La romance en jeu de rôle

LA ROMANCE EN JEU DE RÔLE

On va s’aimer,

Jusqu’à lancer les dés

On va s’aimer,

Avec ou sans roleplay,

On va s’aimeeeer !

Il me semble que de nos jours, il est acté qu’il n’y a pas que le combat et l’enquête en jeu de rôle… Il y a l’amour aussi ! Petit tour sur un sujet qui n’a pas fini de fasciner mais aussi de faire jaser.

(temps de lecture : 19 min)

Kurt Löwenstein Education Center (International Team), cc-by, sur flickr.com

[Avertissement : Le premier jet de cet article a été réalisé il y a des années, à l’époque où l’offre n’était pas aussi pléthorique en la matière. J’ai essayé de réactualiser la biblio, mais je suis tout à fait en demande de conseils supplémentaires… Les commentaires vous sont ouverts!]

RÉSUMÉ

La romance n’est pas un sujet facile en jeu de rôle. On peut la trouver difficile à interpréter, que son potentiel ludique apparaisse faible ou qu’on éprouve une réelle gêne à aborder le sujet. Le préalable à tout enjeu de romance dans une partie doit donc être qu’il puisse être défaussé pour des raisons de sécurité émotionnelle. Si l’on souhaite néanmoins se lancer, il convient d’identifier les différents degrés d’une romance (de l’amourette à la passion) et ses différentes étapes (rencontre, rupture, relations sexuelles…). Pour amener un personnage à s’engager dans une relation romantique, il existe plusieurs écoles : celle de la calibration en méta, celle du ludo-narratif, l’approche immersionniste, et enfin l’approche mécanique. Une fois ces approches identifiées, on peut rentrer dans le détail avec quelques outils : calibration avec le collectif, consentement, intégration de la romance au sein de l’univers de jeu, degré d’engagement, péripéties romanesques, relation sexuelles… et même deuil de l’être aimé.

SOMMAIRE

Introduction

1. La romance… c’est compliqué

1.1. Quand on ne sait pas vraiment quoi en faire

1.2. C’est moins facile à jouer que de la baston

1.3. C’est confusant

1.4. La romance ne doit pas être un passage obligé

2. La romance, une histoire d’engagement

2.1. De la romance à la passion

2.2. La rencontre

2.3. La rupture

2.4… Mais aussi… le sexe

3. Comment amener l’engagement ?

3.1. Présenter l’intérêt ludo-narratif de la romance

3.2. Séduire en immersion

3.3. Faut-il mécaniser la romance ?

4. Quelques outils

4.1. Une histoire à deux qui se négocie en collectif

4.2. Une attention portée au consentement

4.3. Une romance intégrée dans l’univers de jeu

4.4. Trouver sa marque entre jeu profond et jeu intense

4.5. Les mille visages de la romance

4.6. Comment jouer le sexe

4.7. Une fin parfois dramatique

Conclusion

INTRODUCTION

Allez, on attaque un sujet qui me fait rougir un peu… La romance, l’amour, le coup de foudre, la passion, et tout le toutim vont y passer ! Bien que j’ai par ailleurs commis des choses extrêmement trash dans ma carrière, jouer des romances n’a pas toujours été ma zone de confort, et j’ai été longtemps avant de m’y mettre. Mais j’ai fini par apprendre quelques petites choses et voici une synthèse de mes acquis et de moultes initiatives glanées sur le net et dans des jeux. On espérera que la romance sera alors un sujet moins compliqué pour vous, ou au moins vous saurez mettre un nom sur vos préventions. Si vous vous lancez à l’eau, vous trouverez les différentes étapes de la romance, des écoles d’approche, et des outils pratico-pratiques.

[E-book] Coup de foudre à JDR Hill, sur PTGPTB.fr

[Articles] Dossier Le jeu de rôle et l’amour, Chroniques d’altaride N°33

[Vidéo] LA GRANDE AVENTURE : L’amour en jeu de rôle, sur la chaîne Youtube d’Aetlas

[Vidéo] L’AMOUR EST DANS LE JDR – histoires au coin du D20, sur la chaîne Youtube Zone Geek

[Article] Jeanne, Créer de la tension romantique, sur Romanceville

1. LA ROMANCE… C’EST COMPLIQUÉ

Je ne vais pas vous la jouer progressiste décontracté… La romance, c’est compliqué à jouer. Beaucoup de freins existent et pas seulement celui de « c’est du temps perdu pour la bagarre ». Avant de dresser un état de l’art de ce qu’on peut faire en matière de romance, il convient de lister d’abord les cas où la romance semble être une mauvaise idée pour une ou plusieurs personnes à la table.

