d’un livre-aventure : des possibilités qui se potentialisent ou non en fonction des choix et de la fortune des personnages, ce qui fait que tous les scénarios ne seront pas joués.

C’est bien sûr le parangon de l’approche potentialiste : on est prêt à sacrifier beaucoup de matériel (ici, des scénarios entiers) au nom de la liberté d’action des personnages.

Plan des scénarios de ma campagne L’Ordre et le Sauvage. Sur la trentaine de scénarios que compose l’arborescence, chaque groupe n’en jouera que onze.

Pour aller plus loin :

[Article] Thomas Munier, Le scénario en matrice : une structure de rédaction didactique, sur Outsider

1.2. Le donjon

Les premiers scénarios de jeu de rôle étaient des donjons. Cette structure « topographique » de scénario est par essence non-linéaire, puisqu’on peut souvent visiter les pièces dans différents ordres, et éventuellement finir le donjon sans visiter toutes les pièces.

La structure de donjon a ensuite été extrapolée pour des scénarios en extérieur. Beaucoup de scénarios d’enquête-action en sont proches, dans le sens où le scénario est découpé en plusieurs lieux qu’on peut visiter dans l’ordre qu’on veut (la bibliothèque, le bar clandestin, l’hôpital psychiatrique, la crypte, la maison hantée…). On parle d’esprit pionnier : l’histoire pourrait facilement redevenir linéaire si on imposait l’ordre des lieux, la principale liberté d’action des personnages résidant dans le choix de l’ordre.

Bien entendu, on peut rendre les choix plus impactants du moment que la visite de chaque lieu a de l’impact : certains lieux apportent des ressources et des connaissances qui peuvent être capitalisés dans les lieux suivants, d’autres lieux apportent surtout de l’attrition (combat, lecture de livres maudits qui font perdre de la santé mentale) qui fragilisent les personnages, ce qui va impacter leur attitude lors de la visite des lieux suivants. L’opération peut être d’autant plus subtile quand les lieux apportent à chaque fois du positif et du négatif. Le choix de l’ordre de visite des lieux va être alors d’autant plus crucial et cela peut suffire à briser la linéarité.

À l’inverse, une structure topographique peut aussi reproduire un scénario tout à fait linéaire. Quand j’étais jeune, je créais des donjons qui avaient tout du parcours fléché. En vue aérienne, la structure paraissait ouverte, mais en réalité beaucoup de lieux étaient fermés à la première visite, il fallait collecter des clés ou des mots de passe pour y accéder, si bien que l’expérience était designée pour se dérouler dans un ordre bien précis. Beaucoup de jeux vidéos proposent un environnement 3D qui crée l’illusion de la liberté de déplacement alors qu’en réalité, beaucoup de parcours fléchés et de murs invisibles forment un itinéraire obligatoire.

Le plan d’un donjon pour HeroQuest réalisé dans ma prime jeunesse. Si le donjon semble non-linéaire au premier coup d’œil, un certain nombre de mécanismes viennent ordonner le parcours : la trajectoire d’un guide (case fléchées), des portes qui apparaissent selon certaines conditions (en bleu), et une porte qui ne s’ouvre qu’une fois une clé trouvée.

Le donjon est l’espace rêvé pour proposer une intrigue qui dépasse la narration évènementiel pour proposer en sus une narration par l’espace, avec laquelle on peut d’ailleurs jouer pour créer des effets méta d’orientation, ce qui est par exemple typique des jeux vidéo d’horreur avec des voix off qui disent « attention, derrière toi ! » ou « n’ouvre pas cette porte ! ».

Une chose importante à arbitrer quand on crée un donjon ou tout autre scénario topographique, c’est sa complexité, sa profondeur d’exploration. Un donjon peut se limiter à une structure très simple, comme le très efficace donjon en cinq pièces, ou être un espace vaste et cohérent doté d’une écologie qui lui donne une logique et génère de l’intrigue.

