[Dans le mufle des Vosges] 35. Millevosges

MILLEVOSGES

Les dés sont tellement cruels !

(temps de lecture : 6 minutes)

Joué / écrit le 12/10/2020

Le jeu principal utilisé : Inflorenza, héroïsme, martyre et décadence dans l’enfer forestier de Millevaux + Écheveuille, un jeu de rôle tout en un pour s’égarer dans l’infini des forêts de Millevaux en solitaire comme à plusieurs.

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, u roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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Axel Rouvin, cc-by

Contenu sensible : infanticide

Passage précédent :
34. L’Enfer
Plongée au cœur du Jugement Dernier ! (temps de lecture : 7 mn)

L’histoire :

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De Mysterii Dom Sathanas, par Mayhem, un album séminal du black metal, brut, liturgique, un hymne à la mort à la fois glacial et martelé.

Il ne fallut que quelques secondes à l’église pour devenir un holocauste. La charpente s’enflamma d’un seul trait, les vitraux éclatèrent en choeur sous la chaleur et les déflagrations, et des flammes montèrent des bancs comme une forêt infernal.

« Il faut sortir de là ! » Cette fois, c’est la Sœur Marie-des-Eaux qui essayait d’extirper ses camarades, malgré ses béquilles et son handicap. Son instinct de protection reprenait le dessus.

Il y avait encore l’opportunité de se réfugier sous la crypte, mais elle avait en tête les avertissements du Père Benoît, et donc elle poussa tout le monde vers une des portes latérales, pressentant que ce serait une erreur de passer par le grand portail. Le prêtre suivit, couvrant la Madeleine de sa soutane. C’était en fait celle qu’il fallait pousser le plus, elle montrait une sorte de réticence à survivre. La Sœur Marie-des-Eaux lui donnait des coups de béquilles aux airs de : « On a pas fait tout ça pour ça ! »

BBBBRRVVVVVVVRRRRRRWWWWOUFFFHHH !

La fermière était dehors. Le novice avait suivi.

Et une poutre toute en braises s’était écroulée entre le prêtre et la sortie !

« Non ! »

Marie voulut retourner à l’intérieur, mais cette fois, ce fut la Madeleine qui le retint.

« Non ! C’est trop tard ! On peut plus rien faire pour lui ! »

Le novice a le visage maculé d’une cire incandescente. C’est la graisse du Père Benoît.

Et autour d’eux, le pandemonium s’était déchaîné.

Une colonne de chars et d’automobiles martèlent la grand’rue de leur poids. Surgis des taillis et des maisons qui sont devenues des ruines fumantes, des centaines de fantassins allemands, rien que dans l’horizon de l’oeil, aussi peut-être sont-il un millier répartis dans la ville, sinon plus.

Perdu au milieu de bourrasques de fumée, un gars leur fait signe de les suivre. Béret vissé sur la tête, grosses moustaches et un rouleau de ronces passé comme des barbelés sur son épaule.

« Faut pas rester là ! Suivez-moi dans les caves ! »

Mais c’est dur de faire confiance aux habitants de Xertigny. L’épisode de la Mémère Peutot est encore vif. Les deux rescapés sont totalement concentrés sur leur survie. Leurs yeux sont brûlants des larmes du Père Benoît disparu à l’instant, mais on gémira plus tard. Chacun doit à l’autre de sauver sa couenne. Il y a cet autochtone et sa proposition de cachette, mais il y a aussi les bois, à portée de sprint, avec peut-être l’espoir de s’échapper du purgatoire.

La Madeleine prend l’initiative. Elle saute du haut de la terrasse sur la grand’rue. La Sœur Marie-des-Eaux lâche ses béquilles et saute à son tour, la fermière la rattrappe. La Madeleine attrappe les bras du novice et le flanque sur son dos. Elle traverse la route aussi vite qu’elle peut, sous le feu des balles perdues.

Le couvert des bois, cette forêt maudite qui a tout envahie, est accueilli comme le paradis. Elle court encore à travers les broussailles, entre les sapins, jusqu’à ce que le poids du novice la fasse chuter et rouler. Tous deux, ils se cognent contre les pierres et les troncs, ils rient, ils sanglotent.

La ville n’est plus qu’une lointaine rumeur de chaudron, des escarboucles annonçant l’orée. Ils étaient là, à embrasser les lèvres de la terre, simplement étonnés d’être encore en vie.

