[Dans le mufle des Vosges] 43. Les petites misères

LES PETITES MISÈRES

Mille petites anecdotes et anicroches complètent le tableau d’une nouvelle menace qui se trame.

temps de lecture : 7 minutes

Joué / écrit le 07/01/2021

Le jeu principal utilisé : pas de jeu pour cette session

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, u roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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    Carl Heinrich Bloch, domaine public

Contenu sensible : aucun

Passage précédent :

42. La semaine des morts
Quand le système de résolution nous réserve une méchante surprise… Il faut accepter son sort. (temps de lecture : 7 mn)

L’histoire :

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The Hunt, par Ulvesang, un dark folk tout de guitares sèches tendus, un voyage initiatique d’une grande majesté où dort une sombre menace.

Le lendemain de ce désastre, le père Houillon en constatait un autre, cette fois dans son clocher. Plus un seul pigeon. Les corbeaux les avaient donc tous mangés. Il ne restait plus que ce merle qui avait appris à dire la messe :
« Et spiritus sanctiii… Crââ !
– Tais-toi, toi… Te prache pour rien do to ! »

La Sœur Marie-des-Eaux, quant à lui, priait au pied de l’autel, dans la Chapelotte. Il arpentait les couloirs enténébrés de son château intérieur, une pétoche à la main, passant l’autre sur la suie des murs, respirant les volutes de poussières et d’anthracite, trébuchant dans les amas de branches au sol, frissonnant dans le froid de cette demeure oubliée depuis si longtemps. Il croyait entendre les rires de Raymond, son jeune frère disparu, s’il eût jamais existé.
Et ce rire se mua en ricanement, en couinement, alors que le novice s’extrayait de ces songes.
Sortant le groin du tabernacle, un porgrelet fit son apparition. La chose n’avaient que des globes couverts de peau translucides en guise d’yeux, et se traînait sur ses deux pattes avant, son arrière-train sans anus rempli de sa propre merdre.
« Tu l’aimais bien, le Père Benoît, n’est-ce pas…
– Comment ose-tu, la peute bête-là que tu es !
– C’est notre maman truie qui m’envoie. Elle me fait te dire qu’Herqueuche est venue sur sa commande. On t’a pas oublié, et on va te faire de plus en plus mal. »

Le novice ne pouvait pas en entendre davantage. Déjà, sous un réflexe incontrôlé, il avait planté son opinel dans le crâne mou de la bestiole. Il sentit une onde électrique, le choc mental, très limité par la taille de la créature et sa propre résistance de tueur, et puis un souvenir du porgrelet, sortant de la vulve de sa mère, couvert de mucus, heurtant ses frères et sœurs dans le matin puant de la vie.

Au presbytère, il y avait de la vaisselle dans le lavier. Dans un saladier, la bâbette mit de la farine, trois œufs, du lait, du sel. Elle prit une cuillère, tatouilla la pâte et y ajouta un gros bol de cerises. Ensuite, elle mit sur le feu la tourtière et la poêle. Elle jetta dans chaque ustensile un morceau de saindoux, versa quelques cuillerées de pâte, elle frisa au bord et se dora. Elle retourna les beignets, on les entendait griller.

D’ordinaire, ce fumet faisait accourir le prêtre comme une mouche sur la bouse. Comme il ne venait pas, la Germinie Colnot en déduisit qu’il s’était absenté. Elle commença à fouiller les placards et l’ormoire : « Où est-ce que tu les planques, tes objets mémoriels, nom de Vieux ? »

« Je peux vous aider ? »

C’était la Sœur Marie-des-Eaux. La sacristine devint encore plus rouge que les séquelles de l’ébouillantement le permettaient.

Si le père Houillon n’avait pas accueilli sous l’impulsion des effluves de beignets, c’est qu’il était occupé avec son monde. Depuis qu’il avait une bâbette, il se piquait de recevoir et ce jour-là, le Sybille Henriquet, le Nônô Elie et l’Onquin Mouchotte avaient répondus à l’invite. Le Sybille, parce qu’il ne savait pas dire non, et le Nônô Elie et l’Onquin Mouchotte parce qu’ils se détestaient trop pour laisser à l’autre l’opportunité de glaner seul des ragots.

Quand la Germinie Colnot leur apporta la chicorée, suivi du novice comme un garde suisse, le curé était en plein dans une de ses anecdotes dont il avait le secret :

Le plus sapré des enfants de chœur que j’ai pu avoir, ça a bien été le Nénesse. Celui-là, le bon Vieux lui ait jamais rentré dans la tête, il y avait trop de foin à l’intérieur. Une fois pendant la messe des Rogations, alors que l’église était bourrée à craquer, et que tout le monde chantait en chœur, oualà-t-y pas que mon Nénesse s’agite et fouille sous les bancs. Moi, je décide de le laisser faire, j’ai d’autres chats à fouetter, c’est quand même la messe la plus suivie de l’an, et donc je reprends d’une voix bien forte mon « Dominus vobiscum et cum spiritus deo ». Et oualà-t-y pas que le Nénesse se tourne vers moi, la colère au visage, et me fait : « Chut ! » puis « T’érôs pas tant biscounet, j’érôs pris ène rète ! ». T’aurais pas tant biscoumé, j’aurais pris une souris !

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Void, par Wolvennest.
Tout le maelström hypnotique de la totalité forestière est concentré dans cet album rituel entre psyché-drone mélodique et blackgaze ethéré.

C’est encore avec ces rires gras en tête que la Sœur Marie-des-Eaux reprit son sacerdoce, ce pour quoi il était venu et à quoi il avait tant sacrifié : l’exorcisme.

