LA SEMAINE DES MORTS
Quand le système de résolution nous réserve une méchante surprise… Il faut accepter son sort.
(temps de lecture : 7 minutes)
Joué / écrit le 14/12/20
Le jeu principal utilisé : Nervure, un jeu de cartes et de rôle pour explorer la forêt de Millevaux, par Thomas Munier
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)
beanpumpkin, cc-by-nc, sur flickr
Contenu sensible : insulte grossophobe, pulsions suicidaires
Passage précédent :
41. Nourrir les faibles
Enfin, le retour aux Voivres et un épisode pour se poser. Avec un changement de jeu de rôle pour guider l’écriture, cette fois-ci on passe à Nervure ! (bon, juste deux tirages…) (temps de lecture : 5 mn)
L’histoire :
L’Âtre et l’enfant, par Edinbourg of the seven seas, une guitare folk sans voix pour des forêts mystiques à habiter vous-même.
Le retour aux Voivres permit aux exorcistes de retrouver un semblant de notion du temps. On leur dit que c’était l’Octave de la Toussaint, aussi leur périple aurait duré une vingtaine de jours, à une éternité près. Le Père Benoît était inquiet. Il avait mentionné à la Sœur Marie-des-Eaux qu’il craignait pour la sécurité du Père Houillon, sans pouvoir nommer pourquoi au juste. Il lui avait même confié : « Et si ce curé venait à disparaître ? Qui sait si le diocèse en renverrait un autre ? Et si j’étais appelé à le remplacer ? Je me croyais voué à de plus hautes destinées, mais ai-je le droit de décider ce que la providence me réserve ? »
La Germinie Colnot se traînait vers le lavoir communal, poussant à la brouette un baquet d’eau chaude et des bôgeottes chargées de soutanes et de sous-vêtements sacerdotaux. « Faut-y donc que j’y mette moins de sauce dans ses plats pour qu’y tâche moins ses affutiaux ! », pestait-elle. « J’sais bien qu’on doit pas faire le bouayre pendant l’Octave mais l’bon Vieux m’pardonnera bien si c’est pour briquer les habits d’Monsieur l’Curé ! ». Et la oualà penchée sur lo betch, toute ronde qu’elle est, et trempe, et trempe, et frotte, et frotte. Et oualà-t-y pas que s’approche d’elle une vieille bonne femme, grande, raide, sèche comme un coup de trique, avec pas plus de dents dans la bouche qu’un poisson-chat et des moustaches pareilles. Un temps, la Germinie imagina que ça serait à ça que ressemblerait la Sœur Marie-des-Eaux dans quequ’ temps, et ça la fit rigoler. « Vous êtes qui madame ? Je vous ai jamais vu par ici, vous êtes pas de cheu’nous ! »
La vieille la fixait avec un air de jugement dernier. Il y avait quelques cheveux qui dépassaient de son large chapeau de paille, mais c’était bien tout ce qu’elle avait sur le caillou. Elle s’approcha sans répondre en se cramponnant sur son bâton, et la bâbette était toute rouge, sous l’effort, le froid, et disons-le tout net, l’inquiétude. Ses guenilles immondes sentaient tout comme si on les avait trempées dans du purin, pour sûr l’étrangère respectait l’interdit de l’Octave.
S/T, par 5ive. Du drone speed/heavy doom instrumental, tempête de goudron en fusion pour une débauche de son hallucinée et macabre.
« Tu peux m’appeller Herqueuche. »
À entendre ce nom, la Germinie s’arrêta tout net, le battoir en l’air.
« Alors comme ça on coule la lessive pendant la semaine des morts ?
– Pardon, madame, je savais pas ? »
Et l’ancêtre sourit d’un air mauvais, contente de prendre en faute. Elle chopa la tête de la sacristine et la plongea dans le baquet d’eau chaude. Sa poigne était d’acier.
« Ah là grande guéniche-là ! Je vais t’apprendre le respect ! »
Ce fut le Père Benoît qui lui retira la tête du bouillon, se brûlant la main au passage.
« Vous allez la laisser tranquille, sorcière !
– Tu crois pas si bien dire ! C’est quoi ce curé qui m’empêche de punir les pécheresses ? »
Et elle lui asséna un coup de béquille dans les côtes, on aurait dit un coup de barre à mine !
Il se plia en deux et alors elle lui cassa presque son bâton sur le dos, en poussant un cri de jubilation.
Le prêtre comprit qu’il n’avait pas affaire à une personne normale. Il roula sur le côté, brandissant le crucifix qu’il portait en sautoir autour du cou. Il avait tellement mal qu’il s’était pissé dessus.
« Horla ! Créature maudite ! »
Herqueuche émit un râclement de gorge digne d’un oiseau de proie. Ses yeux roulaient dans ses orbites.
Elle passa son bâton derrière sa tête comme on prend son élan avec un fléau.
« Enlève ça de ma vue, gros couillon ! »
Le Père Benoît n’eut pas le temps de la moindre prière qu’elle avait écrasé son bâton sur sa poitrine, éclatant le crucifix au passage.
« Ça y est, je vais rencontrer mon destin. », voilà la pensée qui le traversa.
« Lâche-le, peute bête de l’enfer ! », breuîlla la Bernadette.
Herqueuche flanqua un coup de boutoir en plein dans le crâne du prêtre.
« Fiche-moi la paix, l’envoûteuse ! T’es pas forte assez ! »
La cuisinière lui allongea sur le greugnot une claque qui aurait assomé un bœuf.
