[Dans le mufle des Vosges] 55. La rafle

55. LA RAFLE

Un acte grave coincé entre deux rêveries folles.

(temps de lecture :  7 minutes)

Joué / écrit le 14/05/2021

Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse.

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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Musée de la broderie de Fontenoy-le-Château, domaine public

Contenu sensible : rafle, mutilation

Passage précédent :

54. Que le grain meure
Quand la guerre entre humains et Corax connaît un grave tournant. Reprise du roman-feuilleton après une trop longue trêve ! On s’approche du dénouement ! (temps de lecture :  5 minutes)

L’histoire :

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We are falling, par By The Spirits, du dark folk à la fois désenchanté,  majestueux et presque martial, qui se perd dans les tréfonds de la forêt pour émettre le triste constat de la déchéance humaine.

Vingt-sept de Descendres

Réveillé en pleine noire-nuit par des revoyottes qui n’étaient pas les miennes.

Des revoyottes de Champo. Je me suis vu dans son corps, quand il était enfant, avec ce chien de berger qui me suivait partout, me protégeait et gardait les moutons pour ainsi dire à ma place.

J’ai ensuite assisté aux funérailles célestes de mes parents. J’ai vu leurs corps déchiquetés par les corbeaux, et j’ai gravi la montagne pour voir le lieu sacré où ils emportaient leurs âmes. C’est là, au milieu des empilements de pierres ornés de fanions, que j’ai rencontré le père de tous les corbeaux, une entité à tête de corbeaux avec un corps massif parcouru de milliers d’ailes, de becs, de serres et d’yeux. Et j’ai compris qu’il ne fallait pas essayer de communiquer avec cette chose, qu’il fallait fuir, tout de suite. Et mon patou s’est sacrifié pour couvrir ma fuite. Je ne l’ai jamais revu depuis.

Puis j’ai continué à grandir sous l’égide d’une sherpa qui m’a appris son métier. Ensemble, nous avons gravi le Hohneck, réputé invincible. Mais elle y a laissé sa vie et moi j’ai perdu sa mémoire.

Je me suis réveillé de plein fouet. Cette fois-ci, j’avais dormi dans les habits de Champo pour me préserver du froid. Je ne comprenais pas d’où me venaient ses visions mais j’étais reconnaissant de partager un peu de sa vie.

Le lendemain à presque-aube, j’étais au village, je voulais reprendre mes harangues auprès des paysans, quand bien même j’attendais peu d’écoute de leur part après l’incident d’hier. Les crampes d’estomac étaient de plus en plus violentes mais je n’avais pas toujours pas la tête à manger.

Dans la grand-rue, les lavandières qui allaient casser la glace pour laver le linge. Dans mon état de demi-conscience, j’étais pris de demi-visions. J’avais l’impression qu’elles lavaient des suaires d’enfants. Un prospecteur ambulant criait « Peaux-peaux-peaux de lapins ! ». Je n’arrivai même pas à me concentrer sur l’image mentale écœurante de ces êtres qu’on écorche comme on retrousse un gant, car un détail m’obnubilait. Il n’y avait pas d’hommes.

Sauf cet acheteur de peaux de lapins, et le Sibylle Henriquet, qui se précipita vers moi : « Marie, Marie ! Ils ont trouvé où sont les Corax ! Ils sont tous partis là-bas ! Écoute, j’ai toujours pensé que t’étais de notre côté. Alors, si tu prends la défense des corbacs, je suis avec toi ! Il faut qu’on les rattrape ! »

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Fragment of Sirens, par Icos, du post-hardcore dans la plus grande tension entre lourdeur et mélodie, une âme en peine qui remonte de terre à n’en plus finir.

Je suis monté avec lui sur son cheval et nous sommes partis à toute vitesse vers Fontenoy !

Sibylle a cravaché au maximum de ce qu’il pouvait tirer de la bête sans mettre sa santé en danger, au travers des bois sans forme aux arbres brogneux, des décombres de ce qui fut jadis Bains-les-Bains, sur les dernières langues de goudron aux abords des flots grondants du Coney.

Arrivés au Moulin Cotant, nous trouvâmes le tracteur du Nono Élie garé en travers de la route.

« Vous avez rien à faire ici ! »

« Vas te faire voir ! », a répondu le menuisier. Et il a envoyé son cheval par-dessus le talus. Nous avons tracé au travers des fûts bombés de broussins. L’animal agita un moment la patte après avoir écrasé une épine, mais il surmonta sa douleur et ne perdit pas en vitesse.

Nous arrivâmes dans Fontenoy-le-Château par ce détour. Les chasseurs et les troupes de Moretti étaient en train de rafler les habitants. Ceux d’entre eux qui se transformaient en corbeau étaient abattus sur place dès leur envol, et retombaient au sol sous forme humaine, nus et brisés. Et ceux qui n’osaient pas se transformer étaient embarqués.

À voir ce spectacle, des fourmis se mirent à ramper devant mon regard. Je savais à peine quoi faire. Un frisson de fin de temps me parcourait de part en part. Je ne sentais plus l’écoulement du temps, c’est comme si tout ce monde était immobile, et pourtant j’étais incapable de profiter de ce saisissement pour me bouger et prendre l’avantage.

J’ai vu Augure courir dans les ruelles et je l’ai enjointe à monter avec nous. Ni elle ni moi ne pesions guère, et en effet le cheval put supporter nos poids.

On n’a pu sauver qu’Augure. Elle m’a dit que d’autres s’étaient échappés, mais les voivrais avaient pris une bonne vingtaine d’entre eux, dont des vieillards et des enfants. Des femmes surprises en train de broder, les chasseurs piétinant leur ouvrage. Ils les avaient remportés au village dans des caisses pour qu’ils ne puissent pas s’enfuir sous forme de corbeaux.