1.1. Quand on ne sait pas vraiment quoi en faire

J’ai fait jouer ma première romance dans mes années lycée, avec le dungeon crawler Warhammer Quest. A l’époque, je jouais avec ma petite sœur et j’ai cru bon d’introduire une romance entre une cartomancienne et l’elfe qu’elle jouait. Je n’avais aucune idée derrière la tête à part de repomper ce que j’avais vu dans une BD. Cette romance a été jouée comme une pure cinématique, c’est-à-dire que j’ai lu à ma sœur un texte qui la relatait, ça ne souffrait guère la contradiction et ça n’appelait aucune conséquence pour la suite de la campagne.

A posteriori, je me dis que j’aurais mieux fait de m’abstenir. L’aspect cinématique était dirigiste, et cette romance n’apportait strictement rien d’autre à la campagne que de la couleur. (Bon, on était dans Warhammer Quest, et juste apporter de la couleur, c’était déjà pas si mal, mais on va dire que pour un jeu de rôle standard, ça semblerait insuffisant).

1.2. C’est moins facile à jouer que de la baston

Alors oui, je vais me donner des airs de RoRo, mais avec tout ce que ça véhicule d’un peu toxique, j’aimerais rappeler que pour beaucoup, jouer des bastons c’est ça la zone de confort, et jouer des romances c’est la zone d’inconfort. Pourquoi beaucoup d’entre nous jouons de la baston et pas de la romance ? Cela procède de différentes préférences :

+ Le jeu plutôt que le rôle ;

+ Le divertissement plutôt que l’ expérience ;

+ L’évasion plutôt que l’intime

+ Le tactique-social plutôt que l’esthétique-moral

MJ Young rappelle aussi que c’est rarement récompensé par les jeux les plus classiques : pas de points d’expérience quand vous tombez en amour !

Connie Thomson explique que pour beaucoup de personnes, la romance représente une perte de temps par rapport à l’intrigue principale. Elle préconise également de l’éviter si au moins une personne est mal à l’aise avec le sujet. De même qu’elle recommande de s’abstenir de jouer des romances avec des personnes mineures ou avec des personnes salaces.

Certaines personnes refusent la romance car elles la voient comme un moyen de pression sur son personnage, et elles préfèrent jouer des murder hoboes. La réalité des jeux et des pratiques ne leur donne pas tout à fait tort, car il peut en effet arriver que la romance soit uniquement vue par les jeux ou les arbitres comme un moyen de chantage émotionnel. Si l’objet de la romance est un figurant, il risque fort de devenir la prochaine « tête dans le frigo », c’est-à-dire quelqu’un qu’on va menacer, séquestrer ou tuer pour pousser à l’action le personnage qui l’aime. Une pratique qu’on peut certes qualifier de douteuse voire de sexiste, mais qui reste courante, notamment dans les jeux d’horreur ou de roman noir.

Par conséquent, au moment de mettre en place une romance, il peut convenir de définir avec les parties concernées s’il s’agit d’une romance-doudou (si un figurant est impliqué dans la romance, il dispose d’une immunité narrative) ou s’il s’agit d’une romance-drama (si un figurant est impliqué dans la romance, il a pour ainsi dire une cible peinte sur le dos).

La réticence à jouer de la romance peut aussi venir d’un aspect plus artistique. Certaines joueuses ressentent de la difficulté à fournir le roleplay théâtral qu’elles imaginent exigé par ce type d’intrigue. Ou encore elles ne voient pas comment donner du jeu autour de ce thème. MJ Young estime également que jouer la romance nécessite une grande immersion si l’on veut la jouer de façon sincère, et qu’il est difficile de le faire tout en maintenant une saine distance entre joueuse et personnage.

