[Dans le mufle des Vosges] 21. Barbelé

BARBELÉ

Aux Voivres, ça ne cesse jamais de friter.

Joué / écrit le 13/04/20

Jeu principal utilisé : aucun pour cette session

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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Devil’s Rope Museum, cropped + contrast by Dake, cc-by-sa, sur Wikimedia Commons

Contenu sensible : queerphobie, ultraviolence, aliénation

Passage précédent :

20. La confession
Quand la peur rampe dans les cœurs et que l’amour se fraye un chemin.

L’histoire :

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Weiland, par Empyrium, du dark folk en noir et blanc, une sorte de moyen-âge fantasmé par les romantiques allemands, à la recherche d’une lumière dans la forêt.

A la presque-nuit, les premières grosses gouttes commencèrent à taper sur les carreaux et les gouttières du presbytère. Le Père Benoît contemplait le spectacle de la forêt dégoulinante derrière la vitre. Il finit sa prière, agenouillé au pied de son lit, puis se redressa et retroussa le bras de sa soutane. Il prit de l’eau dans une cruche, la bénit et commença à masser la marque qui s’étendait de son poignet jusqu’à sa clavicule, une longue fresque tatouée à l’encre de résine noire, avec des effets de relief qui trahissaient une technique sarcomantique et qui animaient l’image d’une vie maléfique. Epousant le détail de ses veines, on pouvait voir le dessin de sentiers qui parcouraient les flancs boisés des Hautes Vosges jusqu’à une sinistre masure dotée d’une enseigne. Et partant de son poignet, pour se multiplier au fur et à mesure jusqu’à profuser aux alentours de la maison, des mouches que l’encre semblait doter de mouvement, elles suivaient le roulement des muscles, et on si on espaçait son regard, on jurait qu’elles s’étaient déplacées.

« Si je n’étais pas mort de faim, de fatigue et de froid, je n’y serais pas entré, soupira le Père Benoît
On ne se sentait pas le bienvenu, à l’Auberge aux Mouches. »

Il était ainsi, enté dans sa chair, ce souvenir dont il aurait tant voulu se débarasser, et chaque regard vers sa peau lui donnait des revoyottes rapides et très floues, des visages dans l’auberge, lui rentrant à l’intérieur, ce qu’il avait vu et ce qu’il avait dû commettre et encore les mouches, les mouches, les mouches.

Bzzzzt… Bzzzzzzt….

Cela faisait trop longtemps que ce vrombissement l’avait tranquille. Il chercha à les repérer dans sa chambre, les mouches à merde, les mouches grasses, les mouches piquantes, peut-être cachées derrière le crucifix au mur, collées aux vitres en sanglots, mussées dans les fissures du plafond, ou encore butinant le pot de chambre.

Mais elles n’était pas visibles. Elles n’étaient qu’audibles, les maudites.

« C’est bien, Bzzz, Bzzzz… Tu vas donc aller à Xertigny… Alors nous progresserons dans notre enquête… Sur cette mort inexpliquée… Sur ce crime impuni…
– Si je le fais, vous me laisserez enfin tranquille ?
– Bzzz, nous verrons. Tout sera fini quand le mystère sera résolu. »

La Sœur Marie-des-Eaux n’avait plus la force ni l’envie de prier, de réciter l’Apocalypse ou de tenir son carnet mémographique. Il s’était endormi depuis longtemps sur son grabat quand la grasse-nuit emplit le presbytère de son huile, la Sœur Jacqueline ronflant à ses côtés, qui parfois claquait des lèvres pour lâcher quelque mot d’enfant en plein sommeil.

L’homme avait crocheté la porte arrière, et s’était introduit à pas de loup dans la demeure. Il ouvrit très doucement une chambre, constata que sa proie n’y était pas, puis en essaya une autre. Quand il tomba sur le cellier, il vit, se repérant aux simples lignes des choses comme un rapace nocturne, la forme de la Sœur Marie-des-Eaux, déjà à moitié morte, enfin à sa merci. La Sœur Jacqueline ne constituerait pas un obstacle.
Alors il se pencha sur le novice, contempla un instant son regard. Si sûr de lui, il murmura : « J’ai jamais si tu étais un homme ou une femme… ». Et il referma ses deux grosses pognes autour de son cou, et serra très fort le fil de fer barbelé qu’il portait.
« Tiens crève dans ta clôture, sale vache ! »

La douleur fut si intense qu’elle réveilla aussitôt la Sœur Marie-des-Eaux pour le plonger illico dans une revoyotte.

