Je poursuis mes lectures d’inspiration pour Millevaux et Dans le Mufle des Vosges ! Voici mes retours d’expérience sur les derniers ouvrages qui me sont passé entre les mains.
- La Forêt des Mythimages, de Robert Holdstock.
(vous verrez aussi le titre « La Forêt des Mythagos« ). Voici un livre qu’on m’avait conseillé il y a fort longtemps comme inspiration pour Millevaux et j’avoue l’avoir négligé parce que mon vœu de pauvreté m’interdit d’acheter des livres, et aussi parce que je pensais que c’était trop littérature de jeunesse. Une bonne âme m’ayant offert ce livre (et les trois titres qui le suivent pour former un cycle), j’ai pu rattraper cette lacune. Et quelle claque !
Le livre nous plonge dans l’histoire d’un vétéran anglais de la seconde guerre mondiale qui retourne dans sa maison natale, en bordure d’une forêt sauvage qui a longtemps fasciné son père et son grand-frère. Il va découvrir que cette forêt est magique : son espace intérieur, quasiment infini, recèle des créatures issues de l’inconscient collectif… Les humains qui vivent à proximité peuvent d’ailleurs engendrer leurs propres « mythagos » de façon plus ou moins volontaire. Le héros va s’enfoncer dans cette forêt à la recherche de son père et de son frère, et va y faire la rencontre de la farouche Gwienneth, une mythago qui bouleverser sa vie.
Il y a tout Millevaux dans ce roman. Un champ lexical forestier très fouillé, des manifestations de la ruine, des horlas, et une version fascinante du concept de l’égrégore.
Bref, un classique absolu pour toute personne qui veut explorer Millevaux plus avant.
- La sorcellerie en France aujourd’hui, par Dominique Camus.
Ce livre d’ethnographie dresse un portrait de la sorcellerie dans les années 90. J’avais déjà beaucoup aimé le « Pouvoirs Sorciers » de Dominique Camus (une enquête anthropologique en immersion dans le milieu des envoûteurs et des désenvoûteurs), mais cet ouvrage « La sorcellerie en France aujourd’hui » a un GROS truc en plus : une collection de photos (notamment des voults et des poupées percées de clous) impressionnante qui donne vraiment à voir toute la diversité des dispositifs d’envoûtement. Seul bémol : cette iconographie est tellement riche que je doute de la véracité de tous les fétiches présentés. Je pense (j’attends d’avoir tout lu pour m’en assurer) que l’auteur les a fabriqués lui-même pour les besoins de l’ouvrage. Mais pour un usage fictionnel, cette référence est sans prix.
- Ravage, de René Barjavel
Une très bonne inspi pour Millevaux, une pièce importante de SF rurale également, que j’ai consultée pour ma biblio Dans le mufle des Vosges
En revanche, il convient de préciser qu’idéologiquement, le roman se place pas mal à la droite de la droite. Publié en 1942 chez un éditeur collabo (Denoël), on sent l’influence de pensées telles que « le retour à la terre » qui furent également chères au Maréchal. Bien qu’il serait déplacé de qualifier Barjavel de collabo (il a été gracié de cette accusation par le conseil de la résistance, et Barjavel était de surcroît antimilitariste). Ce qu’il faut retenir, c’est que le personnage, archétype du héros terrien, se montre à la fois patriarcal, ultraviolent et antimoderne quand il s’agit de protéger les siens. ça en ferait un PJ ou un ou PNJ en demi teintes. Par ailleurs, on ressort de cette lecture avec des images fortes, que ce soit de paysages dévastés, de lieux hallucinés ou de nature à reconquérir.
Faut-il sauver le soldat Barjavel ? Excellente question. Alors oui, à sa décharge, il y a d’indéniables qualités littéraires dans Ravage, et notamment de magnifiques descriptions crépusculaires lors de la traversée infernale de la forêt brûlée. J’ai constaté également que le récit est très ludique, différentes options se proposent aux protagonises et c’est assez intéressant de voir les décisions qu’ils prennent : l’exploration de l’asile psychiatrique évoque tout à fait du dungeon crawling ! Il y a aussi des éléments ultra utiles pour Millevaux : tout le délire sur la viande synthétique qui pourrait être une genèse de la Viande Noire, comment la survie s’organise au quotidien, la description de la forêt brûlée, le rayon Oslo qui évoque bigrement l’égrégore, l’organisation des villages à la fin du récit, etc.