J’avais échoué. J’avais totalement échoué.

Au retour aux Voivres, je n’ai pas pu faire grand-chose de plus que de réfugier Augure dans la yourte et de me blottir contre elle pour retrouver un peu de chaleur.
Je savais qu’il faudrait retourner au village et se battre pour sauver ses frères et sœurs et je ne m’en sentais absolument pas les ressources.

Vingt-Huit de Descendres

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Origine(s) part 1, par Nors’Klh (ambient orchestral, lyrique et exotique pour la décadence des grandes civilisations)

C’était au cœur de la nuit brune. J’avais passé la journée à trouver une cachette pour Augure, dont je tairai ici l’emplacement. Je commence à penser que mon journal pourrait me trahir, pourtant je ne peux me résoudre ni à le détruire ni à l’arrêter, je ressens un besoin vital de le poursuivre. Mon identité s’effiloche et seule cette discipline permet de lui conservant un semblant de texture. Cependant, je le garde toujours sur moi, je n’ai pas envie que les soudards de Moretti le découvrent en fouillant la route. Si on me capture, on le trouvera donc aussi et il est possible qu’on me torture pour découvrir ce que le journal cache, mais je suis préparé mentalement à cette éventualité.

Si les nuits sont toujours longues par ici, en hiver, elles paraissent interminables, d’immenses tunnels de froid, de sauvage et d’incertitude où je me tourne et retourne tel une âme en peine.

Je suis à nouveau dans mon château intérieur. Je ne contrôle désormais plus rien de ces visites, ni quand j’y arrive, ni dans quelle demeure. Là, je suis dans les jardins, des pendeloques de glace dégoulinent des branches, et il gèle à fendre les os. Sans crier gare, le ciel vire aux ténèbres et un déluge de choses me tombent dessus.

Des cloportes, des crapauds et des scolopendres.

Je veux me réfugier à l’intérieur quand je vois la silhouette d’une religieuse sous un orme. Alors, la curiosité l’emporte sur le dégoût et je vais la voir.

Elle se retourne et son visage est proprement habité. Je reconnais aussitôt celui représenté par la gravure d’un ouvrage que j’ai longuement compulsé.

« Vous êtes… Sainte-Thérèse d’Avila ?

La pluie répugnante qui nous assaille couvre en grande partie ma question et sa réponse.

« Oui, ma Sœur.
– Que faites-vous là ?
– Tu es perdu, mon enfant, je suis venu te guider. Te guider dans ton château intérieur. »

Malgré la peur, l’épuisement, la rage, et par-dessus tout malgré l’acédie qui avait rongé ma foi morceau après morceau, j’ai ressenti un bien-être qui n’avait pas d’équivalent en intensité à part celui des douleurs corporelles que je connais jour après jour. Un bien-être qui se ressentait dans mon corps par une forme de soif inextinguible. La soif de sens, je suppose.

Je lui emboîtai le pas sans plus poser de questions, et nous arpentâmes les demeures de mon château en train de s’effriter, toutes couvertes de vermine et n’en ayant cure.

Nous écrasons des ampoules de sérum moisi sous nos pas. Des louves gravides émergent des fours délabrés et des trous dans les murs. Nous reculons dans le temps, je reviens à notre rencontre et je refuse de la suivre, finalement je la suis, où nous sommes dans un lointain futur, sur les corniches du château, un ange aux ailes de feuilles lance un dard de feu dans le cœur de la Sainte, elle entre en extase mystique.

[passage illisible, écrit en transe]

Nous sommes dans des antichambres, la pollution corrompt les murs. Le marécage nous arrive jusqu’à la ceinture, nous y rencontrons Jésus-Cuit dans sa marmite. Il multiplie les pains de moisissure. Sainte-Thérèse pose sa main sur mon épaule et je sens une sorte d’emprise

[illisible]

J’erre dans la cave à ses côtés. Des échos de l’âge d’or me transpercent les tympans, émissions de radio, crachotis, énumérations, publicités absconses. Des résidus gluants de mes souvenirs achèvent de crever, comme cette masse duveteuse de moisi qu’est devenu Raymond, mon petit frère mort de la rougeole.
La charpente dévore des insectes qui dévorent des plantes, qui mangeant la pierre, qui bouffe la bois, et chaque chose renaît d’une autre en excroissance, par une palingénésie morbide.

[illisible]

La sainte tient mes deux mains. Le château s’effondre tout autour de nous, des racines adventives font éclater les parois et les meubles.
« Dites-moi où est cette corbelle que vous avez cachée…
– Vous n’êtes pas Thérèse d’Avila. »

Je lui déchire le visage à l’opinel.

Derrière la masse de chair en lambeaux, un nouveau visage. Celui de l’inquisiteur.

Et je vois qu’il me craint

[illisible]

Lexique :

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.

Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet épisode : 1763
Total : 97720

Système d’écriture

Retrouvez ici mon système d’écriture. Je le mets à jour au fur et à mesure.

Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

Voir cet article

Épisode suivant :

56. La curée
Le dernier épisode du roman-feuilleton Millevaux ! L’équivalent de 400 pages ! Un immense merci d’avoir suivi cette épopée post-folklorique pendant tout ce temps ! Je serai ravi de connaître vos impressions sur ce premier jet !

3 commentaires sur “[Dans le mufle des Vosges] 55. La rafle

  1. Un épisode réalisé en deux séances chaotiques d’une heure pendant ma journée de garde d’enfant… Mais je suis assez content du résultat ! Cet épisode de rafle était prémédité de longue date, et je suis aussi très heureux d’avancer sur les autres aspects, le rapprochement avec Champo et la rencontre avec Sainte Thérèse d’Avila.

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