Le donjon en cinq pièces

1.3. L’improvisation à choix multiples

Il est à noter que l’intrigue à choix multiples n’est pas l’apanage du scénario et qu’il est possible d’en reproduire une en improvisant. Techniquement, l’arbitre doit envisager, de préférence une ou deux scènes à l’avance, l’éventail de choix qui s’impose au personnage dans la situation donnée.

Le jeu Inflorenza Minima est entièrement basé sur ce principe puisque le système de résolution est le suivant : dès qu’un personnage veut accomplir quelque chose d’important, il doit en payer le prix, autrement dit, l’élucidation de sa quête est pavé de dilemmes ou de trilemmes, charge à l’arbitre de les improviser au fur et à mesure.

La structure de donjon est également compatible avec l’impro, qu’il s’agisse de générer le donjon de façon procédurale, ou d’improviser le donjon pièce après pièce (auquel cas je conseille toujours d’avoir au moins une vision esquissée des pièces qui jouxtent la pièce actuellement explorée).

L’improvisation « avec deux coups d’avance » n’est pas obligatoire mais elle permet de recréer l’impression de solidité et d’impartialité qui existe avec le scénario préparé, c’est un sentiment qui est recherché par les joueuses qui veulent de l’immersion ou des choix avec du sens.

2. Les scénarios non-linéaires à choix illimités

Les aficionados de la liberté d’action peuvent, à tort ou à raison, trouver qu’un scénario à choix multiples n’est pas la panacée et qu’il faut y préférer une liberté d’action beaucoup plus radicale. C’est particulièrement vrai en jeu de rôle sur table où on peut facilement, au prix d’un peu d’improvisation, proposer une gamme de choix illimitée aux personnages, en brossant des situations ouvertes, charge aux joueuses d’en exploiter les opportunités. Cette option est moins évidente en jeu vidéo, néanmoins on trouve depuis longtemps des jeux qui offrent une grande émergence et la performance toujours plus grande des intelligences artificielles et des générations procédurales devrait accentuer les possibilités.

Explorons ensemble des structures scénaristiques qui proposent et exploitent une liberté d’action plus radicale.

2.1. Les options de personnalisation

On peut conserver des scénarios arborescents ou des scénarios topographiques mais y ajouter des choix plus ou moins cosmétiques.

La version la plus évidente de cette approche est la possibilité de créer un personnage indépendamment du scénario proposé. La joueuse a alors la main sur l’esthétique de son personnage mais aussi sur sa puissance et son éventail d’action (souvent dans une gamme un peu restreinte par les règles du jeu). Pouvoir choisir la couleur des cheveux de son personnage n’a certes pas d’impact sur la narration, mais pouvoir choisir ses compétences en a déjà beaucoup plus. On peut mentionner les livres-aventures de la gamme Loup Solitaire ou le choix de certaines compétences plutôt que d’autres donne accès à des paragraphes différents. Et dans les jeux de rôles et les jeux vidéos, les compétences ou l’équipement peuvent grandement influer sur l’issue d’une scène.

Au cœur du scénario, on peut également aménager des espaces de liberté narrative. C’est par exemple le cas dans les accroches typiques de scénario du type « l’oncle d’un personnage est à l’agonie et veut lui léguer son héritage » ou « la meilleure amie d’un personnage a besoin de son aide ». En fonction du personnage qui se dévoue pour être lié au figurant de l’accroche, la préhension de l’intrigue sera assez différente.

Vous pouvez multiplier ces accroches tout au cours de l’intrigue (« le figurant préféré d’un personnage est capturé » ; « l’un des personnages se voit offrir l’opportunité d’une idylle amoureuse avec le ou la méchante du scénario »…), mais vous pouvez rendre les choses encore plus intercréatives avec des questions orientées telles que « Pourquoi est-ce que tu penses que votre commanditaire n’est pas digne de confiance ? » ou « Pourquoi hésites-tu avant d’attaquer les gobelins ? »). Ceci va ouvrir des pistes imprévues ou a minimum faire travailler la marge d’interprétation des joueuses.

On peut d’ailleurs filer le mécanisme de l’accroche personnalisée ou de la question orientée tout au long d’un scénario pour accentuer l’appropriation par la joueuse.