Dans la chaumière transie de froid, sous la surveillance de ses parents, un jeune homme entièrement nu, tremblant comme une feuille, en position foetale, le sexe étréci, statuaire. La peau constellée d’hématomes.

Le novice, avec à la main la Bible du Père Benoît, reprit : « Abjure-tu ta foi démoniaque ?
– Mais je comprends pas… »

Et la Sœur Marie-des-Eaux de le battre à nouveau avec la Bible, cadençant ses coups par des prières.

C’est en sortant de cette demeure de la Grande-Fosse, pris dans une sorte d’ivresse, entre sentiment du devoir accompli et montée du doute, qu’il croisa dans cette fin d’après-midi déjà devenue une nuit férale, la Sœur Robert, sortant de l’école, avec tout juste une gamine aux genoux cagneux à son bras.

« Vous n’avez pas d’autres enfants à l’école ?
– Ah, misère ! Sans Champo pour les amener et les reconduire à travers bois, j’ai eu ben dô maux ! J’ai essayé d’aller les chercher toutes seules, mais les parents n’ont pas voulu me les confier ! Je n’ai que la petite Georgette, qui est plus bête qu’une poule ! Quand on s’est quittés, je vous avait dit que je prendrai les choses en main. Mais le Vieux m’est témoin que c’est un échec total ! Le village va s’enfoncer dans l’ignorance et l’impiété ! Pensez, tous ces gamins qui sont à courir dans les chardons toute la journée ! « 

Au village, l’ambiance chauffait à mesure que le temps se refroidissait et que la neige couvrait les sapins d’un épaisseur blanche. Alors que la Sœur Marie-des-Eaux repartait d’une visite à la Sœur Jacqueline et remontait vers le presbytère, l’Onquin Mouchotte, attablé au bar, lança à la cantonnade un « En oualà une chatte qui va aux r’gnaux ! »

C’était finement joué parce que justement une minette passait par la fenêtre, et c’est ce qui lui épargna de se faire écraser le greugnot d’un coup de poing, le novice ne put que battre en retraite.

La Mélie Tieutieu le rejoignit dehors.
« Je vois bien que vous êtes peu aise, ma sœur…
– Qu’est-ce qui lui prend à l’Onquin Mouchotte ? Qu’est-ce qu’il insinue…
– Ben j’suis pas sûr, mais comme qui dirait… Que le curé Houillon y jouerait avec votre culotte.
– Jésus-Cuit tout bouillant ! Il va m’entendre !
– Faites pas attention… Nous on jette nos ordures dans le ruisseau mais l’Onquin Mouchotte il a une bouche d’égoût, si vous voyez ce que je veux dire. »

Il continua sa progression, emberlificoté dans les vignes vierges et les broussailles, défrichant les coulisses de son château intérieur. Il parvint dans ce boudoir où les moisissures dessinaient de nouveaux motifs sur les tapisseries. L’humidité avait laissé son odeur partout. Les fougères déployaient leurs ailes entre le pupitre et le fauteuil. Le Père Benoît l’y attendait, penché sur l’étude. C’était son premier sourire qui n’était pas de composition.
« Je n’en peux plus, mon père. À quoi bon se battre pour eux ?
– N’oublie pas, Marie. On peut chasser les démons des autres mais on ne viendra jamais à bout des nôtres. »

La Sœur Marie-des-Eaux se réveilla à l’étroit dans un lit d’enfant. Des toiles d’araignées tendaient un voile au-dessus de sa tête. Le parquet était vermoulu jusqu’à la rupture, craqua sous ses pieds nus. Ce n’était pas la première fois qu’il se retrouvait dans son château intérieur à son corps défendant. Il décida de poursuivre le rêve lucide. Il fouilla la malle d’où montaient des germes de pommes de terre, à la recherche d’objets mémoriels qui pourraient lui en dire plus long.

Un daguerrotype usé jusqu’à la corde. Un homme et une femme, raides, mais ils se tiennent le bras, un signe d’affection. C’est écrit dessus à la main : « Avec tout notre amour. Père, mère. »

Le novice avait la nausée. Des phosphènes dansaient sous ses yeux, se multipliaient et se ramifiaient comme des organismes vivants. Il fallait se réveiller ! Il se frappa le ventre et la poitrine, la douleur était présente, mais rien n’y faisait. Il se larda la main à coup d’opinel.

Quand il reprit ses esprits, il était dans la cuisine des Thiébaud. L’endroit était plus mal entretenu que jamais, ça schlinguait l’urine humaine et la crotte de chat, et les casserolles carbonisées s’accumulaient sur la cuisinière. Le temps de reconnaître leurs visages avachis, il tenta de comprendre ce qu’il était venu faire là. Oui, en savoir plus sur les cordes.

« Pouvez-vous me parler davantage de votre fils, Basile le cordelier ?
– Comment ça ? On n’a pas de fils ! »

Il les regarda fixement, et la surprise céda à la révélation. Les deux pauvres vieux avaient perdu la mémoire.

Ils avaient été consommés.

Lexique :

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.

Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet épisode : 1706
Total : 78633

Système d’écriture

Retrouvez ici mon système d’écriture. Je le mets à jour au fur et à mesure.

Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

Voir cet article

Épisode suivant :

44. Quand les charrues pousseront dans les arbres
Trafic de confessions, fricot au ragondin, danse folklorique et vertige logique, voici le menu de l’épisode du jour ! (temps de lecture : 7 mn)

3 commentaires sur “[Dans le mufle des Vosges] 43. Les petites misères

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