1.3. C’est confusant

J’aimerais qu’on n’en soit plus là, mais le fait est qu’il nous faut aussi composer avec nos normes sociales. MJ Young explique que la romance pose problème dans un cadre de groupe masculinisé ou hétéronormé. La romance entre joueurs mecs est vue comme un inconfort. La romance entre joueurs et joueuses est vue comme une confusion.

Je tiens à préciser qu’en tant que personne engagée dans une relation conjugale exclusive, j’ai eu longtemps de grandes réticences à jouer de la romance avec d’autres personnes que mon épouse, car j’avais l’impression de tromper, ou peur de tomber amoureux. J’y arrive davantage aujourd’hui mais j’ai dû apprendre à gérer mon bleed pour ce faire. C’est tout à fait OK d’être polyamoureux mais ce n’est pas mon cas et je voulais vous expliquer ce que ça fait alors.

« Du voile à la limite », par Benjamin K., sur Tu vois le tableau

Pour aller plus loin :

[Podcast] Thomas Munier, Varier les aventures, sur Outsider

[Article] MJ Young, Étreintes, sur PTGPTB.fr

[Article] Connie Thomson, Parlez-moi d’amour (1-5) : relations, règles, limites et intrigues, sur PTGPTB.fr

[Article] Connie Thomson, Parlez-moi d’amour (6-10), sur PTGPTB.fr

[Article] Tiramisù, Carte postale masculine, sur Tiramisù games

1.4. La romance ne doit pas être un passage obligé

On a peut-être un peu trop mis avant la romance dans les milieux alternatifs, si bien que ça deviendrait le truc à jouer si tu veux être une personne ouverte et stylée. C’est un peu oublier, outre les différentes défiances relevées précédemment et qui méritent d’être pris en compte sur une simple base de sécurité émotionnelle, que la romance n’est pas et ne devrait pas être une valeur universelle. Il convient de rappeler l’existence de personnes (ou de phases dans la vie) aromantiques ou asexuelles. Peut-être que la nouvelle frontière ou du moins l’espace à redécouvrir n’est plus les histoires de romances, mais les histoires d’amitié ou les histoires familiales, qui pourraient trouver intérêt à être jouées avec autant d’application que l’on fait parfois pour les romances.

Les Sentes, extrait du bulletin de vote de sécurité émotionnelle. Les joueuses sont invitées à cocher en secret les types de relation affectives qu’elles acceptent à voir mis en jeu (les relations familiales et amicales sont toujours autorisées). Si une seule joueuse décoche une relation, elle est exclue du jeu. Si toutes les relations sont autorisées, on peut toujours recourir aux techniques de sécurité émotionnelle individuelle pour en proscrire une en particulier pendant le jeu.

Pour aller plus loin :

[Article] Eugénie, De ma pudeur 1, sur JenesuispasMJmais

2. LA ROMANCE, UNE HISTOIRE D’ENGAGEMENT

L’engagement particulier (et parfois particulièrement intense) qu’exige la romance en fait un aspect spécifique du jeu de rôle qui explique les différents freins mentionnés précédemment. Mais c’est aussi en comprenant cet engagement, ou plutôt cette danse (entre engagement et désengagement) qu’on cerne les différentes phases de la romance pour savoir mieux la jouer tout en respectant la sécurité émotionnelle.

2.1. De la romance à la passion

L’engagement amoureux peut connaître divers degrés : flirt, amourette, romance, passion… C’est un feu qui peut être braise ou brasier, se consumer aussitôt ou brûler pendant une vie. En jouant avec les divers degrés de romance, on peut proposer toute une gradation de jeu en matière de durée à investir et de palette émotionnelle.

2.2. La rencontre

La rencontre amoureuse, avec ou sans coup de foudre, mérite une attention particulière et certains jeux se concentrent d’ailleurs uniquement dessus comme Breaking the Ice (on joue les trois premiers rendez-vous) ou Lou et Morgan (un jeu de Valentin T. où on joue le premier date avec une personne potentiellement toxique).

Pour aller plus loin :

[Article] María « Hiromi » Ríos, Débuts de relation amoureuse de PJ : les détails sont importants, sur PTGPTB.fr

2.3. La rupture

Le désengagement peut être tout autant intéressant à jouer que l’engagement, et la rupture (ou les ruptures) fait partie intégrante du cycle de vie d’une romance.