Ainsi, dans un embranchement du livre-aventure L’Auvergne de tous les dangers (en développement), le protagoniste rencontre une guérisseuse et la possibilité lui sera offerte de l’intégrer dans son groupe. À trois reprises dans le livre-aventure, la même question orientée sera posée : « Il se produit une situation où la guérisseuse se montre digne de confiance. Laquelle est-ce ? ». La joueuse-lectrice est amenée à la fois à imaginer trois scènes et aussi à renforcer par trois fois un lien affectif avec la guérisseuse d’une façon qui lui sera tout à fait personnelle. Quand à la fin de l’embranchement, la guérisseuse propose au protagoniste de guérir sa maladie par un moyen radical, la joueuse sera très influencée dans sa décision par la façon dont elle se sera approprié la relation. C’est ce qu’Alban Damien appelle l’interdiégétique, ou quand l’action de jeu pousse la joueuse à prendre des décisions pour des raisons émotionnelles ou fictionnelles plutôt que pour des raisons purement tactiques.

Pour aller plus loin :

[Article] Alban Damien, JdR : game design en galère ?, sur Ligue Ludique

Enfin, et de façon tout à fait naturelle dans les jeux de rôles et les GN, même dans les scénarios les plus scriptés, il reste toujours une marge de manœuvre, une marge d’interprétation. Par exemple, la joueuse est très généralement totalement libre de ses dialogues, et (moins souvent) de la façon dont elle décrit les actions de son personnage. Plus globalement, même les scénarios les plus scriptés et les personnages prétirés les plus écrits ne mentionnent dans les moindres détails ce que le personnage est censé faire : ceci laisse une certaine liberté d’action, qu’on pourrait qualifier de cosmétique. Mais la cosmétique n’est pas un phénomène négligeable. Cela fait partie du plaisir de jeu de s’approprier son personnage et sa relation au monde. On peut s’attrister qu’il ne reste plus que ça, mais ce n’est pas rien, et on peut grandement s’accommoder d’un scénario dirigiste quand on sait tirer tout le plaisir interprétatif qu’offre le freeplay.

Adam Robinson-Yu, cc-by-sa

2.2. Les bacs à sable ou les mondes ouverts

Le scénario bac à sable est l’étape suivante dans la recherche d’un potentiel d’action illimité. On peut le voir comme une combinaison du scénario en arborescence et du donjon.

Un scénario en bac à sable a souvent une structure topographique sur laquelle va se greffer une structure événementielle.

Les mondes ouverts de jeu vidéo nous exemplifient de façon lisible ce que peut être un scénario de bac à sable en jeu de rôle. Il faut un lieu assez vaste à explorer, il peut y avoir une intrigue principale (mais les bacs à sable les plus axés sur la liberté d’action en font l’économie) et il y a une foule d’intrigues secondaires qui vont être proposées en fonction des lieux qu’on va explorer (si on va à la taverne, il y a trois donneurs de quête différents, si on va à l’hôpital, il y a un médecin et une malade qui ont besoin de votre aide, si on va au marché, il y a des possibilités de faire du commerce et de l’artisanat, si on va dans les steppes, il y a des rencontres de monstres errants et la possibilité de construire des cabanes, etc). Ces quêtes secondaires ne sont parfois liées entre elles par le canon esthétique de l’univers.

L’approche la plus radicale en matière de respect de la liberté d’action est le bac à sable du quotidien, dans la mesure où si des quêtes secondaires sont proposées, il n’y a aucune pression pour les accepter (il n’y aura pas de conséquences graves pour sanctionner le refus des personnages d’y participer) et il y a un certain nombre de lieux et de figurants qui ont une existence indépendante des protagonistes et qui sont juste là pour qu’on s’intéresse à eux par simple curiosité et non par un appel à l’aventure.

