[Dans le mufle des Vosges] 15. Le baptême

LE BAPTÊME

Quand tout le monde se prépare à la grande conflagration. Un épisode à nouveau marqué par un grand remaniement méthodologique.

Joué / écrit le 25/02/2020

Jeu principal utilisé : L’Empreinte, de Thomas Munier, survivre à une transformation qui nous submerge

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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Verity Cridland, cc-by

Contenu sensible : violence à l’égard des animaux

Passage précédent :

14. Tombé du ciel
Entre un prêtre exorciste qui avance ses pions, une escapade enfantine au cimetière et un mystérieux cadavre, un épisode construit avec un programme d’écriture de plus en plus complet et automatisé.

L’histoire :

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Pyramids, par Pyramids, du black metal étouffé avec un chant clair éthéré, étrange et déstabilisant.

La lumière du zénith était si dense qu’elle parvenait à trouer les vitres verdies de mousses et baigner le presbytère de sa chaleur. Le père Houillon servit des énormes pommes de terre farcies au père Benoît et aux deux sœurs.

« Pardonnez mes piètres talents culinaires. La nonne qui donne l’école n’a jamais accepté de faire la cuisine ni même de passer le balai.
– Je vous remercie mon père, et pour ce qui est de vos nonnes, nous aurons toutes les discussions nécessaires au sujet de l’obéissance, qui est censée être leur vertu première, avec l’humilité. »

Sœur Marie-des-Eaux sépara la farce de la chair de sa pomme de terre. Le chien du curé considérait ses reliefs avec envie, mais le père Houillon le rappela à l’ordre.

« Si le père Houillon est d’accord, peut-être pourrions-nous assister à une messe en l’honneur de votre venue, père Benoît.
– Excellente idée. »

La Sœur Marie-des-Eaux fit des gros yeux à la doyenne, mais celle-ci lui fit comprendre d’un regard entendu qu’elle avait une idée derrière la tête.

Toute l’eau des averses tombées dans l’après-midi dégoulinait des branches des bouleaux et des sapins, détrempant le père Fréchin en pleine répétition générale de son discours, perché sur une pierre au milieu du ruisseau du Prédiot, le ruisseau des fous. Il était là, en écharpe tricolore, l’eau dégueulant de son chapeau et de sa moustache, annonnant entre ses dents jaunes des phrases pillées à des grands noms du passé :
 » Labourage et pâturage sont les mamelles des Terres Franques et s’il n’en restait plus qu’un, je serais celui-là…

Alors, c’était bien ? »

Emergeant des fougères, apparut la femme qui avait parlé à Champo dans le cercle de champignons, près de l’Etang Lallemand. C’était la même, avec ses cheveux en vagues de noir et de gris, ses narines, ses oreilles et ses lèvres percées de bijoux, et son odeur de plumes mouillées. Elle marcha dans le ruisseau sans se soucier de puiser sa cape, jusqu’à être tout proche du maire, sensuelle et inquiétante.

« Ce sera bien si je t’aide.
– Oui, j’ai besoin de ton aide, Augure. Les voivrais sont de plus en plus difficiles à tenir. Même mon fils ne m’obéït plus. Aide-moi à les aider. »

Elle referma sa main comme une serre.

« Tu veux les avoir sous ton emprise, et mes pouvoirs peuvent te le permettre. Mais tu sais qu’il t’en coûtera.
– Peu m’importe. Je ne supporte plus que ça parte en quenouille. »

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Phillharmonics, par Agnes Obel, un piano-voix pour chanter les derniers et les plus fragiles des grands espaces, et les histoires minuscules qui s’y tapissent.

Le presbytère n’avait a proprement parler qu’une chambre d’hôte, que le Père Benoît s’attribua. Aussi les deux sœurs étaient cloîtrées dans la cave à vins, environnée de l’odeur de moisi qui remontait à la faveur de la presque-nuit. Il n’y avait pas de fenêtre et donc la pénurie de bougies allait se faire sentir plus dure encore. La Sœur Jacqueline toussa. La Sœur Marie-des-Eaux appuyait sur les pages du carnet mémographique pour en expulser l’humidité.
« Qu’est-ce qui vous a pris de proposer une messe en l’honneur de ce garde-chiourme ?
– Ecoutez, Sœur Marie, je sais que vous avez le Père Benoît dans le nez, comme toute figure d’autorité, mais je vous demanderai d’être raisonnable. C’est lui qui m’a formée et je sais ce qu’il vaut. Il connaît les forêts limbiques et ses pièges. Il en sait sans doute plus sur les horlas que vous et moi. Ce que je vous ai appris, c’est juste les inguiottes de ce qu’il sait. Je sais que combattre la Mère Truie vous tient à cœur, mais en ce qui me concerne c’est une affaire de vie ou de mort. Je dois conclure cette histoire, coûte que coûte. Alors, je refuse qu’on se passe d’un tel allié. On va faire profil bas, on va faire pénitence, on va faire ce qu’il faut pour que le Père Benoît marche à nos côtés. »

