Le système-monde 2/2 : La scénarisation et les mécaniques

Le système-monde 2/2 : La scénarisation et les mécaniques

Le jeu et la narration, si l’on rentre dans les détails, c’est un bon scénar’ et des bons dés, ou des trucs qui s’en rapprochent 🙂 Zoom sur le carburant qu’il faut mettre dans les deux plus puissants moteurs du système-monde.

(temps de lecture : 13 min)

INTRODUCTION

Dans le précédent article, nous avons abordé la notion qu’un système-monde est un univers (la plupart du temps de jeu de rôle) pensé pour nourrir abondamment la narration et le jeu. Après avoir décrit les principes qui animent ce type d’univers dans leur ensemble, nous allons rentrer dans le détail de deux dimensions centrales au fonctionnement d’un système-monde : la scénarisation et les mécaniques.

Jan Gossaert dit Mabuse, domaine public

RÉSUMÉ

L’univers d’un système-monde n’est que scénarisation, ou ensemble de scénarios. Ceux-ci peuvent être des bacs à sable où sont présentés en détail le décor et le figurant et leur interaction, en gardant le principe de haut potentiel ludique en tête, ils peuvent aussi être des scénarios plus linéaires mais qui ne manquent jamais d’épaisseur, comme avec le principe du scénario en 4D.

Le système-monde se met enfin en branle et en mouvement grâce à la mécanisation. Les mécaniques les plus vertueuses peuvent prendre la forme d’enchaînements logiques, de lois (sur)naturelles, de jeu de factions, d’une économie de l’information, de résolution sans-régliste basée sur la logique de l’univers… et bien sûr de systèmes de résolution plus classiques, qu’on pensera minimaux ou au contraire très porteurs d’univers selon que l’arrière-plan soit déjà mécanisé ou non.

LA SCÉNARISATION

Il me semble que votre univers ludonarratif est déjà un vaste scénario sur pattes, tout du moins un bac à sable sur pattes. Il me semble qu’il ne faut pas faire l’impasse sur la rédaction de scénarios.

Pour aller plus loin :

[Podcast] Les Bacs à Sable, sur Outsider

Les scénarios ont plusieurs mérites :

  • Ils zooment sur un aspect ou un endroit.
  • Ils sont une porte d’entrée dans l’univers.
  • Ils vont vous entraîner à penser ludonarratif, ce qui est un bon début avant de passer à une étape plus large.

On pourrait d’ailleurs envisager un univers uniquement rédigé sous forme de scénarios. Ce serait une façon digeste et modulaire de présenter les choses.

Tout d’abord, un mot sur les figurants. Si vous voulez que vos scénarios soient à haut potentiel ludique comme votre univers, il va falloir les soigner. Exit les simples personnages-fonctions, le moindre marmiton qui essuie les verres dans la taverne doit avoir une histoire.

Pour aller plus loin :

[Article] Jean-Philippe Jaworsky, Incarner des PNJ dans Mener des parties de jeu de rôle, Ed. Lapin Marteau

Que les personnages s’y intéressent ou non, chaque figurant doit avoir de la profondeur. Mais pas de panique ! Cela ne nécessite pas forcément 20 pages d’historique par bonhomme.

Primo, réduisez le nombre de figurants à l’essentiel. Et oui, si vous prévoyez des antagonistes, mieux vaut dans cette optique un ou deux adversaires bien costauds à l’historique fouillé plutôt qu’une bande d’anonymes.

Deuxio, notez pour chaque figurant quelques infos-type à haut potentiel ludique, comme par exemple ce qu’on peut looter sur lui ou son objectif.

C’est cette option de galeries de figurants vivants et riches en intrigue qui est la base de la proposition dans Écheveuille.