C’est une revoyotte très abstraite. Marie se trouve en face d’un petit enfant en habits noirs, la mine grave mais innocent. Il est devant une fontaine couverte de mousse, au cœur d’un bois de hêtres et de chênes. Il tend les bras vers le gamin, il crie son nom :
« Raymond ! Mon petit frère ! »
Il veut l’attrapper mais ses mains passe au-travers de lui et de la fontaine, qu’elles percent comme un rideau. Il boit la tasse.

Il est dans une rivière qui file à toute allure, des troncs dérivants le heurtent, des branches le griffent, il coule, l’apnée dure longtemps, trop longtemps…

Il se réveille ! Les piques du barbelé lui rentrent dans la gorge, il y a du sang partout sur les draps, et penché sur lui, la gueule crispée par une forme de plaisir presque orgasmique, le fils Fréchin !

La Sœur Marie-des-Eaux est incapable de se défendre. Sa seule consolation, c’est d’avoir pu se confesser avant que ça n’arrive.

Mais le sourire dégueulasse sur le visage de son assassin est coupé d’un coup. Un autre homme, massif dans l’embrasure de la porte, lui a planté une faucille dans le dos.

« Fallait que je l’arrête. Fallait que je l’arrête, ce tueur. »

Celui qui disait ça, c’était un autre tueur. C’était le père Fréchin, le maire. Il avait fait justice à sa manière.

Le Père Benoît accourut juste derrière. Son premier réflexe fut de se jeter à genoux pour prononcer l’absolution et fermer les yeux du fils.

Pourvu que je ne sois pas arrivé trop tard. Pourvu que je lui ai épargné les forêts limbiques !

Il emporta le maire à l’extérieur, déployant une force qu’on ne lui soupçonnait pas, suffisante en tout cas pour déplacer la grosse masse du moustachu qui gueulait : « Fallait que je l’arrête ! Ah vinrat de nom de Vieux ! Mon fiston ! Pourquoi t’as eu mon sang de tueur ? Et toi, Marie, oublie pas, toi aussi t’es un tueur ! On doit vivre avec ça, on est maudits ! »

Laissant au père Houillon le soin de faire barrière au maire, il se précipita tout en nage dans sa chambre, ouvrit sa valise en bois dont le vernis se craquella, un tas de choses qui s’avéreraient des plus utiles, et il freugna dedans pour en dénicher les meilleurs éléments. Sa bible, un exemplaire noir tout simple et tout ratatiné par les multiples compulsions, son goupillon, des fioles d’eau bénite et de sel bénit, son crucifix qui avait la patine des objets mémoriels puissants et les arêtes d’une arme de corps à corps, ses instruments d’autopsie qui ici seraient utiles pour administrer les secours d’urgence, et enfin sa collection de daguerrotypes dont les motifs métalliques perclus d’oxydation avaient saisi des silhouettes de horlas.

« Maintenant, siffla-t-il entre ses dents, ça n’est plus une mission d’exorcisme. Cela n’est plus une mission sous vos ordres, satanées mouches. Maintenant, c’est une affaire personnelle. »

Six d’Opprobre
Saint Bruno
Jour de l’Âne dans le calendrier républicain

Dès presque-aube, ils étaient sur le pied de guerre. L’averse qui avait commencé contraint le prêtre exorciste a enfiler des guêtres pour protéger ses bas de soutane du péteuillot. Il alla tambouriner à la porte de l’Auberge du Pont des Fées. La Bernadette, toute tirée de son sommeil, lui bouâla dessus qu’il allait réveiller ses clients, mais aussitôt qu’il lui eût expliqué la raison de sa venue, le bien-être de sa maisonnée n’eût plus aucune importance, et elle se couvrit d’une toile de jute pour le servir au presbytère.