Trois d’Opprobre
Saint Gérard
Jour de l’Auberpine dans le Calendrier Républicain

Le silence était si profond, à peine quelques bruits d’ailes au travers des branches, qu’il brisa sa méditation. Champo n’y arrivait pas. Assis en tailleur entre ses deux yourtes, recouvert de rosée comme la vieille toile d’araignée qu’il était, il pestait contre son incapacité à chasser les pensées parasites. Le braiement de Maurice et les prières des sœurs avaient tôt fait de lui créer une nouvelle routine de presque-aube, et se retrouver à nouveau seul lui pesait.

Il allait se redresser, car il venait de prendre une décision.

Mais Augure se tenait soudain devant elle, comme par enchantement.

« Vous avez besoin d’aide.
– Oui. J’ignore qui vous êtes, mais oui j’ai besoin d’aide. Nous avons besoin d’aide.
– Il y a peu, je vous ai garanti ma neutralité, mais les choses ont évolué. Ce avec qui j’ai fait alliance est allé trop loin, et les conséquences de ses agissements m’ont coûté. Alors je suis de votre côté maintenant. Je n’agirai pas directement, mais je vais au moins vous souhaiter bonne chance et vous confier ceci. »

Elle faisait de son mieux pour paraître impassible mais quelque chose du domaine du chagrin affleurait sous ses dires et sous sa peau.

Elle posa quelque chose dans la main burinée du sherpa. Une graine blanche.

« C’est la graine de la mort absolue. Faites-en bon usage.
– Mais qui êtes-vous ? »

Elle n’était plus là.

Champo courut jusqu’au presbytère, il jeta des cailloux sur le toit comme un gamin, jusqu’à ce que les sœurs émergent et qu’ils puissent échanger sur leurs expériences récentes.

« Vous êtes sûr de vouloir faire ça, Champo ?
– Oui, sûr. Cela devrait pouvoir attirer ses bonnes grâces.
– Mais, et votre religion ?
– Je pense que c’est tout à fait compatible. »

C’est dans le tout petit matin de l’aube, alors que soufflait une bise à vous fossiliser la peau sur les os, que le Concile des Chasseurs se réunit sous la muraille de grès rose de la carrière de la Colosse. Engoncée dans les sentiers en lacets d’une forêt toute en côte, presqu’à tomber dans le ruisseau du Coney en contrebas, qu’on entendait gronder, le site était froid et inhospitalier. Les cabanes de chantier étaient délaissées pour la mauvaise saison, et c’est là que s’étaient réfugiés une demi-douzaine de gars en tenues kakis, avec chapeaux, carabines, chiens bouâlants, et trophées de chasse qui leurs tenaient lieu de masque. Le président du concile, avec sa tête de cerf aux impressionnants andouilliers, ne trompait personne sur son identité, parce qu’on aurait reconnu sa voix rocailleuse entre mille : le Nono Elie.

« C’est plus possible ces corbeaux. Ils sont partout. Ils bouffent les bêtes qu’on tire avant qu’on ait le temps d’arriver. Ils bouffent les semis dans les raies des champs. Ils craillent à tue-tête à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. C’est des bêtes du démon. Ils ont service de cette nom de Vieux de saloperie de forêt. Alors il est temps qu’on s’organise.
On va oublier un temps les chevreugnes et les sangliers.

Notre cible prioritaire maintenant c’est ces beusses de corbacs. »

« Agneau du Vieux, qui enlève le péché du monde, prends pitié de nous. »

Le Père Benoît jubilait, ça se voyait à son sourire, toujours le même sourire fabriqué que d’habitude en tâche de fond, mais son visage était plus mobile.

Déjà les deux sœurs avaient demandé à être entendues en confession, et il n’avait pas perdu une miette de leur témoignage, il était comme un opiomane en pleine délectation de ces souvenirs si ardents. « Il en faut des humiliations pour former l’humilité », avait-il sous-entendu pour annoncer leur pénitence.