Un mot sur la structure scénaristique. Les univers à haut potentiel ludique se prêtent tout à fait à des scénarios ou des campagnes-toboggans, mais je crois que leur propre est de fournir un terreau parfait pour de mémorables scénarios et campagnes en bac à sable, car ils sont générateurs des trames complexes et entrelacées qu’on peut rechercher dans des bacs à sable ambitieux. J’aimerais à ce titre parler rapidement des bacs à sable du quotidien développés en premier lieu par Valentin T., puis par Simon et Manon Li. Cette technique de simulation me semble tout particulièrement intéressante à reprendre avec un univers à haut potentiel ludique. Elle consiste à concevoir une vaste zone avec une unité géographique (par exemple un campus dans le bac à sable du quotidien Démiurges Academy développé par Valentin T.) ou sociétale (la mafia) pour y intégrer un grand nombre de lieux et de figurants qui sont animés de leurs propres intrigues. C’est un bac à sable centré sur les figurants, c’est-à-dire que les personnages ne sont pas impliqués tant qu’ils ne le veulent pas : c’est à eux de décider de s’intéresser à tel ou tel figurant, d’interférer dans sa vie pour le questionner, l’aider ou le contrecarrer. Il y a un temps long, avec des évenements planifiés qui concernent les figurants en premier lieu, et un temps court qui crée une vie quotidienne dense pour les figurants. Ce type de simulation est ambitieux. Valentin T. Confesse avoir consacré plus de cinquante heures à l’écriture de son premier cadre de jeu. Mais le résultat est à la hauteur de l’effort : une trame riche qui donne furieusement envie de jouer. Elles est d’ailleurs suffisamment dense pour que Valentin se passe de système de résolution : il lui suffit de s’appuyer sur la logique interne de la fiction. On voit donc qu’un univers composé d’éléments interdépendants fait système : un aspect qu’on pourra creuser dans le chapitre suivant, consacré aux mécaniques.

Pour aller plus loin :

[Article] Valentin T., Cibou, Manon et Simon Li, Bac à Sable du Quotidien – Un petit Guide, sur Angeldust JDR

[Podcast] La Cellule, Le Bac à Sable Narratif

[Article] Matthieu B., La Cour Corbelle sur C’est pas du JDR

[Article] Eugénie, La Cour Corbelle de Thomas Munier, sur JenesuispasMJmais

[Article] Sandra Snan, Blorb Principles, sur Idiomdrottnings

Un scénario, ce sont des éléments fixes (généralement les lieux), des événements mouvants (le figurants) et une flèche temporelle. Un mot sur la façon d’intriquer ces dimensions dans une rédaction lisible et facilement exploitable sans nécessité de prise de notes, de mémorisation ou de navigation excessive.

Ce que j’appelle le scénario en 4D est une forme de rédaction qui associe éléments fixes, éléments mouvants et flèche temporelle en visant le haut potentiel ludique. Je le mets en application dans ma campagne L’Ordre et le Sauvage (en développement). Celle-ci est en développement mais vous pouvez d’ores et déjà retrouver un de ces scénarios rédigés : La bouche et le bec.

La méthode 4D s’applique sur la scénarisation en matrice qu’elle vient augmenter. Il s’agit d’un scénario en point-crawl (i.e un réseau de points d’intérêt). Il prend en compte la temporalité : si plusieurs scènes disparates dans le temps peuvent se produire dans le même lieu, on peut générer autant de points d’intérêt que de scènes. On peut accentuer cette prise en compte de la temporalité en présentant aux joueuses un point-crawl de départ qu’on va mettre à jour avec un crayon à papier (on révèle les connexions secrètes, on légende les points d’intérêts découverts, on barre les connexions obsolètes). On peut aussi utiliser un pion par joueuse pour visualiser où se situent les personnages dans le scénario.

Ensuite, on ajoute des pions pour les autres éléments mobiles, autrement dit les figurants, mais aussi certaines menaces, comme par exemple la corruption qui s’étend, un incendie, etc. En plus de présenter des entrées rédigées pour chaque point d’intérêt, le scénario a aussi une liste de figurants ou de scènes mobiles, les figurants affectés à un lieu n’ayant pas forcément de jeton.

On rajoute également des jauges : la criminalité dela ville, la réputation du groupe de personnages, etc. Chaque jauge a aussi une entrée dans le scénario.