Quand elle vit dans quel état se trouvait la Sœur Marie-des-Eaux, elle sanglota : « Mon pauvre enfant, mon pauvre enfant ! »

Mais elle se tourna bien vite vers la personne pour qui le Père Benoît l’avait mandée :

« Sœur Jacqueline, ma sœur, tes amis vont partir. Tu vas rester avec moi maintenant et je vais m’occuper de toi. »

Et elle caressait sa coiffe et portait sa main au visage potelé de la doyenne, qui elle restait sans expression, comme une chouette empaillée.

« Viens, lève-toi, ma chère. Je vais bien prendre soin de toi, et pour toujours. », et elle aida la nonne-enfant à sortir de sa couche, elle mettait son bras sur son épaule et leurs joues se touchaient.

« Viens, viens… »

La Sœur Marie-des-Eaux les laissa partir, d’abord parce qu’il n’était pas en état de faire grand chose à part endurer son mal, et ensuite parce qu’au bout du compte, c’était le plus juste.

Quand elle fut sortie du presbytère avec son amour de Jacqueline, la Bernadette plongea la main dans son tablier pour vérifier à tâtons la présence de ses deux fétiches.

Le morceau de la corde avec laquelle Basile s’était pendu, et le morceau de bois du confessionnal arraché par l’opinel de la Sœur Marie-des-Eaux.

Alors ça a marché.

Pendant ce temps, le curé Houillon, son anneau de cheveux tout hirsute autour de sa tonsure à cause de l’affreuse nuit passée, faisait ses dernières recommandations au père Benoît :

« Alors vraiment, vous voulez prendre la Sœur Marie-des-Eaux avec vous ?
– Oui, si je le laisse là, il sera victime de nouvelles tentatives d’assassinat. Et vous seriez également mis en danger en l’hébergeant. Donc on va le porter avec nous. Il a une grosse capacité de résilience, et vous le retrouverez tout aussi nerveux qu’avant quand nous reviendrons.
– Benoît… N’essayez pas d’être son père. Vous pensez pourvoir à son salut parce qu’il est actuellement vulnérable. Mais c’est et ça restera toujours une beusse enragée.
– C’est une brebis égarée. On l’a dressé et maintenant il peut être un bon élément du troupeau.
– Par ailleurs, je vous en supplie, ne prenez pas ces affaires d’exorcisme trop à cœur. Ici, ce que demandent essentiellement les villageois au prêtre, c’est de prier pour chasser les orages, les plaies climatiques, et le feu. Ce sont des païens à peine débourrés. Plus vous en ferez, plus ça se retournera contre vous.
– Il suffit, Père Houillon. Gardez à l’esprit que je suis votre supérieur. Il m’appartient de juger de la pertinence des actes que je commets au nom du Vieux, et je vous intime de vous conformer à mes décisions. Rappelez-vous encore les courriers que je vous ai préparé. Ils doivent tous traverser la forêt et les montagnes qui nous séparent de l’évêché. Le Vieux aura vos pigeons en sa sainte garde.
– Entendu, mon père, j’obéïs une fois de plus et je me charge d’enterrer les morts. »

La Frazie Pierron les attendait dans l’arrière-cour, sa hotte sur le dos, son fichu dégoulinant sur ses sourcils de charbon. Les arbres chialaient de l’eau par toutes les feuilles, et au milieu de tout ce marasme, elle était apparue comme le diable en personne.

Le Père Benoît prit les manchons avant du brancard, la Madeleine Soubise, toute voilée dans un grand châle, prit les manchons arrières et ensemble ils soulevèrent la Sœur Marie-des-Eaux qui ne pesait rien, et traînant le Polyte dans leurs guêtres, ils suivirent la chiffonnière qui s’empressait de monter la côte.

