Comment speedrunner des parties de jeu de rôle traditionnel

Pour que plus jamais tradi rime avec ennui, voici une série de mantras pour une maîtrise à cent à l’heure sans sacrifier l’essentiel de ce qui nous plaît dans le jdr classique.

(temps de lecture : 8 minutes)

Tim Alamenciak, cc-by-sa

TROP LONG ; PAS LU : MES MANTRAS DE MJ PRESSÉ

1° Libre circulation des informations

2° Tous dans le minibus

3° Chaque jet compte

4° un seul personnage jette les dés

5° Les PNJ ne jettent jamais les dés

6° Les combats sans init et en un seul round

7° Ni battlemaps, ni figurines

8° Des passages de niveaux partiels

9° Automatise la préparation

10° Propose des prétirés sans les créer toi-même

INTRODUCTION :

Vous le savez peut-être pas, mais je ne suis pas qu’un affreux narrativo-végane.

Végane, je le serai toujours, mais il m’arrive régulièrement de faire des entorses à mon régime narrativiste et de retourner à mon bon vieux jeu de rôle tradi..

Je suis un joueur éclectique et je n’ai en fait pas grand chose à reprocher au jeu de rôle traditionnel, sinon son rythme lent et, deux phénomènes liés, ses mécaniques parfois trop complexes. Si Olivier Caïra insiste sur le caractère structurel et somme toute acceptable de la lenteur en jeu de rôle tradi, je pense pour ma part que ce n’est ni une fatalité ni un horizon forcément désirable.

Pour aller plus loin :

[Conférence enregistrée] Olivier Caïra, En défense des rôlistes somnolents

Si je me suis déjà mêlé de parler de création de jeu de rôle tradi, l’objet de cet article est plus de vous proposer des astuces de MJ. Bon, parce qu’en fait, les jeux qui verbalisent les conseils que je vais donner, comme Apocalypse World, Sombre ou Marchebranche, sont à la limite de ce qu’on peut qualifier jeu de rôle traditionnel rien que par ce simple détail.

Non, moi je vais vous parler de maîtriser des jeux de rôle traditionnels classiques, Donjons & Dragons, L’Appel de Cthulhu, Warhammer, etc… mais en mode speedrun.

Pour aller plus loin :

Thomas Munier, Comment créer un jeu de rôle traditionnel, sur Outsider

J’ai déjà fait des déclarations d’amour au jeu de rôle traditionnel, l’objet est ici d’en conserver ce que j’aime (les scénarios qui me libèrent de la charge cognitive en partie, les compétences qui sont un véritable moteur d’agentivité pour les joueuses) tout en dégageant ce qui freine le jeu : les jets de dés à rallonge, la complexité mécanique et les combats trop détaillés.

Pour aller plus loin :

[Podcast] Jeu de rôle traditionnel mon amour, sur Outsider

J’ai déjà fait quelques articles et vidéos sur le fait de jouer vite et bien sûr, d’autres que moi ont traité ce sujet. Je me rappelle des posts de Vermer sur le forum CasusNo (je ne les ai pas retrouvés) où il expliquait comment il maîtrisait la lourde campagne Par-delà les Montagnes Hallucinées « à la hussarde », expédiant en quelques séances courtes une campagne censée vous occuper des années. Plus récemment est sortie l’aide de jeu Speedrun RPG qui vous propose de jouer des scénarios-fleuves en mode speedrun, sur un ton plutôt ironique et méta à ce que j’ai pu en voir, presque sur le mode du jeu en performance.

Pour aller plus loin :

[Article] Thomas Munier, La gestion du rythme et du temps en jeu de rôle, sur Outsider

[Article] Thomas Munier, Jouer en trente minutes chrono, sur Outsider

[Article + Vidéo] Thomas Munier, Comment jouer des parties courtes, sur Outsider

Les conseils que je vais vous présenter ici ne relèvent pas du jeu en performance. Je ne joue pas au jeu de rôle traditionnel à toute vitesse pour un côté ironique ou par défi, mais parce que mes créneaux de jeu sont souvent de petite taille, et que je veux me concentrer sur les moments de jeu les plus plaisants : les décisions des personnages, pas les mécaniques.

Pour aller plus loin :

[Notion] Interstices, sur Wiki Nonobstant

Sans plus tarder, voici le détail de mes mantras de la maîtrise rapide :

1er mantra : Libre circulation des informations

À moins de jouer un scénario complotiste, je ne fais aucun aparté et quand je donne une information à un personnage, les autres joueuses l’entendent donc, en toute transparence. J’annonce que par défaut, les personnages se partagent les infos dès qu’ils se retrouvent, ce qui évite la fastidieuse phase de répétitition.