On obtient ainsi un plateau de jeu qui permet de ger de façon intuitive des scénarios assez ambitieux dans leur déploiement à travers l’espace et le temps.

[Note, octobre 2021] Le brouillon de ma campagne étant achevé, je peux vous dire que j’ai géré les choses un peu plus simplement : une matrice de 9 situations (5 situations pour l’intrigue principale, 4 situations pour les intrigues secondaires], un groupe de 3 situations mobiles (et facultatives), une jauge des emmerdes en trois étapes (progressant au bon vouloir de l’arbitre ou en conséquences d’échecs ou de prix à payer par les personnages), et un repoussoir : une situation qui envisage le prix à payer si les personnages veulent quitter la zone du scénario. C’est cette structure que vous retrouverez dans le scénario La bouche et le bec.

Pour aller plus loin :

[Article] Thomas Munier, Le scénario en matrice : une structure de rédaction didactique, sur Outsider

[Article] Chris Kutalik, Crawling Without Hexes: the Pointcrawl, sur Hill Cantons

Le brouillon d’un scénario en 4D de la campagne L’Ordre et le Sauvage. On voit ici les points I à V (intrigue principale), les points A et D (intrigues secondaires) et leur interconnexion dans une matrice. S’y ajoutent trois pions, ou scènes flottantes, les points 1 à 3, une jauge des emmerdes en trois étapes, et un repoussoir, c’est-à-dire une scène qui prévoit ce qu’il se passe où cas où les personnages souhaitent quitter le décor du scénario (en l’occurence, c’est toujours possible mais moyennant un risque ou un prix à payer).

MÉCANISER L’UNIVERS

Un univers profond est une chose complexe, on l’a vu. Le déployer dans sa dimension temporelle rend évidemment les choses encore plus complexe, mais à cela il faut encore le plus souvent ajouter un système de résolution qui rende honneur à tous les détails de l’univers : on tombe ici facilement dans le piège de l’usine à gaz, en témoignent des jeux tels que Shadow Run ou Anima, malades de leur propre ambition.

Nous allons donc tenter de dégager quelques pistes pour concevoir des systèmes de résolution, et plus généralement des mécaniques, qui font vivre l’univers tout en restant faciles à prendre en main.

Le principal concept à retenir est celui des enchaînements logiques : il s’agit de concevoir un univers comme un programme informatique ou pour chaque cause des conséquences sont prévues (qu’elles soient uniformes ou comportent une part d’aléatoire ou de choix de l’arbitre ou des joueuses). L’intérêt des enchaînements logiques est qu’ils ne laissent jamais l’arbitre dans l’ignorance de ce qu’il faut faire face à une situation donnée :

+ Les enchaînements logiques sont pensés pour simuler le fonctionnement de l’univers.

+ L’univers devient un système : on peut alors se passer de mécanique (c’est le cas dans Odysséa ou Inflorenza Minima) ou presque, car l’univers EST la mécanique.

Bien entendu, pour éviter le piège de l’usine à gaz, le niveau de zoom des enchaînements logiques est à considérer. Il convient de ne pas trop rentrer dans les détails, sous peine de perdre l’arbitre, à moins :

+ d’avoir un support de transmission qui le permette (c’est le cas avec Écheveuille où l’univers est diffracté dans un carnet, et on peut se contenter de consulter les pages au fur et à mesure de la navigation) ;

+ ou de rendre facultatif la majeure partie des enchaînements logiques (c’est le cas dans Millevaux en général et du projet de tables aléatoires Biomasse en particulier).

