[Dans le mufle des Vosges] 51. Le nid de fourre-t-oi-s’y

LE NID DE FOURRE-T-OI-S’Y

Alors que la panique s’empare du village, la Sœur Marie-des-Eaux choisit son camp.

(temps de lecture : 7 minutes)

Joué / écrit le 04/03/2021

Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse.

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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Bob Jagendorf, eric schepers, road less trvled

Contenu sensible : disparition d’enfant, harcèlement d’enfant

Passage précédent :

50. Des nouvelles du Vatican
On attaque le dernier volet du roman avec un regard sur le journal intime de la Sœur Marie-des-Eaux et l’apparition inquiétante d’un nouveau protagoniste. (temps de lecture :  7 minutes)

L’histoire :

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Un moment d’égarement, par Sholari111. De la musique de chambre avec un piano fataliste pour forêts humides et hantées et parfois quelques grésillements d’égrégore.

Trois de Descendres

Au cours de la nuit, j’ai été tiraillé par des rêves. J’étais dans les forêts limbiques, plus blêmes que jamais, et Euphrasie se tenait face à moi. Elle me jugeait. Elle n’avait plus de visage. Des milliers de corbeaux étaient perchés dans les arbres à en faire ployer les branches.

Quand je me suis reveillé, en nage malgré le poêle éteint, j’ai compris que mes bonnes résolutions pacifiques n’avaient pas fait long feu.

Je dois me battre.

Et je ne me battrai pas dans le camp des humains.

Je sais qu’ils veulent s’en prendre aux Corax et ce sont eux que je vais défendre. Je le dois à Frazie.

Je me suis donc levé et sans plus tardé, j’ai tranché dans le brouillard et accouru au village pour voir où les choses en étaient.

L’inquisiteur n’avait pas chômé. Je l’ai trouvé dans le presbytère, où il avait convainqué toutes sortes de villageois pour les interroger dès la nuit-brune, à la lueur des cierges.

Il a insisté pour que j’y assiste. J’ai compris qu’il voyait en moi un allié. Un fanatique comme lui. Alors qu’il alignait les questions les plus intimes, sans user de violence physique, mais avec toute la menace que représentait ses gardes-chiourmes et son propre air de supériorité, je me suis dit qu’il avait de bons éléments pour me juger son égal.

Moi aussi j’ai usé de sales méthodes.

Et je suis peut-être prêt à recommencer si ça me semble nécessaire.

Cela a été au tour de la Sœur Joseph de comparaître. Les chasseurs, formant milice, l’avaient trouvée dans le village, ils lui étaient tombé sur le râble et l’avaient embarquée dans leur gibecière.

« Qu’est-ce que vous faisiez dès potron-minet à rôder dans la grand-rue ?, a-t-il demandé.
– Je cherchais des enfants… Euh, pour les amener à l’école, je veux dire, votre éminence.
– Ne me nommez pas ainsi, je ne suis pas cardinal. Vous pouvez m’appeler votre excellence.
Tu cherchais des enfants, disais-tu ? »

J’ai senti que l’interrogatoire virait à l’accusation. La Sœur Joseph était en train de se décomposer, et ça n’arrangeait pas son affaire.

Moi, j’étais au plus mal et en plus une crise de manque me cueillait de plein fouet. J’avais besoin de mémoire. De me rappeler d’Euphrasie, de Champo, de tous ces visages qui fondaient dans ma tête. Je pouvais faire le deuil de mon enfance, mais perdre mon passé proche, ça m’est insoutenable.

« Quand êtes-vous arrivée aux Voivres ? Avec quelle mission ?
– Je… Je ne m’en souviens plus, a bredouillé l’institutrice.
– Évidemment. »

Je n’en pouvais plus. Je bouillais intérieurement, et je suis sûr que cet enfoiré le voyait. Je pouvais discréditer la Sœur Joseph, mais j’en senti que ça reviendrait à trop m’exposer, et donc à compromettre mes futures chances de protéger les Corax.

J’ai même tâté la lame de l’opinel dans ma poche, mais ouvrir la gorge de ce type n’était pas une option non plus. Soit ces dogues m’allumaient avant, soit je me mettais définitivement à dos tout le village en tuant un nouvel ecclésiastique.

Alors, j’ai fermé ma gueule.

Et la Sœur Joseph a été mise à l’isolement.

Et depuis j’ai cet arbuste qui pousse dans ma poitrine et traverse mes organes : la pousse du remords.

Et en rentrant dans la yourte pour rédigé ce foutu journal, j’ai bien compris que j’avais peut-être loupé ma chance et laissé l’inquisiteur enclencher une machine infernale. Comment l’arrêter à présent ?

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Tactile Ground, par Robert Rich, de l’ambiant microtonal pour un monde du silence riche d’une vie aussi apaisante qu’angoissante.

Quatre de Descendres

Euphrasie, je vais mal.

Je m’y vois encore. Je suis dans mon château intérieur. Nous sommes dans un grand salon envahi par les branches et les rejets. Je prends une chicorée avec toi. La nappe de la table est bouffée aux mites, griboulue de moisissure. J’essaye de te parler à toi que, oui, j’ai aimée. Mais je ne sais pas quoi te dire.