Certains jouent comme le cynique It Was A Mutual Decisionou le mélancolique Les Petites Choses Oubliées en font même leur cœur.

Dans son article Parlez-moi d’amour, Connie Thomson précise que la rupture est justifiée par le départ d’un des personnages en romance, par l’évolution de la trame, par le malaise d’une joueuse : la rupture est donc un outil fictionnel de sécurité émotionnelle.

2.4… Mais aussi… le sexe

C’est tout à fait OK d’avoir une relation sexuelle sans amour (si c’est assumé par toutes les parties en présence), mais il est aussi communément admis que le sexe fait partie de la romance. Si nous assumons pour des raisons de sécurité émotionnelle que cette partie-là de la romance peut aisément se retrouver associée à une ligne ou à un voile, nous pouvons aussi avoir spécifiquement envie de la jouer.

Un certain nombre de jeux accordent une grande importance aux relations sexuelles, plus ou moins élégamment, plus ou moins de façon hétéro-centrée ou au contraire plus ouverte (Slay with Me, Romance Érotique, Monsterhearts).

Certains jeux ou séances de jeu voient le sexe comme une fin : c’est le propos central du jeu. D’autres voient le sexe comme une métaphore de la relation (par exemple The Beast), une concrétisation ou une amplification de la romance.

Pour aller plus loin :

[Article] Frédéric Sintes, Un contrat social sain, sur Limbic Systems

[Podcast] Sexualité & Romance, par Les Aventureux

[Vidéo] Les rôlistes se mettent à table : jdr et sexualité, sur Jeu de rôle pour les nuls

[Podcast] Romance érotique, sur Toutlemondesontrôlistes

3. COMMENT AMENER L’ENGAGEMENT ?

On pourrait bien sûr se comporter en adultes et se demander clairement : « Ça vous dit de jouer une romance ? » mais ça n’est pas toujours aussi simple, on peut manquer de temps ou d’espace mental lors de l’établissement du contrat social pour se calibrer à ce sujet, de même que la romance peut émerger en cours de partie. Bien que la calibration avant ou pendant la partie me semble la meilleure chose à faire (mais tout le monde n’aime pas la calibration), voici une étude de comment engager un personnage dans une romance de façon plus ludique ou immersive.

Fiches de Destins dans Les Sentes. Le symbole précise le caractère romantique de certains Destins. Le fait d’annoncer la couleur permet un consentement plus éclairé lors des choix liés à la création de personnage.

Pour aller plus loin :

[Vidéo] Clueless Cora, Jouer des romances en GN, sur Youtube

3.1. Présenter l’intérêt ludo-narratif de la romance

La romance n’est pas forcément une intention de l’arbitre qu’il faudrait ensuite « vendre » aux joueuses : parfois c’est à l’initiative des joueuses. Ainsi, dans une de mes campagnes, un personnages est tombé amoureux d’une de mes figurants sans que je l’ai prémédité, il chercha alors à la séduire puis à l’épouser et à la protéger.

Si pour beaucoup, la romance semble exclue des formes de jeu dominantes (axées sur jeu, le divertissement, l’évasion, le tactico-social), la romance peut pourtant être vue comme une contrainte ludique fertile, ce qui va permettre de la revaloriser dans ces formes de jeu dominantes. Par exemple, dans ma partie Le colonel Boutefeu, un personnage se fait séduire par une intrigante à qui il va devoir refiler sa part du butin. L’amour peut être un moyen d’action pour un personnage (séduire pour faire pression). Et ceci peut faire glisser le jeu vers les formes deuxièmes (rôle, expérience, intimes, esthético-moral). Un simple flirt envisagé comme une porte ouverte vers la cour du roi devient une passion qu’on va jouer au fi de tous les enjeux tactiques.

Pour aller plus loin :

[Récit de partie] Thomas Munier, Le Colonel Boutefeu, pour le jeu Grogne

Dans son article Étreintes, MJ Young estime qu’une romance peut être une récompense : elle offre au personnage un figurant allié et une raison de vivre. Lilian Cohen-Moore explique la romance est un moteur d’histoire, une opportunité de roleplay.