« Et celle-là, elle est pas forte assez ? »
L’entité fut si surprise qu’elle recula et détala sous le couvert forestier sans demander son reste.
La Germinie Colnot était à genoux, le visage fumant et rouge comme une écrevisse, où se lisait un mélange de peur, de reconnaissance et d’incompréhension.
« Bonté divine ! J’en ai le sang qui tourne en boudin ! »
Dans ses bras, elle tenait la carcasse du Père Benoît.
Ce fut le père Houillon qui lui administra les derniers sacrements.
Created in the image of suffering, par King of Woman, un stoner doom avec un chant féminin incantatoire et hypnotique pour une chevauchée épique et rituelle à travers les bois.
Encore une procession funèbre de trop.
La Sœur Marie-des-Eaux s’était peu à peu laisser distancer pour se retrouver en queue de cortège.
Derrière, il n’y avait que la bâbette, qui la suivait partout depuis, une chienne en quête d’un os ou d’une caresse, cherchant à exprimer auprès du novice une gratitude qu’elle n’avait pas eu d’occasion d’exprimer à son supérieur.
Non loin devant, se dandinaient la Sœur Jacqueline, bras dessus bras dessous avec la Bernadette qui ne cessait de demander à la Sœur Marie-des-Eaux comment ça allait, sans jamais obtenir de réponse.
Il y avait bien sûr la Mélie Tieutieu et le Sibylle Henriquet qui avaient transmis leurs messages de commisération.
Mais c’était loin d’être suffisant pour diluer la tourbe dans laquelle le novice s’enfonçait.
Si c’est une nouvelle demeure du château intérieur, à quoi sert-elle ?
Il voyait les voivrais de dos suivre le cercueil dans le vent frisquet de Vosmembres. Il entendait leurs sabots crisser sur le sol gelé.
Pourquoi avait-on si peu félicité les exorcistes de leur retour et des services rendus ?
Et partout en lui, ça montait. Ce dégoût croissant de l’humanité. Ainsi qu’une remontée de pétrole venue du fond de la terre.
Le vin d’honneur ne fut pas en mesure de soigner son aversion. La contrition des villageois s’affaissa dès lors qu’on fut à l’abri dans l’Auberge du Pont des Fées, et que le vin chaud et la brioche circulèrent, et toute trace d’affliction avait tout à fait disparu quand au bout d’une heure, on lança les parties de belote et de tarot.
Le pire, c’était le curé Houillon, à l’aise en société comme un coq dans sa basse-cour, qui au bout du deuxième verre, était tout de suite parti dans ses anecdotes, et tous les amnésiques du canton à l’écouter avec plus d’attention que s’il était sur la chaire à débiter son sermon.
« Je ne vous ai jamais raconté pourquoi la peinture du Jésus-Cuit a été retirée de l’église ? C’était une fois que j’avais dû monter jusqu’au diocèse. Donc, comme je devais être absent pendant des semaines, j’avais confié la garde de l’église à l’Ernestine Couanney. C’était une grenouille de bénitier née avec une hostie dans la bouche, je savais que les lieux seraient mieux protégées que par un régiment de hussards !
Mais oualà-t-y pas que mon Ernestine Couanney elle se penche sur le tableau du Jésus-Cuit et qu’elle le trouve bien fissuré, bien patiné, bien abîmé, quoi ! Elle se dit, quand même c’est bien dommage, je m’en vais le restaurer, monsieur le curé il aura une saprée bonne surprise à son retour, et moi ma place au paradis elle sera toute acquise !
Et donc que mon Ernestine, elle décroche le tableau, elle le passe à la soude coustique, et puis elle redessine un visage au Jésus-Cuit, comme ça de tête, une bouille que même les gamins de l’école ils auraient fait mieux !
Et moi qui rentre, et elle me dit, l’est-y pas plus beau maintenant mon Jésus-Cuit !
Et moi qui répond, mais ma bonne Ernestine, maintenant j’ai plus qu’à le mettre à la poubelle ! »
Il n’en pouvait plus de rire, et toute l’assemblée lui emboîta le pas, parce que c’était drôle d’accord, mais surtout parce que c’était un fait inconnu ou oublié de tous, alors c’était précieux, comme un nectar du bon Vieux dans ses caboches.
La Germinie Colnot, surtout, ouvrait grand la bouche et les yeux et n’en perdait pas une miette. Son visage avait gardé la marque de l’ébouillantement. Elle frémissait, c’est comme si ces bourrelets prenaient vie.
En fait, c’était la résilience même des villageois, cette capacité à se relever de tout, qui écœurait la Sœur Marie-des-Eaux. Il les plaqua tous sur place et s’ensauva dans les tréfonds de la forêt. Il courut sans se retourner, sans compter le temps, il voulait juste mettre le plus de champ entre lui et ses contemporains.
Quand il s’arrêta pour reprendre son souffle, il était au milieu d’une clairière, dans le nombril du monde sauvage. Il n’y avait pas le moindre bruit ni le le moindre souffle de vent et le froid arrêtait même l’écoulement du temps.
Il y avait cet arbre au milieu, grêle et haut dans la pleine lune.
Et dans ces branches, pendues, toutes ces cordes.
Et bout de ces cordes, des nœuds coulants.
Lexique :
Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.
Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet épisode : 1725
Total : 76927
Système d’écriture
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Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :
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Épisode suivant :
43. Les petites misères
Mille petites anecdotes et anicroches complètent le tableau d’une nouvelle menace qui se trame. (temps de lecture : 7 mn)
3 commentaires sur “[Dans le mufle des Vosges] 42. La semaine des morts”