L’environnement d’un bac à sable doit idéalement répondre à trois exigences :

  • avoir un intérêt tactique pour les joueuses
  • avoir un intérêt narratif
  • être cohérent avec l’univers de jeu

    Pour aller plus loin :

    [Podcast] Outsider, Game Design jeu de rôle : les bacs à sable

    [Article] Wikipédia, Mécanisme narratif dans les jeux de rôle sur table

    2.3. Les scénarios à agendas

    Le scénario à agenda est une variante du bac à sable. L’aspect topographique est un peu minoré (on lui préfère une intrigue en huis-clos) au profit d’un aspect événementiel très maîtrisé (ce qui en fait le scénario-type des soirées enquêtes, voire des escape games).

    Le temps est la matière du jeu de rôle plus que dans d’autres médias, il est ce qui décante les émotions et les enjeux, et il forme une ressource et une économie pour les personnages ; c’est ce qu’exploitent les scénarios à agenda en priorité.

    La structure la plus classique du scénario à agenda se compose d’une une série d’agendas de personnages. Ainsi du scénario pour Warhammer appelé Une nuit agitée aux trois plumes, qui fonctionne comme un emploi du temps, avec des événements timés. La spécificité est que si l’agenda des figurants est bien prévu, ce n’est pas le cas de celui des PJ, qui peuvent interférer et perturber la timeline.

    Le jeu Apocalypse World et les jeux dérivés (powered by the Apocalypse), rendent le scénario à agenda plus flexible avec la notion de « front ». Un front est une faction poursuivant un but, avec :

    • des acteurs : les personnages en scène ;
    • un destin funeste : ce qui advient si les personnages-joueurs n’interviennent pas ;
    • des enjeux : des questions, présentant des interactions possibles du front avec les personnages-joueurs ou l’environnement ;
    • des dangers : des étapes dans la réalisation du destin funeste.

    Ces fronts ou les menaces qui les composent ont souvent une horloge, c’est-à-dire une sorte de chronologie de comportement (souvent dans le sens d’empirer une situation) que l’arbitre fait progresser non pas en fonction d’un agenda rigide, mais selon son envie de gérer le rythme ou la pression, ou comme conséquence mécanique de jets de dés des personnages. Ainsi, dans le PBTA cyberpunk The Sprawl, chaque corporation impliqué dans un scénario dispose d’une horloge qui liste les mesures qu’elle va prendre en fonction de l’écoulement du temps et de l’aggravation de la tension.

    Les deux comptes à rebours associés à la faction rivale des personnages dans le scénario « Cuisine aux Orgones » (contexte : Little Hô-Chi-Minh-Ville ; supplément : Métapôle ; jeu : The Sprawl)

    2.4. Les scénarios interactionnels

    On peut aussi voir un scénario bac à sable comme un programme de transactions : on remplace la chronologie par l’économie. C’est ce que nous illustre les contes d’animaux (vous avez peut-être Le roman de Renart ou Les Fables de la Fontaine en tête) : des animaux cherchent à obtenir des avantages et ressources diverses et pour cela ils vont interagir entre eux, avec des interactions parfois équilibrées, parfois des rapports de force (prédateur / proie) ou parfois des rapports de ruse.

    On peut envisager un scénario comme un réseau de personnages dotés d’objectifs et de moyens de les atteindre, et l’intrigue va se déployer par l’interaction entre eux. La chronologie des interactions est peu ou pas développée, elle se fait à l’instinct ou en fonction de tours de jeu dédiés à chaque figurant.

    Pour aller plus loin :

    [Article] André Petitat, Raphaël Baroni, (2000) Dynamique du récit et théorie de l’action ; un e approche interactionniste des contes d’animaux, Poétique, n° 123, p. 353-379 (voir sur Academia.edu)

    2.5. Les mondes organiques

    Un scénario bac à sable peut être extrapolé à un monde-bac à sable. Ainsi, un jeu de rôle entier peut être conçu comme un grand bac à sable. Si la topographie, les quêtes, la chronologie, et la liste de figurants avec leur programme d’interactions peuvent avoir leurs importance, c’est surtout la logique interne de l’univers de jeu qui va faire scénario. C’est le principe de système-monde.