Ils avaient juste dépassé le panneau du village que le père Houillon les rattrappa, couvert d’une bâche et haletant comme un mort-né :
« Le… Le… Le Père Soubise…

Ils l’ont retrouvé… Mort… Enfermé dans sa fosse à purin ! »

Et pour appuyer cette nouvelle, la pluie se mit à dégueuler de plus belle tout ce que le ciel avait dans ses tripes, il faisait noir comme dans le cul du loup, et le martellement sur le pavage herbu de la route sonnait comme les tambours du Déluge.

Ce sale de temps d’peau d’chien, c’était pas naturel.

Lexique :

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.

Préparation :

A. Pas d’exercice d’écriture de Draftquest ce jour car pendant le confinement, mes conditions d’écriture sont sous-optimales, donc j’économise du temps là-dessus.

B. Retrouvez ici mon système d’écriture. Je le mettrai à jour au fur et à mesure.

Bilan :

A. Au début de cette séance, j’ai incorporé une des suggestions de Damien Lagauzère : « Et si le Père Benoit avait un souvenir tatoué ou gravé à même la peau, quelque chose qu’il ne voudrait et ne pourrait ainsi oublier? Un peur comme dans le film Memento ^^ Cela ferait office pour lui de mobile à ses actions même s’il en a oublié l’origine. Il suivrait « les ordres » de ce souvenir. Cela pourrait être un passage de l’Apocalypse ou une historiette tirée de l’almanach. »
J’ai fait un tirage sur l’Almanach comme suggéré, et ça m’a donné : « Si je n’étais pas mort de faim, de fatigue et de froid, je n’y serais pas entré, soupira le Père Benoît
On ne se sentait pas le bienvenu, à l’Auberge aux Mouches. »
Pour finir de m’inspirer de Damien Lagauzère et de ses influences, je suis parti du principe que les mouches sont les créatures qui enquêtent sur le meurtre de l’Hommonde dans La Trilogie de la Crasse, sauf qu’ici elles enquêtent sur le meurtre du Vieux…

B. Les effets de système donnent des scènes très intéressantes ! Après celle du tatouage des mouches, voici que je tire « un PNJ avance sur son objectif ». Je tire un objectif et j’obtiens « Le fils Fréchin veut tuer un exorciste ! » C’est déjà une scène de ouf, d’autant plus que je l’ai faite comboter avec l’objectif du père Fréchin, et ça ne vient pas comme un cheveu sur la soupe car les deux ont été mentionnés lors de la scène de l’enterrement (coup de bol en ce qui concerne le fils ! ). Je continue à appliquer mon système à fond : ayant choisi une arme particulièrement dégueulasse qui inflige une grande douleur et fait frôler la mort, je suis forcément tenu d’appliquer les règles d’Ecorce, et donc la Sœur Marie-des-Eaux a une revoyotte ! J’applique ensuite d’autres tables, qui me disent que le Père Benoît s’implique davantage. Ensuite, je tire un terme de patois sur une table : freugner (ce qui veut dire fouiller), ce qui m’invite à inventer cette valise du Père Benoît et tout son attirail d’exorciste qui je l’espère servira prochainement !

C. Je bénis également les listes d’équipement, car ça m’a permis de recaser les fétiches préparés depuis longtemps par la Bernadette 🙂

D. Je choisis de finir ma session d’écriture un quart d’heure plus tôt, parce que je suis arrivé au terme de mon script qui précède le voyage. Prochaine séance, on joue l’exil avec Oriente !

Aides de jeu utilisées :

Almanach

Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet épisode : 1847 mots
Total :  43323 mots

Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

Voir cet article

Modifications : dans les objectifs des PNJ j’ai enlevé le fils Fréchin et j’ai rajouté les mouches, j’ai rajouté un passé et une liste d’équipements pour le Père Benoît.

Question au public :

N’ayant pas eu de réponse à ma question posée dans l’épisode précédent, je me permets de la reposer :

Qu’est-ce qui donne aux exorcistes de l’espoir ?

Épisode suivant :

  1. Le déluge

Premières étapes de l’exil jouées avec Oriente, frappées sous le sceau d’une pluie maudite et d’un climat de défiance mutuelle.

3 commentaires sur “[Dans le mufle des Vosges] 21. Barbelé

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