Il se crée un cercle vertueux : la romance est au service du jeu (offrant des leviers et des récompenses ludiques et émotionnelles), le jeu est au service de la romance (les différentes péripéties de l’aventure venant pimenter la relation).

Il s’en vient la question : une romance doit-elle être problématique (i.e source d’enjeux ludiques et narratifs) ou peut-elle être gratuite (i.e de la simple couleur) ?

Lors d’une campagne d’Hystoire de Fous, j’avais demandé à l’arbitre d’avoir une épouse pour mon personnage. L’arbitre a rendu cette relation problématique en introduisant un dysfonctionnement affectif dans la relation, et ce n’est pas ce que je voulais. Je voulais simplement que mon personnage ait une histoire conjugale heureuse en plus de ses aventures. Bref, il n’y a a pas de réponse universelle à cette question, il convient de se calibrer avec les joueuses concernées pour voir si c’est OK que cette romance soit source de frictions ludiques ou narratives ou si c’est simplement un détail cosmétique ou une récompense émotionnelle… une tête qui ne devrait jamais finir dans un frigo.

Je me permets d’insister sur les facettes ludiques de la romance car ça pourrait sembler contre-intuitif. Je vois notamment beaucoup de lien entre la romance et le concept d’attrition :

+ la romance comme besoin à satisfaire ;

+ la romance comme un problème à résoudre ;

+ la romance comme soin ;

+ la romance comme adversité où l’élu.e de votre cœur fait office d’obstacle ou d’objectif ;

+ la romance comme élément de l’économie de jeu (les amant.e.s étant des ressources à sacrifiés dans les jeux motorisés par Inflorenza Minima) ;

+ la romance comme jauge : on pourrait mécaniser une relation avec un dé d’usure ;

+ la romance comme possession ou maladie (techniquée par une jauge, une prise de contrôle par l’arbitre, des états) ;

+ la romance comme ressource (dans les jeux de rôles à traits comme Inflorenza ou ton attachement à la personne te donne un dé, dans les jeux à sex moves ou romantic moves comme Apocalypse World).

Pour aller plus loin :

[Article] Lilian Cohen-Moore, Pas besoin d’être Shakespeare… pour bien jouer une histoire d’amour dans vos parties, sur PTGPTB.fr

3.2. Séduire en immersion

Pour les immersionnistes, il est hors de question de s’engager dans une romance parce qu’on nous l’aurait gentillement demandé ou parce que ça aurait un intérêt ludique ou narratif. On veut s’engager dans la romance parce qu’on y croit. Le personnage ne tombera amoureux que si c’est une évidence. C’est une approche aussi difficile à amorcer qu’émotionnellement prenante quand elle est réussie.

Dans l’approche immersionniste, hors de question de se satisfaire d’un « Tu aimes X parce que c’est dans ton BG » ou « parce que c’est le propos du jeu » ou « parce que tu as raté ton jet de Volonté ». Il va falloir être séduisant… dans la fiction.

Pour plaire ou séduire, un partenaire romantique doit-il être étoffé ? L’approche du GN romanesque prêcherait pour l’étoffe : on parie que vous allez aimer tel personnage parce que trente pages de votre background décrivent votre relation. Mais on peut aussi préférer une approche plus minimaliste, en affectant aux partenaires romantiques les quelques aspects qui sont susceptibles de plaire. On peut aussi mettre en place un véritable bac à sable de l’amour qui fourmille de partenaires potentiels, en se disant que dans la masse il y en a bien un (ou plusieurs) qui plairont au personnage.

Pour séduire via la narration, est-ce qu’on se contente de décrire son personnage/figurant, est-ce qu’on s’empare des émotions du personnage à séduire (et si oui, de façon frontale ou plutôt indirecte ?), est-ce qu’on fait des descriptions objectives (traits physiques ou psychologiques) ou subjectives (c’est la plus belle personne que tu ais jamais vu, elle te correspond parfaitement, etc) ? La réponse à ses questions vient du contrat social établi avec les joueuses, et aussi d’une succession d’essais-erreurs jusqu’à trouver la formule adaptée.