Mais, tout comme avec Lovecraft, d’ailleurs, il convient de prendre du recul : un roman n’est pas qu’une esthétique, c’est aussi un homme derrière, dont il convient d’interroger les valeurs. La proximité (sans être complice, ai-je déjà précisé) de Barjavel avec des entités collabos (les Editions Denoël), la reprise à son compte du retour à la terre et de l’antimoderne, valeurs également communes avec le régime de Vichy, interrogent justement. Et cela transparaît dans le texte, avec un héros rural qui porte les vraies valeurs mais qui pourtant prend des décisions très discutables : que ça soit la totale soumission exigée de Blanche en premier lieu puis des femmes en général, ou l’ultraviolence : le héros s’avère absolument indifférent au sort des personnes qui ne sont pas dans son cercle ultra-restreint (même la mort des gardes qu’il a recruté ne l’impacte pas), et son obsession du durcissement moral face à l’adversité, d’où sa décision d’abattre les prisonniers, et de les faire abattre par celui de sa troupe qui est le plus doux, causant chez lui un véritable traumatisme. En fait, ce qui sauve Ravage, c’est, d’une certaine façon, le semi-retrait du narrateur. Quand le narrateur donne son opinion, c’est le Barjavel antimoderne et pour tout dire réac qu’on entend. mais quand il se tait, il nous laisse interpréter nous-même les actes de son héros et nous laisse juge de savoir s’il ne serait pas un anti-héros en fin de compte. Il repose l’éternelle question du post-apo : qu’aurions-nous fait à sa place ? C’est au pied du mur qu’on voit le maçon.
J’ai cru aussi lire dans ce livre un véritable traumatisme de la guerre, et quelque part le nihilisme absolu du roman, où l’homme est un loup pour l’homme et où le carnage est massif, en est un reflet.
- Les cailloux bleus, de Christian Signol
Après avoir lu Ravage de Barjavel, je me suis plongé dans un roman du terroir de l’école de Brive, sans surnaturel, mais qui brosse à merveille la vie paysanne de la fin du 19ème siècle. Il y a tout ce qui peut m’intéresser dans le cadre de la rédaction de Dans le mufle des Vosges : les saisons qui se succèdent au rythme des travaux domestiques et agricoles, la paysannerie du 19ème siècle, la petite histoire mêlée dans la Grande, du patois et quelques personnages féminins centraux qui font office de narratrices. Il convient de dire que je recherche un effet très approchant, le surnaturel et le post-apocalyptique en plus.
- Les Défricheurs d’éternité, de Claude Michelet
Je poursuis également ma lecture de romans du terroir avec un titre qui avait tout pour me plaire. Claude Michelet est un des piliers du genre (on lui doit Des Grives aux loups) mais ce livre est à part dans sa biographie, parce qu’il se passe au temps d’après Charlemagne. On y suit un groupe de moines à la volonté de fer qui partent restaurer un domaine perdu dans la Sologne. Mais quelle idée de vouloir restaurer un monastère dans un territoire entièrement gagné à la forêt et aux marécages, où les quelques serfs meurent de faim et de maladie, quand ce n’est pas de la main de seigneurs belliqueux ou d’adorateurs de Satan. Les moines auront fort à faire avec le paganisme qui conquiert leurs serfs, et c’est un véritable combat à la fois contre la Nature et contre le renoncement humain qui s’entame. Les tranches de vie rurales et forestières se succèdent à un rythme fou, on apprend plein de choses et on s’attache à ses moines tiraillés entre le doute et la ferveur. Attention, la fin est particulièrement tragique. J’ai trouvé que c’était un roman très inspirant à la fois pour Millevaux et pour Dans le mufle des Vosges.
- Héroïnes de Dieu, d’Agnès Brot et Guillemette de la Borie
Je suis en train de terminer ce petit essai historique qui retrace la vie de religieuses ayant participé à des missions d’évangélisation aux quatre coins du monde au 19ème siècle. Ce livre, à la fois chrétien et féministe, sur l’épaule de ces héroïnes et sachant prendre du recul avec leur époque, livre une très utile galerie de personnages de religieuses, à la fois indépendantes et obéïssantes, courageuses et victimes. L’omniprésence du sauvage, de la maladie, la sensation que tout peut vite être à refaire et le caractère lointain de la hiérarchie religieuse et coloniale, rapprochent beaucoup ce livre du roman Les Défricheurs d’Eternité, que je vous ai chroniqué précédemment. Le livre ne fait jamais l’apologie de la colonisation, il s’attache plutôt à nous dresser quelques portraits de femmes hors du commun dans un contexte hors du commun, et c’est exactement ce que je recherchais.
merci , y en a certains qui me branchent carrément 🙂
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