Au départ de la messe, elles avaient monté la grand-rue à genoux, et ça avait ravi les voivrais et les gamins ne s’étaient pas fait prier pour leur lancer quelques choux pourris, une denrée qui ne vient jamais à manquer quand on a besoin d’elle.

Et pendant la messe, elles étaient restées au premier rang, en genuflexion permanente, contrite, reprenant chaque chant. Le père Houillon se sentait plus de joie et en récitant les textes sacrées, sa voix prenait des envolées à faire vibrer les piliers.

Mais le clou du spectacle, c’est cette offrande qu’elles leur avaient faite.

Champo, le païen, sur leur conseil dirent-elles, recevait le sacrement du baptème.

Le père Houillon céda la place au père Benoît afin qu’il oint en personne le sherpa avec l’eau bénite.

Champo avait participé à toute la messe dans un état proche de la torpeur et l’aspersion de son visage l’en tira brusquement. C’est comme s’il plongeait dans les eaux lourdes du passé, dont il vit soudain les contours troublés. Et il s’en serait bien passé.

Les funérailles célestes de ses parents. Les corbeaux par dizaines venus se repaître de leurs corps. Il était là, encore enfant, il pensait qu’ils emportaient leurs âmes dans leur bec, et il voulait savoir où ils les emmèneraient. Alors, obsédé par ce mystère, il suit les oiseaux jusqu’à leur repaire au sommet de la montagne. Et là, il l’a rencontré.

Le père de tous les corbeaux.

Massif, avec sa tête de corbeau surmontant un milliers d’ailes, de becs, de serres et d’yeux.

Alors Champo comprit qu’il ne fallait pas essayer de communiquer avec cette chose.

Il fallait fuir, tout de suite.

Et son patou s’est sacrifié pour couvrir sa fuite. Il ne l’a jamais revu depuis.

Le hurlement de Champo mit un terme à ce qui était jusqu’à présent une messe parfaite.

Lexique :

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.

Notes liées aux règles de L’Empreinte :

Menace : une Déité Horla (la Mère Truie)
Lieu de départ : Les Voivres
Avancement :
Acte I – Introspection + Tentation + Agression
Acte II – Introspection + Tentation + Agression
Acte III – Introspection + Tentation + Agression
Acte IV – Introspection + Tentation

Préparation :

A. À la fin de l’épisode précédent, j’ai posé cette question au public : A quelle personne imprévue les nonnes vont-elles accorder leur confiance ?

J’ai eu cette réponse de : Damien Lagauzère : Et si, finalement, elles devaient accorder leur confiance à un des meurtriers de Maurice? (ne me demande pas pourquoi ^^ )

On peut dire que Damien me soumet à la torture ! Qu’à celà ne tienne, j’intègre sa réponse dans mon programme. Comme j’ai déjà beaucoup de choses programmées, cette scène se passera après la fin de la partie de L’Empreinte. Sera-ce aujourd’hui ? Mystère !

B. Voici l’exercice d’écriture de Draftquest du jour : « L’objet de cette deuxième partie du MOOC, c’est de rentrer dans l’écriture au sens le plus concret, de manière à ce que vous ayez, à la fin du MOOC, fini un premier jet. Premier exercice donc, qui va être double: écrire et lire. 1/ Tout d’abord, donnez-nous à lire une page de votre fiction. Une page, pas plus. 2/ Ensuite: lisez les pages des autres. C’est le meilleur moyen d’apprendre à écrire, en apprenant à corriger des textes. Cet exercice peut être l’occasion de deux choses: vous aider à trouver très vite « la voix » de votre texte – et vous entraîner à recevoir les avis des lecteurs… »

Lire une page de ma plume, c’est fait, puisque je relis toujours ma session précédente avant de commencer. J’ai donc choisi de lire une page de draftquesteur, en l’occurence celle de Sophie-Genevy. Je suis tombé sur un texte de SF, traitant entre autres de réalité virtuelle. Le texte m’a plu, mais si je dois le comparer à ma propre éthique d’écriture, je dirais qu’il y a par moments des choses qui sont présentées (notamment le travail artistique de la protagoniste, qui fait des « frises multi-dimensionnelles ») qui me semblent dans le flou même pour l’autrice. Cette technique de foreshadowing me semble fréquente en SF mais ça ne cadre pas à mon éthique d’écriture personnelle. Tout ce qui est présenté en foreshadowing doit avoir un rôle clair dans ma tête : même la part immergée de l’iceberg, que le lectorat ne verra jamais, doit être définie pour moi. J’espère en tout cas y être parvenu jusqu’à présent, grâce, tout simplement au fait que je maîtrise mon univers sur le bout des doigts.