3.3. Faut-il mécaniser la romance ?

Supposons que nous ne jouons pas avec des immersionnistes-sans-règlistes-radicales, il se pose la question de la part qui doit être dédiée à la romance dans les mécaniques de jeu.

Il existe diverses façons de mécaniser la romance : jet de séduction, jet de sauvegarde contre l’amour, score de charisme…, voire des jeux dédiés contre Breaking the ice, Star Crossed ou Pour la Reine). Dans Marchebranche, un amour aléatoire généré par la table de situations dramatiques qui servent pour établir les missions des personnages et les souvenirs des personnages. Parfois le recours aux mécaniques est intéressant, dans le sens où la romance est vue comme aléatoire, comme dans la vraie vie. Dans ma partie La Meute, une retombée négative d’un conflit entraîne une blessure d’amour, et celle-ci va générer une romance qui va propulser toute la suite de la partie.

Pour aller plus loin :

[Récit de partie] Thomas Munier, La Meute, pour le jeu Inflorenza

[Article] Matthieu B., Les jeux de rôle de romance, sur C’est pas du JDR

[Article] Matthieu B., 13 jeux de rôle romantiques pour la St Valentin bien plus excitants que vos dés sexy, sur C’est pas du JDR

Toujours dans Parlez-moi d’amour, Connie Thomson fait une défense de l’approche mécanique :

+ Elle regrette des attaques contre l’existence du Book of Erotic Fantasy ;

+ Elle propose de gérer la romance avec les compétences sociales ;

+ Elle propose des « tests » de grossesse, puis de gérer la grossesse (en cas de combat, « protégez la mamma autant que possible ! »), l’accouchement, puis de gérer les enfants ;

+ Elle encourage le recours à la magie (sort de charme, philtres, etc.) ;

+ Elle recommande le supplément générique Naughty and Dice

Et pour autant, cela peut paraître artificiel (et ça l’est, par définition) : on peut trouver frustrant de s’en remettre aux dés pour juger de l’issue d’une romance ou se sentir inconfortable de savoir dès le départ que le jeu nous pousse vers la romance, alors qu’une romance plus organique, par exemple un épisode émergent lors d’une campagne de Donjons & Dragons sera mieux consentie. On prend ensuite plaisir à utiliser les mécaniques génériques du jeu pour faire évoluer des situations liées à la romance

Connie Thomson : Parlez-moi d’amour [commentaire de Pixiedragon] :

« Nous avons éclaté de rire quand le clerc du groupe se défia de mon personnage et profita qu’elle était sous l’influence d’un sort de Zone de vérité pour lui demander ce qui s’était exactement passé cette nuit-là. »

On peut préférer une séduction fictionnelle : pour que la romance prenne, il faut que les personnages ou les figurants se séduisent par la force de la narration. La mécanique ne sert qu’à gérer toutes les conséquences des actions que les personnages entreprennent en conséquence de la romance. Ou alors on se met d’accord en méta pour jouer la romance, mais là encore il faudra ensuite une force de narration… pour entretenir la flamme.

« Tricheur », par Cédric Ferrand, sur Tu vois le tableau

4. QUELQUES OUTILS

Notre premier amour s’est mal passé. Et on voudrait que vous n’ayez pas à en passer par là. Après avoir évoqué les différents freins à la romance, les formes d’engagement romantique et les écoles d’engagement (calibration, ludo-narratif, immersif, mécanique), voici un peu pêle-mêle des outils qui pourraient avoir votre place dans la besace de l’aventurier ou de l’aventurière romantique.

4.1. Une histoire à deux qui se négocie en collectif

Dans Pas besoin d’être Shakespeare… pour bien jouer une histoire d’amour dans vos parties, Lilian Cohen-Moore rappelle qu’il faut bien connaître son équipe de jeu avant d’engager une romance. L’établissement d’un contrat social (attribution des lignes et voiles, choix entre l’approche « personne ne sera blessé » ou « Je ne t’abandonnerai pas ») peut être nécessaire mais qu’il ait lieu ou non, le recours à des techniques de sécurité émotionnelle pendant le jeu doit toujours être possible, de même que les bilans d’après-partie peuvent remettre les choses à plat. Lilian Cohen-Moore préconise de faire des points hors-jeu et d’éviter de monopoliser le temps de jeu.