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Diminution, par Leila Abdul-Rauf, un jazz de chambre lunaire, profond et unique pour des forêts hantées par des fantômes vides.

La Madeleine est posée sur un talus, elle se gratte les croûtes. C’est plus fort qu’elle. Elle n’a jamais connu d’autres façons de gérer l’angoisse.

« Du moment que j’ai été une Soubise, on ne m’a jamais permis de me soigner. Pas même d’aller voir un guérisseur. En fait, c’est simple, du moment que mon père a donné ma main, on ne m’a plus rien autorisé du tout. Vous m’avez arraché à ça et pourtant j’ai continué. Je m’autorisais pas à vous aimer. »

La Sœur Marie-des-Eaux n’était pas douée pour la consolation, mais elle se demanda ce qu’aurait fait le Père Benoît à sa place. Alors elle s’allongea sur la fermière et la prit dans ses bras. Et ils s’endormirent à peu près comme ça, dans les flambées de la presque-nuit.

C’est à la suite de cette nuit que la notion de cycles solaires et lunaires devint caducque. Il fut dès lors impossible de se situer dans la journée. La forêt aux alentours de Xertigny était plus limbique encore qu’ailleurs. Les deux rescapés erraient, se soutenant l’un l’autre et s’aidant de branches.

La Sœur Marie-des-Eaux délirait. Elle cherchait Maurice.

Agathe fut la première personne qu’ils virent depuis la bataille.

C’était une communiante tout en blanc, elle souriait comme au jour du ravissement et portait un cierge allumé dans ses mains. La Madeleine et la Sœur Marie-des-Eaux se décidèrent à sortir de leur bosquet pour aller lui parler, il fallait bien se décider à demander son chemin après tout, et la fillette était à mille lieues de l’image qu’on peut se représenter du danger.

C’est alors qu’ils virent un renard émerger derrière lui, à ses trousses, de toute apparence ! La bête pouvait être enragée, il fallait réagir vite, et la Madeleine leva son bâton bien haut.

Le crâne du renard fit un bruit sec, celui d’une noix qu’on casse. La fermière n’avait pas voulu le tuer, mais la peur lui avait soutiré la mesure de ses forces.

Ce que les deux rescapés ne comprirent que bien plus tard, c’est que le renard voulait s’en prendre à des rats qui suivaient la petite.

Des rats pestiférés.

Ce fut le début d’une ère de survivalisme, à se nourrir de châtaignes, à dormir dans les fossés. Ils ne voulaient plus retourner au bourg. Ils évitaient les promeneurs dans la forêt, suivant juste de loin en loin ce que devenait Agathe.

Quand la fièvre s’empara d’elle.
Quand son cou se chargea de bubons.

Elle errait dans la forêt, dans un état second. C’est sa mère qui dut l’abattre, pour l’empêcher de contaminer des gens.

« Le lac, dont parlait la Frazie, ou crois-tu qu’il est ce lac où je pourrais trouver la paix ?, demandait la Madeleine.
-J’en sais rien.

J’en sais rien.

J’en sais rien… »

Le tonnerre et les éclairs du Jugement Dernier crevaient les frondaisons.

Ce fut par la mère d’Agathe, quand la Sœur Marie-des-Eaux se proposa pour donner les derniers sacrements, qu’ils apprirent que la peste noire était en Xertigny. C’était l’an de grâce 1642.

Le novice parlait souvent tout seul, ou plutôt il parlait à Frazie. Il terminait toutes les conversations qu’ils n’avaient pas eu la chance d’avoir, et parfois il prenait à parti la Madeleine pour lui en confier les conclusions :

« Tu vois, les différentes origines des Vosges cohabitent dans un arbre temporel : comme il y a plusieurs futurs, il y a plusieurs passés, plusieurs causalités qui cohabitent et se ramifient toujours plus avant quand on recule dans le temps. »

Ils étaient alors juchés sur le piémont, et la masse brumeuse du massif les surplombait.

« Il y a mille Vosges… », conclut la Madeleine.

Lexique :

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.

Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet épisode : 1332
Total :  65731

Système d’écriture

Retrouvez ici mon système d’écriture. Je le mets à jour au fur et à mesure.

Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

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Épisode suivant :

36. Le lac
Quand pointe la lumière au bout du tunnel, on se prend à chérir l’obscurité. (temps de lecture : 6 mn)

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