C. J’ai poursuivi mes lectures à thèmes, vous en retrouverez une synthèse dans cet article.

D. Mine de rien, une session d’écriture nécessite de nombreuses sous-actions. Afin de ne me point trop m’éparpiller, de ne rien oublier et d’aller plus vite, je me suis fait une petit programme d’actions intégré dans mon tableau de bord méthodo, à recopier d’une semaine sur l’autre.

E. Tout ce peaufinement de méthodo prend du temps (pour j’espère en gagner !). Je vois encore se profiler une session d’écriture courte, 1h1/2 tout au plus…). J’ai bien peur de ne pas encore voir le bout de la partie motorisée par L’Empreinte !

F. Je trouve que les protagonistes n’ont pas assez souvent de revoyottes au regard de leur riche passé. J’inclus donc la possibilité d’avoir une revoyotte dans mon système !

G. J’ajoute le jeu de cartes du Vertige Logique à ma liste d’aides de jeu 🙂

H. J’ai un peu développé ce en quoi consiste les interludes de méta-narration grâce à des commentaires d’Alban Paladin.

I. Voici donc mon système mis à jour (lancer 1d10) :

1-5. Script ou jeu

6. idée tirée sur une table

7. un PNJ avance sur son objectif

8. métanarration : 
    1- attendez ce qui va se passer est ouf !
    2-preuve de l’investissement d’un perso dans l’intrigue ou on voit qu’un PNJ est dans la merde
    3- les personnages sont plongés dans le doute

9. Revoyotte :
    1- Soeur Jacqueline
    2- Soeur Marie des Eaux
    3- Champo
    4-Père Benoît

10. tirage de cartes aléatoires :
    1. Oriente
    2. La stèle au coeur des plaines
    3. Muses et Oracles
    4. Almanach
    5. Les larmes du Soleil
    6. Nervure
    7. Lexique gore
    8. Table des détails forestiers
    9. Image de Draftquest https://www.draftquest.fr/
    10. Tarot de Marchebranche
    11. Jeu du vertige logique

Bilan :

A. Je crois que la condition sine qua none à la fluidité d’écriture est de ne pas chercher à en faire plus que ce demande la contrainte d’écriture du moment. L’essentiel de la scène, pas de remplissage, et on passe à l’entrée suivante.

B. A nouveau, je n’ai pas beaucoup écrit vu le temps que m’a pris la mise à jour de ma méthodologie de session, mais j’ai franchement bon espoir d’au contraire économiser beaucoup de temps sur les sessions à venir.

C. La session d’écriture, très drivée par mon système s’est faite comme dans un rêve. Elle a été riche en imprévue du fait des combinaisons des tirages aléatoires et des inférences que je devais faire. On progresse, j’ai pu appliquer une suggestion du public et je pense que le prochaine épisode nous verra enfin en confrontation avec la Mère Truie !

Aides de jeu utilisées :
La stèle au coeur des plaines
Nervure

Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet épisode : 1556 mots
Total : 33996 mots

Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

Voir cet article

Modifications :
+ ajout d’un matériel pour Champo (la graine de mort absolue)
+ ajout d’un objectif pour le Concile des Chasseurs

Question au public :

Voici la question qui fait suite à cet épisode :

Quel est l’événement dont la nature (rationnelle ou surnaturelle) va faire débat au sein des exorcistes ?

Épisode suivant :

16. L’heure du sacrifice

Enfin uni.e.s, les exorcistes s’apprêtent à tout donner.

5 commentaires sur “[Dans le mufle des Vosges] 15. Le baptême

  1. Et bien là comme ça tout de suite, je pense à 2 évènements. Le 1er serait… la pluie! La question serait alors de savoir pourquoi une averse poserait des questions justement. Serait-elle la conséquence d’une menace lancée par une sorcière, une sorte d’imprécation? Aurait-elle été précédé de signes qu’un villageois aux talents d’haruspice aurait pu interpréter? S’agit-il d’une pluie acide ou surnaturelle? Et en 2nd, je pensais à l’intervention d’un Horla… mais un gros ^^ un truc énorme du genre d’un rejeton de Shub-Niggurath qui jaillirait du fond de la forêt. Là encore, pourquoi? A-t-il été appelé? Arrivet-t-il par hasard? Je n’en sais rien ^^

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