Une fiche d’Écheveuille montrant les liens hypertextuels avec d’autres fiches

Pour bien cerner le concept d’enchaînements logiques, il faut comprendre qu’il consiste à voir un univers comme un ensemble de lois physiques, sociales et métaphysiques. Grümph cite comme exemple cette contraction en trois lois qu’on peut faire du jeu de rôle Vampire, la Mascarade :

1. Le sang est la vie

2. Le feu est la mort

3. Le prince est la plus haute autorité de la ville

Pour aller plus loin :

[Vidéo] Le Grümph: Structure et improvisation en bac à sable [Orc’idée 2014], sur Youtube

Millevaux Choc en Retour procède ainsi à une contraction de l’univers de Millevaux en 8 lois fondamentales :

1. Notre monde tombe en ruines

2. La forêt envahit tout

3. L’oubli nous ronge

4. L’égrégore donne corps à nos peurs

5. L’emprise transforme tout

6. Les horlas se tiennent tapis près de nous

7. Les protagonistes d’un périple sont liés par une quête commune

8. Quand on tente une chose importante, on réussit et une chose grave se produit ensuite. Ainsi veut la loi du choc en retour

9. Certains envoûtent un être cher pour dévier le mauvais sort sur lui. Mais qui oserait une telle extrémité ?

Ce qu’il convient aussi de retenir, c’est qu’un système-monde est bâti sur une évolution temporelle. Comme on l’a dit précédemment, que ce soit à l’échelle du monde, du scénario ou de la scène, aucun statu quo ne peut se maintenir bien longtemps. Le monde a un passé, qui est là pour donner des causes et des explications au présent, et dans le présent tout est en déséquilibre et tout appelle à l’action. Il suffit d’ajouter les personnages dans ce système pour mettre en branle toute la mécanique du monde dans un train d’actions et de conséquences, le rôle du système de résolution étant essentiellement d’arbitrer comment telle action engendre telle conséquence.

Un élément crucial de cette absence de statu quo, c’est le jeu des factions, aux rivalités et aux alliances perpétuellement changeantes. Johan Scipion précise qu’une faction peut être réduite à une personne, il faut considérer une faction comme étant un groupe de personnes (donc éventuellement un groupe de un) avec un intérêt commun mais aussi des dissenssions internes et un spectre de tendances qui déclinent la ligne officielle de la faction en autant de nuances.

Une fiche de communauté du JDR/GN Les Sentes

Un des plus sûrs moyens de mettre en jeu les factions en plus des simples enchaînements logiques ou de la gestion de fronts telle qu’on peut en voir dans Apocalypse World, c’est de placer les personnages dans des dilemmes d’allégeance. Il suffit pour cela de demander aux joueuses que chaque personnage ait au moins prêté allégeance à deux factions (par exemple : j’ai prêté allégeance à ma mère et à la mafia). Il y a fort à parier qu’en cours de jeu, les deux factions auxquelles le personnage a prêté allégeance s’affrontent, ce qui sera l’occasion de très intéressants dilemmes, sachant que l’arbitre peut bien sûr forcer le hasard en s’assurant que les conflits d’intérêt aient bien lieu. Les dilemmes peuvent être récurrents, tant qu’ils ne conduisent pas les personnages à rompre totalement une de leur allégeance, et peuvent se renouveler si l’on adhère à de nouvelles factions. Dans son jeu de rôle La Geste Chimérique, Valentin T. applique ce principe à une échelle plus réduite avec des serments de chevalier (qui engagent donc des personnes et non des factions), c’est aussi ce que fait le PBTA vampirique Undying (Immortel en français) avec un système de dettes.

Tout ceci nous montre que l’interactivité (i.e. les personnages qui font des trucs ou qui interagissent avec les figurants et le décor) est le moteur essentiel du système-monde. Mais l’intercréativité et l’interprétation sont aussi un excellent moteur auxiliaire.

kF fait remarquer que le gameplay principe dans les jeux OSR consiste en une guerre des questions. Autrement dit, pour éviter de tomber dans les pièges que leur tend le monde, les joueuses doivent harceler l’arbitre de questions sur la scène, le décor, les figurants et le monde.

Pour aller plus loin :

[Article + Podcast] L’interprétation, sur Outsider

[Article] kF, Poser des questions harmonieuses en OSR, sur Ristretto

[Podcast] kF, PODCAST SURPRISE 04. Transmission en jeu de rôle : autour de Cimetière, sur Youtube

Ces questions entraînent plusieurs choses :

+ L’arbitre doit donner de l’information utile sur l’univers, utile puisqu’elle est demandée par les joueuses, contrairement à l’info-dump

+ L’arbitre va créer des éléments ex nihilo pour répondre aux questions (y a-t-il un système d’aération ? – Oui, il s’agit de méduses d’air qui circulent dans le donjon, orientées par des gobelins aérateurs), ce qui correspond à un phénomène typique d’intercréativité.