2ème mantra : Tous dans le minibus

Je sais que la sphère indé a beaucoup critiqué le fait de rassembler les PJ au même endroit, mais force est de constater que si on fait des groupe de un, ça ne va pas fluidifier le rythme.

Par conséquent, je ne l’interdis pas, je propose même des scénarios en matrice qui pourraient l’encourager, mais je ne l’encourage pas.

Pour aller plus loin :

[Article] Grégory Pogorzelski, Tous dans le minivan, sur Du bruit derrière le paravent

3ème mantra : Chaque jet compte

Quand je fais du jeu de rôle traditionnel, j’aime faire lancer les dés, mais je me retiens néanmoins de les accumuler. Toute réussite ou échec est définitif. Je n’hésite pas à accorder des réussites automatiques dans des situations de routine et, par exemple, une simple déclaration de fouille peut suffire à connaître l’intégralité des indices d’une pièce.

Attention, je ne joue cependant pas en pur player skill, je demande quand même beaucoup plus souvent des jets de dés que quand je joue de l’OSR.

Il est à noter que certains jets de dés permettent d’accélérer le jeu. Ainsi, lors de ma campagne Millevaux jouée sous dK system, un joueur débutant a choisi parmi les profils prétirés un personnage très social. Il fait rarement le roleplay de son perso et se contente de briller avec des jets de dés sociaux réussis, ce qui le remplit d’enthousiasme sans que la partie soit ralentie par des tirades RP homériques.

Enfin, pour que chaque jet compte, je m’assure que les échecs entraînent des rebondissements qui font progresser les personnages dans le scénario. Par exemple, quand j’ai fait jouer le scénario Une nuit agitée aux trois plumes pour Warhammer, le nain buvait beaucoup de bière et à chaque fois je lui demandais un jet d’endurance. Lorsqu’il a obtenu un échec critique, j’ai annoncé qu’il vomissait sur un client qui venait d’entrer. C’est un moment assez humiliant pour le nain, mais derrière cet échec se cache une progression dans le scénario : je précise que le client n’engueule pas le nain, il se contente de demander une serviette à l’accueil et file se réfugier dans sa chambre. Ce client a quelque chose à cacher… Les échecs, a fortiori les échecs critiques, sont un prétexte valide pour le MJ pour prendre le contrôle des PJ. Personnellement, j’utilise ce prétexte pour avancer plus vite dans l’intrigue.

Pour aller plus loin :

[Article] Ben Finney, MERC: Make Every Roll Count, sur T-Bone’s awesome Games Diner

[Article + Vidéo] Thomas Munier, Où s’arrête ton personnage et ou commence MJ ?, sur Outsider

[Article + Vidéo] Thomas Munier, Faut-il rouler les dés pour du social ?, sur Outsider

4ème mantra : un seul personnage jette les dés

Si un groupe doit faire un jet de dé groupé (type discrétion, ou perception), le plus habile fait le jet, éventuellement avec un malus si un PJ boulet tire le groupe vers le bas (typiquement dans le cas de jets de discrétion).

Dans le cas de jeux qui permettent à un PJ de faire un jet de dé pour aider un autre PJ, je convertis ce jet de dé en bonus direct.

5ème mantra : Les PNJ ne jettent jamais les dés

Je ne jette jamais qu’un regard discret aux stats blocs des PNJ d’un scénar et que je n’en dispose pas, je ne crée pas leur profil mécanique. Je me contente donc de demander aux joueuses de gérer les interactions avec le PNJ en jetant les dés pour leurs personnages, quitte à ce que j’applique des bonus/malus ou réussites automatiques / échecs automatiques en fonction du potentiel que j’imagine pour chaque PNJ.

6ème mantra : Les combats sans init et en un seul round

J’ai déjà joué par le passé maints combats micro-tactiques qui duraient deux ou trois heures, mais ce n’est clairement plus mon mood du moment.

D’une parce que je n’ai plus le temps, de deux parce que, mettez ça sur le compte de la quarantaine, j’ai des difficultés à gérer les mécaniques lourdes qui le permettraient.

Un combat ne doit nous occuper que quelques minutes.

J’expose la situation et je demande à chaque PJ sa stratégie. Je ne demande aucun jet d’initiative, préférant faire agir les PJ dans un ordre arbitraire. Je demande à chaque PJ un seul jet de compétence. J’établis l’issue du combat à partir de ces uniques résultats.