    Un système-monde est une horlogerie complexe, mais on insistera ici surtout sur sa mécanique principale : les enchaînements logiques.

    On conçoit ici un univers comme un univers comme un ensemble de lois physiques, sociales et métaphysiques. Les principales chaînes cause-conséquence sont prévues (qu’elles soient uniformes ou comportent une part d’aléatoire ou de choix de l’arbitre ou des joueuses). Une aventure se conçoit alors comme un simple point de départ : la liberté d’action des personnages, combinée à la logique interne du monde suffisent à dérouler une intrigue à l’infini.

    Pour aller plus loin :

    [Article] Thomas Munier, Le système-monde, sur Outsider

    2.6. Le jeu de basse et l’importance de l’impro

    Les structures présentées précédemment n’offrent pas un choix illimité d’actions, mais agrandissent plutôt l’éventail. En effet, elles comportent quand même une dose de script qui font qu’on n’a pas une liberté d’action radicale.

    La liberté d’action radicale n’est possible qu’en improvisant une partie des conséquences à la volée. C’est déjà plus ou moins obligatoire dans les bacs à sable où les quêtes secondaires ne sont pas aussi rédigées que des scénarios à choix quantifiés, et nécessitent donc une capacité d’adaptation de la part de l’arbitre. Mais la liberté d’action radicale implique que l’improvisation de l’arbitre prime sur le contenu scripté, et que des pans entiers de la préparation puissent être jetés aux orties parce qu’une initiative imprévue des personnages les a rendus obsolète. Pour garantir la liberté d’action radicale, l’arbitre doit improviser les conséquences des actions des personnages, parfois de bout en bout, au point que la notion même de scénario soit vue comme une entrave. C’est ce qu’on appelle le jeu de basse : une maîtrise chargée de garantir une direction artistique tout en suivant les lubies des personnages.

    Il convient que l’arbitre travaille ses techniques d’improvisation. On peut en trouver un certain nombre en bibliographie, mais on retiendra ici principalement la règle du « oui et » tirée du théâtre d’improvisation. L’arbitre valide un maximum les initiatives des personnages (voire les propositions narratives des joueuses) mais y ajoute systématiquement son grain de sel. L’arbitre doit aussi réagir à ce qui se passe. Incarnant l’univers de jeu, l’arbitre garde en tête que chaque action des personnages a des conséquences mais aussi que tout temps mort laissé par les personnage lui offre une opportunité de faire progresser le décor et les figurants selon leur propre logique. Cette improvisation n’est jamais une science exacte mais une adaptation au moment et au public.

    Pour aller plus loin :

    [Podcast] Podcast Science, 337 – Storytelling

    2.7. Les scénarios malléables et compatibles avec l’impro.

    On peut aussi s’appuyer sur des structures scénaristiques assez lâches, voire abstraites, adaptées à la versatilité des personnages et de l’arbitre.

    Dans le scénario « Mourir dignement », Jérôme Larré ne dresse pas le plan d’un château, mais décrit des scènes abstraites (seuil, passage, lieux de vie etc.) auxquelles pourraient correspondre plusieurs pièces présentant des défis ou des enjeux similaires. Cela a pour objectif de vous permettre de :

    + réutiliser cette partie du scénario, tout en préservant l’effet de surprise ;

    + valoriser les initiatives des joueuses ; elles jouent des ninja expérimentés : cela ne change pas grand chose qu’ils s’introduisent dans la forteresse en passant par les toits ou des souterrains ;

    + modifier à loisir la taille du château, en fonction des envies et du temps imparti.

    Les scénarios du jeu de rôle Inflorenza sont appelés des théâtres pour les différencier de scénarios classiques. Ce sont des sortes de bacs à sable très abstrait : ils brossent plus une situation de départ et des éléments d’ambiance qu’un véritable écheveau de quêtes secondaires ou d’agendas de figurants. L’improvisation est indispensable pour faire fonctionner ces scénarios, qu’elle vienne de l’imagination des joueuses ou des contraintes liées au système de jeu.