+ Les joueuses vont enrichir le monde des interprétations vraies ou fausses qu’elles font du décor (à quoi sert cette statue ? Comment ces gens sont-ils morts ? Quelle est la motivation des hommes-hiboux ?) : à ce titre, il est donc important que l’arbitre ne réponde pas à toutes les questions. Le système-monde doit garder une part de mystère et ne se révéler qu’au fur et à mesure.

Pour aller plus loin :

[Article] Stéphane Gallay, Campagne lupanar: information de masse, sur Blog à part

On notera que l’économie de l’information peut tout à fait être mécanisée et entre à mon sens dans une logique de système-monde : c’est le cas des jeux qui donnent des informations sur l’univers en guise de point d’expérience, ou du jeu Vade+Mecum où une carte révélation est transmise aux joueuses quand leurs spéculations se sont avérées bonne. Certains jeux, qu’on pourrait (parfois anachroniquement) classer comme de gros descended from the queen, mécanisent énormément la pose de questions aux joueuses censée orienter le world building ou accompagner la découverte de l’univers, comme Oltrée ! ou dans une taille plus modeste, Psilozone. On peut parler ici d’univers de questions.

Vous noterez qu’ici j’emploie toutes les astuces du monde pour retarder le recours à des mécaniques classiques, notamment randomisées et / ou chiffrées. Toujours dans cette même veine, nous allons reprendre le principe de lois d’univers et voir à quel point nous pouvons le zoomer pour établir un ensemble de lois qui régissent la vie quotidienne.

Certains de mes jeux Millevaux proposent ainsi quelques lois microscopiques qui sont génératrices de jeu, d’histoire et de canon esthétique. Dans Inflorenza Minima, on obtient rien d’important sans en payer le prix : c’est la loi du destin, qui se substitue carrément à un système de résolution classique. On y trouve aussi quelques lois, notamment le principe de paiement par petite obole et grande obole : pour acheter quelque chose d’anodin, on raconte un souvenr. Pour acheter quelque chose d’important, on cède littéralement son souvenir.

Odysséa est un hack d’Inflorenza Minima dans une ambiance de mythologie grecque. Les lois d’Inflorenza Minima y restent valables, mais de nouvelles lois s’ajoutent, par exemple :

+ Quand une personne apporte une mauvaise nouvelle, elle devient le messager des dieux. Si on la tue, cela annule la mauvaise nouvelle, c’est une forme de pacte. Les dieux sont cruels : le messager est souvent une personne aimée…

+ Aucune embarcation ne peut partir en mer sans qu’un membre de l’équipage n’ait sacrifié un être cher. Sans ce sacrifice, le navire coulerait aussitôt.

+ Vivre dans le sillage d’Ulysse, allié ou ennemi, c’est vivre la dernière légende qui survivra dans la conscience collective. Si un personnage quitte le sillage d’Ulysse, il sait que son nom disparaîtra de la légende. S’il ne rentre pas auprès de ses proches, ils l’oublieront. Et le personnage sera éliminé du jeu.

Cet ensemble de lois forment ce que j’appelle un univers procédural, c’est-à-dire que l’intrigue et le décor ont tendance à se générer tout seuls en jouant, à mesure qu’on applique les lois de l’univers et les conseils à l’arbitre (qui se rapprochent des principes de MC qu’on voit dans Apocalypse World).

Écorce pousse le détail vraiment au niveau quotidien, et il y a des lois pour à peu près tout :

+ « Tout est lié et voici mon histoire » : Quand deux personnages se rencontrent, ils se saluent en joignant leurs mains repliées en crochet et disent à tour de rôle : « Tout est lié. Je m’appelle X et voici mon histoire : … ». C’est une méthode pour se resituer poliment les uns les autres dans un contexte d’amnésie généralisée. Bien sûr, nul n’est tenu de dire la vérité ou d’être cohérent d’un discours sur l’autre.