Et tu ne me réponds pas.

Je tente de me concentrer sur les détails de ta personne. Les soies de ta moustache. Les motifs de ta robe. Mais tout m’échappe.

Et je reprends connaissance, je suis les deux sabots planté dans un guéret. Les entrailles vides de la terre labourée sont ouvertes, insemées. Le vent la fouaille en vagues frigorifiques.

Le Père Bourquin me fixe, avec son menton en galoche et ses yeux de fouine. « J’en reviens pas que j’ai oublié de semer cette parcelle. C’était ma meilleure. Que l’Esprit-Chou me souffle dans le cou ! Mes excuses pour le juron. Par pitié, ma bonne sœur, bénissez ma ferme. Je crois ben que le père Moretti a d’autres chats à fouetter, et moi, qu’est-ce que je vais devenir ? »

Il y a quelque chose de malaisant à voir pleurer un paysan. C’est contre-nature.

Je ne peux pas me permettre ces absences, à un moment qui requiert toutes mes facultés. Par le Vieux, je peux pas.

J’ai constaté qu’au crépuscule, les gens rentraient pas chez eux. Ils étaient encore dehors, en tenue de chasse, à faire la ronde avec leurs fusils. Il fallait que j’aie une discussion avec Moretti, alors je suis allé le voir au presbytère. Je m’attendais bien sûr à ce que mon caractère de merde fasse tout foirer.

« C’est vous qui avez décrété la loi martiale ?
– Je n’ai rien ordonné du tout, mon cher. J’ai juste parlé à cœur ouvert avec les villageois. Je leur ai exposé ce que je savais au sujet de créatures qu’on appelle les Corax, qui sont des changeformes hommes-corbeaux et qui servent le Malin. Ils ont pris d’eux-même la décision de faire des rondes.
– Vous…
– Ah, j’oubliais de vous dire. Un autre enfant a disparu. La petite Odile Vautrin. »

Par le con de la Vierge Marie, qu’est-ce que ça voulait bien dire cette fois-ci ?

La Mère Truie était encore en état ?

Le Dârou rôdait toujours ?

Ou bien les Corax m’avaient dupés ?

J’ai pas attendu une explication de plus. J’ai embarqué une torchère et je me suis joint à la battue. Dehors, la bise aurait gelé un canard et pour tout dire, elle a plusieurs fois manqué de souffler ma flamme, mais je m’en foutais.

Il fallait retrouver ce môme.

J’ai marché aux côté de ces chasseurs que je savais mes ennemis, mais je n’ai vu que des hommes attérés d’avoir perdu un enfant.

Nous nous sommes de plus en plus éloignés les uns des autres, et j’ai échoué au Grand-Bois, je ne voyais même plus les lumières, je n’entendais plus les cris.

J’étais juste dans le ventre de la forêt, mais j’avais trouvé des traces de petits sabots, alors j’ai persévéré.

Je savais une chose de moi : mon courage est sans limites. Je n’ai jamais reculé devant le danger. Mais je prenais conscience d’une chose, en fouettant les ramilles pour me frayer un passage, en boualant à m’en faire percer la voix, c’est que le courage ne suffit pas.

Il ne suffit pas à sauver les autres.

Et ce n’est pas du désespoir que ça m’a inspiré. Cela a surtout renforcé ma misanthropie. Cette haine de mes semblables que seul l’amour du Vieux peut atténuer encore. La haine des lâches, la haine des méchants et la haine des intrigants. Je les vois partout autour de moi et les figures d’innocence sont à leur merci.

Car mon courage ne suffit pas à les sauver.

Mais j’ai entendu un cri léger, comme un chevrotement de biche blessée qui m’a fait sauter le cœur jusqu’aux yeux, et j’ai couru, j’ai couru, j’ai arraché les ronces et les aubépines à l’opinel, et j’en ai extraite la petite Odile Vautrin, labourée d’éraflures et au bort de la catalepsie, mais vivante.

Les autres enfants l’avaient emmenée cette nigaude à la chasse aux œufs dans le nid de fourre-t-oi-s’y, à savoir le buisson d’orties et d’auberpines d’où je l’avais tirée.

Ces imbéciles n’ont pas compris la leçon. Leurs farces à répétition ressemblent à l’appel de la forêt. Ils s’ensauvagent et la seule qui pouvait y mettre bon ordre, est maintenant sous séquestre.

Voilà comment s’est conclue cette misérable journée.

Euphrasie,

Tu me manques.

Sans toi, je suis prisonnier sous la glace.

Lexique :

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.

Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet épisode : 1555
Total : 92237

Système d’écriture

Retrouvez ici mon système d’écriture. Je le mets à jour au fur et à mesure.

Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

Voir cet article

Épisode suivant :

52. Récuse-potot
Quand l’ordinaire entre en collision avec l’horreur. (temps de lecture : 9 minutes)

3 commentaires sur “[Dans le mufle des Vosges] 51. Le nid de fourre-t-oi-s’y

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