    Première page d’un théâtre d’Inflorenza

    On peut aussi concevoir un univers ou un scénario comme un ensemble de tables aléatoires qui permettent de « choisir » par un jet de dé tel ou tel élément de l’histoire. Il est possible de trouver aujourd’hui nombre de publications se basant uniquement sur des tables aléatoires. C’est par exemple le cas de Marchebranche, qui reprend la prépondérance des tables aléatoires proposée dans de nombreux jeux OSR.

    Ces tables aléatoires peuvent se présenter sous forme de listes, de jeux de cartes comme Imagia, Muses et Oracles ou Nervure , de générateurs informatiques (voir celui des Forêts Limbiques qui se présente sous forme d’une arborescence de tables aléatoires de questions orientées, proposant donc un mix des mécaniques de personnalisation présentées précédemment).

    Les tables aléatoires sont rarement vues comme un canevas rigide, charge aux utilisateurices d’en adapter leur usage en fonction de leur charge mentale ou de leurs propres idées. En revanche, les dispositifs les plus complets proposent des générateurs pour à peu près tout, figurants, missions, péripéties, liens relationnels, architecture de donjon, bestiaire, butin… Au point qu’on peut parler d’émulateur de MJ.

    Toutes ces structures scénaristiques abstraites ou aléatoires peuvent être vues comme des aides pour l’arbitre ou des supports pour jouer sans MJ.

    Pour aller plus loin :

    [Article] Wikipédia, Mécanisme narratif dans les jeux de rôle sur table : Différence entre un texte narratif et une partie de jeu de rôle

    2.8. Laisser les joueuses créer l’intrigue

    Il est enfin un procédé qui maximise la liberté d’action et ses conséquence : mettre les personnages des joueuses vraiment au cœur du dispositif. L’idée est que le jeu fournit un contexte et des règles, éventuellement quelques quêtes pour occuper le temps, mais le gros de l’action est fourni par les personnages eux-mêmes. C’est le cas en jeu vidéo des MMORPG ou des jeux multijoueurs comme Among Us, en jeu de rôle des jeux centrés sur le personnage. C’est enfin bien illustré par le GN Les Sentes, un GN où il n’y a pas de PNJ, ni même vraiment d’orga ou d’intrigue, et c’est entièrement les relations entre les joueuses qui construit le jeu.

    Le tesseract, un cube en quatre dimensions. Jason Hise, domaine public

    3. Dé-linéariser les médias linéaires

    3.1 Les scénarios non-linéaires comme outil d’écriture

    Initialement, les médias linéaires ne semblent pas concernés par toutes les techniques présentées précédemment. Une fiction linéaire se conçoit de deux façons : d’un côté les architectes qui élaborent un plan détaillée de l’intrigue (par ordre de narration), de l’autre les jardiniers qui improvisent le déroulé de l’intrigue au fil de l’écriture. Dans les deux cas, il y a peu d’hésitation sur la direction que doit prendre l’intrigue. Mais cette démarche classique a deux défauts : elle se prête au syndrome de la page blanche (puisqu’on doit prendre la meilleure décision narrative à chaque étape, ce qui est bloquant) et peut aboutir sur des récits stéréotypés ou présenter des incohérences dues à la linéarité de l’intrigue (décision des personnages non justifiées, deus ex machina, etc).

    Utiliser une structure scénaristique non-linéaire pour rédiger un scénario de roman, de théâtre ou de cinéma, va ouvrir le champ des possibles, apporter de la cohérence dans les choix des personnages et renforcer la logique interne de l’univers fictionnel. Il s’agit en quelque sorte de rédiger son texte comme on ferait une partie de jeu de rôle solo.

    Le résultat donne bien un récit linéaire, mais plus vivant, plus organique, du fait du procédé d’écriture. Plus simplement, on produit un récit où les protagonistes semblent vraiment être des acteurs de leur destin. Bien sûr, les récits où les protagonistes subissent passivement leur destin sont des propositions tout à fait valides, mais tant que cela vient d’une intention réfléchie de l’autrice, et non d’une maladresse de la narration, maladresse que l’emploi de structures « rôlistes » permettrait de réparer.