+ Toutes les trois heures, l’arbitre doit déclencher une nouvelle péripétie, dont le type est tiré au hasard.

+ Il faut dormir, manger et boire en quantité suffisante, sinon on perd des souvenirs.

+ Quand on tue un animal, un monstre ou un humain, on reçoit un choc mental (dont l’impact varie suivant la classe du personnage) et on récupère un souvenir de sa victime, dont la nature est tirée au sort.

+ Quand on tue un animal, un monstre ou un humain, il faut procéder à des rituels funéraires, sinon la victime revient sous forme de mort-vivant agressif.

Et ainsi de suite… Écorce tisse ainsi un canevas de lois au niveau ras-de-terre qui automatise le scénario.

Nous arrivons enfin au système de résolution randomisé et/ou chiffré proprement dit. À ce stade, les enchaînements logiques ayant déjà largement garanti l’intrication de l’univers dans chaque action entreprise dans le jeu, on peut se contenter d’un système de résolution standard, voire minimal, comme c’est le cas dans Écorce, qui est un jeu OSR, avec un seul type de jet de dé, le jet d’attaque, des caractéristiques (presque) inutiles et aucune compétence. On peut aussi prendre le partie inverse d’un système de résolution plus complexe, appelé à ventiler de l’univers à chaque jet de dé :

+ Dans Inflorenza, chaque jet de dé entraîne des conséquences diverses (avantages collatéraux, dommages collatéraux) dont la nature est tirée sur un tableau de thèmes.

+ Dans les PBTA, chaque jet de compétence renvoie à un tableau qui liste précisément ce qui se passe en cas d’échec, de réussite mitigée ou de réussite, l’occasion ici d’amener des éléments d’univers. Little Hô-Chi-Minh-Ville s’appuie massivement sur cet aspect de la mécanique pour transmettre son univers.

+ Dans Psi*Run, à chaque jet de dé la joueuse a le choix de faire progresser ou non plusieurs aspects cruciaux du mini-univers de ce jeu : flash-back des personnages, progression des agents en noir qui les poursuivent, dommages collatéraux infligés à des victimes innocentes, etc…

+ La gamme Star Wars FFG propose des sets de dés aux symboles rappelant l’esthétique de l’univers et chaque jet de dé peut impliquer des éléments fondateurs de l’univers, comme l’intervention de la Force.

+ Et last but not least, les listes de compétences, quand elles sont bien faites, restent un moyen efficace et intuitif d’amener l’univers à travers la palette des occupations des personnages. (l’on pourrait dire la même chose de l’équipement).

CONCLUSION

Un système-monde est donc une façon particulière de concevoir un univers. Ici, il n’est plus une simple toile de fond, mais le moteur principal des aventures. C’est un environnement vivant et interdépendant, et tout l’enjeu de sa rédaction est de bien transmettre toutes les interactions à l’œuvre, interactions qui doivent être répercutées à l’échelle plus réduite du scnéario ou du scénario-jeu. Fort de tous ses ingrédients, le système-monde est un univers à haut potentiel ludique qui se passe (presque) de mécaniques classiques tant il constitue lui-même la mécanique.

Quelle que soit son échelle, un système-monde est une passionnante aventure à concevoir et à jouer, et les principes du système-monde peuvent être transposés à bon escient dans la conception de jeux vidéos ou encore de roman.

Pour aller plus loin :

Thomas Munier, Jeu et narration : ressources, sur Outsider

8 commentaires sur “Le système-monde 2/2 : La scénarisation et les mécaniques

  1. Je suis bien content d’avoir fini ce gros morceau ! Le concept de système-monde a été central dans ma démarche des dernières années d’explorer davantage l’univers profond de Millevaux, après l’avoir d’abord amené de manière plus superficielle dans des jeux comme Inflorenza ou Inflorenza Minima. Et vous, qu’est-ce que le concept de système-monde vous inspire ?

    J’aime

Laisser un commentaire