Les PV des PJ comme des PNJ sont gérés de façon abstraite, parfois sans jet de dégats. Il est plus utile de juste savoir si un PJ ou un PNJ est indemne / à moitié de ses PV / à 1 PV / à 0 PV. J’autorise à tuer ou assomer un PNJ à 0 PV selon son bon vouloir, pour diversifier les approches possibles.

7ème mantra : Ni battlemaps, ni figurines

J’évite de sortir les battlemaps ou les figurines. Qu’il s’agisse d’une opération de combat ou d’infiltration, l’introduction de ces éléments est la porte ouverte au micro-management. J’ai jadis opté pour une alternative minimaliste aux battlemaps, les marelles, mais aujourd’hui je préfère tout gérer en théâtre de l’esprit car ça limite beaucoup l’envie de ma part ou de celle des joueuses de zoomer sur la situation à l’infini.

Pour aller plus loin :

[Article] Thomas Munier, Les marelles : ou comment gérer simplement les conflits en 3D dans les jeux de rôles, sur Outsider

8ème mantra : Des passages de niveaux partiels

Je joue en ce moment une campagne de dK System et les passages de niveaux peuvent être particulièrement longs à gérer : 1/2 H à 1H pour faire progresser tout le groupe. Ce n’est clairement pas sur cet aspect que je souhaite passer du temps. Je suis très généreux en points d’expérience (un passage de niveau par séance) mais cependant, on se contente de les noter sur la feuille de personnage sans les dépenser de suite. En revanche, si pendant une situation de jeu, on constate un manque chez un personnage, les points d’expérience peuvent alors être dépensés pour augmenter l’aspect désiré à la volée.

Bon, au final, au terme de la quatrième séance, ma table n’a pas dépensé les 3/4 de ses points d’expérience, mais tant que le jeu est fluide, c’est que ça convient à tout le monde.

9ème mantra : Automatise la préparation

Improviser n’est pas incompatible avec le jeu de rôle traditionnel, mais je préfère garder l’impro pour d’autres formes de jeu, et quand je vais du tradi, j’aime avoir le confort d’un scénario. Cependant, ma recherche de gain de temps s’étend à l’inter-partie et par conséquent, je ne veux pas passer des heures à écrire des scenarii comme je l’ai fait jadis.

Il y a plein de méthodes pour diminuer la préparation dans mon article Zéro Préparation mais je vais en rappeler certaines ici :

– récupérer un scénario écrit par un tiers, de préférence court (1 à 10 pages) ;

– écrire moi-même un scénario en matrice en une page : cette forme, même rédigée en style télégraphique, regorge de pistes secondaires qui m’assurent de meubler une soirée. Autrement dit : il y a le bon scénario en une page et le mauvais scénario en une page. Vous pouvez faire un scénario qui ne prend qu’une page mais se limite à une seule scène. Un scénario en matrice propose jusqu’à 15 scènes, mais cela peut tenir en une page si on adopte une rédaction à haut potentiel ludique.

– je fais écrire mon scénario par une IA. Les modèles de langage ne sont pas les scénaristes du siècle, mais peuvent vous permettre de broder à partir d’un pitch minimaliste. J’ai élaboré un prompt pour rédiger un scénario en matrice en un clic et ça fait le café car la structure en matrice cadre l’IA pour un rendu plus riche (sinon elle tombe dans le piège du scénario en une page qui ne contient qu’une scène).

Pour aller plus loin :

[Article] Thomas Munier, Zéro Préparation, sur Outsider

Exemple de scénario en matrice (La chasse aux changelins)

10ème mantra : Propose des prétirés sans les créer toi-même

J’aurais peut-être dû commencer par là : ne jamais faire créer les personnages par les joueuses. C’est un gouffre à temps absolu. Ne les fais pas toi-même non plus, créer un groupe complet peut facilement prendre deux heures. Internet regorge de personnages prétirés ou de générateurs de personnages pour n’importe quel jeu.

Personnellement, je génère les stat-blocks, l’équipement, les liens relationnels, et l’illus des personnages par IA. Je ne publierai jamais ce genre de matériel mais c’est bien suffisant pour une partie privée.

CONCLUSION

Le jeu de rôle traditionnel, c’est bien connu, fonctionne mieux avec un.e bon.ne MJ (en fait ça me semble vrai aussi dans les jeux sans MJ) et voilà, mon style de bon MJ, c’est le MJ qui trace.

On n’est pas là pour niaiser, on limite au max le temps consacrée à la mécanique et on tape dans le scénario.

Et on s’éclate.