    Pour aller plus loin :

    [Article] Julien Hirt, Les trois types d’auteur

    [Dossier] Thomas Munier, Jeu et narration : les ressources, sur Outsider

    3.2. Laisser une part d’interprétation

    Les narrations non-linéaires nous apprennent que le public est acteur de la fiction. Sans pour autant utiliser les techniques scénaristiques sus-mentionnées, on peut vouloir recréer cette liberté par un champ déjà nativement présent dans la fiction linéaire : la marge d’interprétation. Il convient ici de laisser un certain nombre de non-dits pour que le public puisse s’approprier un maximum la réception de l’œuvre. Ou encore de retarder les explications pour laisser au public tout le loisir de spéculer, ce qui est déjà une forme de jeu, pratique qui est particulièrement illustrée par les romans policiers de type whodunnit. La forme interrogative mériterait d’être remise en valeur. Si elle souligne le phénomène de suspense, elle ouvre aussi un large champ de projection mentale pour le public. De temps en temps, introduire quelques questions orientées dans un roman pourrait créer un effet bœuf.

    Pour aller plus loin :

    Interprétation

    [Article] S.S. Van Dine, Le roman policier : les 20 règles pour le crime d’auteur

    [Article] Les 19 lois d’un bon polar selon Borges, sur BibliObs

    3.3 Les récits déstructurés

    On peut encore s’inspirer de l’aspect chaotique des fictions non-linéaires qui n’appréhendent pas un récit comme une narration chronologique, mais comme une déambulation dans les potentialités.

    Il est tout à fait possible et intéressant de s’en inspirer pour produire des fictions qui sont linéaires dans le sens où une seule histoire coexiste, mais qui transgressent l’ordre chronologique voire les propriétés de l’espace, proposent des narrateurs non fiables, voire font coexister différents fils narratifs contradictoires par le biais de mondes parallèles ou de fictions spéculatives.

    Pour aller plus loin :

    [Dossier] Thomas Munier, Jouer le vertige logique, sur Outsider

    3.4. Les récits à choix multiples

    Mais pour finir… Qui a dit que les romans, les films ou les pièces de théâtre devaient être linéaires ?

    En fait, même avant l’avènement des médias non linéaires, la question s’est posée. Pour ne citer que quelques exemples, Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau propose un poème combinatoire à assembler soi-même. La vie, mode d’emploi, de Georges Perec propose de visiter en temps suspendu l’ensemble des pièces d’un immeuble. Si un ordre de lecture (par ailleurs non linéaire) est forcément proposé au vu du format livresque, il est en fait possible d’arpenter l’immeuble dans le sens où on veut.

    L’apparition des livres-aventures va tout simplement consommer la rupture du format roman avec la linéarité, mais on peut par la suite découvrir d’autres expériences. Ainsi du roman L’Envers du Dédale, de Côme Martin, un roman-labyrinthe sous forme de feuillets détachés qu’on peut relier entre eux selon plusieurs fils narratifs.

    Un roman combinatoire qui explore le motif du labyrinthe tant dans la manipulation de l’objet que dans les trois récits proposés.

    La fiction arborescente va bien sûr se retrouver dans le genre vidéoludique, allant des films interactifs comme Heavy Rain jusqu’au genre de l’immersive sim qui mêle davantage gameplay et choix impactants.

    Le théâtre ne sera pas en reste avec l’apparition du théâtre immersif, qui propose une réelle agentivité du regard, puisque les spectateurices arpentent un lieu composé de différentes scènes, découvrant ainsi l’intrigue de façon fragmentée. Le théâtre immersif n’en finit pas d’évoluer avec aujourd’hui des hybridations qui le rapprochent de plus en plus du GN.

    Le cinéma va enfin s’essayer à la non-linéarité avec plusieurs formats, tels que des séries télé où le public peut voter pour certaines issues, des films à écrans splittés qui tentent de proposer une agentivité du regard comme Time Code, jusqu’au neuro-cinéma qui consiste en la projection d’un film dont le montage est modifié en temps réel par une intelligence artificielle en fonction du regard de la personne qui le visionne.

    Pour aller plus loin :

    [Vidéo] Nathanaël Wadbled : L’hétérotopie de Disneyland, conférence à l’Université Paris 13, sur Youtube (de l’interprétation comme agentivité du regard)

    [Podcast] Outsider, Le théâtre immersif

    [Vidéo] TRACKS – ARTE : « Neuro-cinéma » : piloter un scénario avec son cerveau, sur Youtube

    CONCLUSION

    Soit on construit un récit mental à la fin d’une partie de jeu de rôle (on enchaîne les péripéties sans chercher à leur donner un sens sur le moment), soit on construit la partie pour qu’elle fasse récit (attention permanente portée au rythme et au sens). C’est ce genre de considération qui détermine si on va privilégier un scénario linéaire ou non-linéaire, ainsi que d’autres facettes du dispositif (préparation ou improvisation, avec ou sans MJ).

    Je me permettrais de citer Steve Darlington : « La structure de votre œuvre doit être pensée comme faisant intégralement partie de son style, aussi il vous faudra rejeter ou amender les structures qui vous servent d’inspiration, pour trouver un mécanisme de fonctionnement, une économie, un écosystème interne, propre à votre œuvre. Il convient enfin de ménager des espaces de souplesse dans cette structure pour qu’elle ne soit ni trop étouffante, ni trop contraignante, ni trop répétitive, ni trop visible. »

    La linéarité et la non-linéarité, qu’on parle de jeu de rôle ou d’un tout autre média, sont des éléments de style. Il est capital de déterminer à quel point les choses sont gravées dans le marbre ou sont émergentes, à quel point le public est réceptacle de l’œuvre ou à quel point il est impliqué, que ce soit en tant que déchiffreur (interprétation), protagoniste (interactivité) ou co-auteur (intercréativité). Aucun degré de fermeture ou d’ouverture n’est supérieur à un autre, mais en tant que créateurice d’expérience, il est capital que vous en décidiez en toute connaissance de cause et en tant que public, il est également capital que vous sachiez quelle marge de manœuvre une fiction vous propose.

    Pour aller plus loin :

    [Article] Steve Darlington, Style et structure, sur PTGPTB.fr

    [Podcast] La Cellule, La Structure

    LES TROIS IDÉES-CLÉS DE L’ARTICLE

    1. Une fiction linéaire quand elle est la même pour tout public. Elle est non-linéaire quand le public peut influer sur les choix des personnages et quand les choix de ces personnages influent sur la teneur de la fiction.

    2. Les jeux de rôles sur tous supports peuvent proposer une structure s’approchant beaucoup d’une fiction linéaire mais disposent également d’un très large éventail de solutions pour maximiser la liberté d’action des joueuses via leurs personnages.

    3. Le roman, le théâtre et le cinéma n’ont pas vocation éternelle à proposer des fictions linéaires. Il existe déjà bien des formes de non-linéarité et cela ne fera qu’augmenter avec la progression des savoir-faire et des technologies.

    9 commentaires sur “Exploser la linéarité

    1. Je savais que cet article serait un gros morceau et que ça me prendrait une journée entière à finaliser, alors j’ai repoussé, repoussé… Mais cette semaine, l’envie était là, irrepressible ! J’avoue que je serais fort tenté de sortir la suite (et la fin) de cette série dès la semaine prochaine, histoire de battre le fer tant qu’il est chaud. Dites-moi si c’est une bonne idée ou s’il vaut faut plus de temps pour digérer celui-là.

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    2. Super article que j’ai dévoré d’une traite, même s’il va me falloir plusieurs lectures. Ultra inintéressant et pertinent en tous cas, merci Thomas

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      1. Un très grand merci pour ton intérêt ! Si le démon de la motivation m’est fidèle, je devrais sortir prochainement le 4ème et dernier article de la série, qui portera sur le méta-jeu 🙂

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