4.2. Une attention portée au consentement

En tant que rôlistes, arbitres ou game designers, nous avons une certaine responsabilités à éviter de véhiculer des clichés toxiques qui peuvent parfois être d’autant plus ancrés qu’en plus d’être inscrits dans une narration, ils sont mécanisés. Or, nous pouvons raconter et ludifier les histoires d’amour autrement que sous le prisme d’une hétéronormativité à la fois plan-plan et faisant peu de cas de la notion de consentement. Sans rentrer dans des considérations sexuelles, on peut se débarrasser de certains tropes comme celui du baiser volé très présent dans les contes et dans les films et livres de romance contemporains. J’ai parlé de bac à sable de l’amour tout à l’heure, mais il me semble important que tous les figurants ne soient pas, pour emprunter une expression à KCOQuidam, « PJ-sexuels ». Dans mon livre-aventure L’Auvergne de tous les dangers [en développement], la romance n’est jamais imposée, ni à læ protagoniste (qui peut choisir d’ignorer la romance ou d’entamer une amitié), ni vraiment au figurant (si certains figurants acceptent d’emblée toute opportunité de romance, d’autres ont besoin d’une condition, d’autres ne se mettront jamais en couple avec læ protagoniste). Ces romances amènent à du contenu narratif exclusif (elles ne sont pas vaines) et elles peuvent aussi connaître une fin (sur l’initiative de læ protagoniste ou parce que læ protagoniste a fait une action qui provoque la rupture par le figurant). Ce véritable algorithme relationnel est là pour rendre les relations plus réelles.

Le jeu Firebrandsporte un intérêt particulier au consentement à un niveau presque microscopique. Dans son mini-jeu de danse amoureuse, on précise à quel endroit du corps on veut effleurer l’autre, et l’autre doit toujours préciser s’il accepte le contact ou non, les conséquences étant différentes selon le résultat de cette « danse du consentement ».

Dans le GN Les Sentes, les personnages se perçoivent entre eux comme entourés d’une sphère intime qui est difficile à franchir. Aussi, tout geste de contact affectif se doit d’être esquissé pour être sûr que l’autre l’accepte. Si l’autre a une posture acceptante, on peut alors finaliser son geste, qui peut être de prendre dans les bras, toucher le visage ou encore pratiquer l’ars amandi.

Cette attention portée au consentement va plus loin que la simple sécurité émotionnelle. En chorégraphiant les échanges, elle nous donne accès un riche gameplay émotionnel, une sorte de piano des passions.

Pour aller plus loin :

[Article] Gilles Cruyplants, Ateliers : De l’art d’aimer (Ars Amandi), sur Électro-GN

4.3. Une romance intégrée dans l’univers de jeu

Dans Parlez-moi d’amour, Connie Thomson propose de :

+ intégrer la romance de façon logique à l’univers et l’intrigue de jeu ;

+ tenir compte des variations culturelles / raciales / sociales / historiques ;

+ tenir compte de la valeur attribuée au concept de Mariage dans cet univers ;

+ voir comment est considérée l’homosexualité (et plus largement la condition LGBT) dans l’univers de jeu ;

Ce dernier point (comment sont considérées les orientations LGBT dans l’univers) est particulièrement sensible. Je pense que la solution de confort est de considérer que ça ne pose aucun problème dans l’univers de jeu, même dans les jeux historiques (le réalisme étant à mes yeux moins important que le confort des personnes). On peut en faire un non-sujet ou au contraire bien réfléchir sur les raisons de la tolérance présentes dans cet univers (ou, dans le cadre d’un jeu historique, trouver des places et des moments de l’histoire où la condition LGBT était bien tolérée). Certains dispositifs tentent de mettre en place un univers non-tolérant et le font a priori pour des raisons de sensibiliser à l’homophobie ou de rajouter un enjeu dramatique. C’est très casse-gueule, parce que des personnes LGBT ou dans le placard pourraient venir sur le jeu en se disant : « chouette, je peux incarner un personnage LGBT » et se retrouver à vivre de l’homophobie ou de la transphobie, ce qui est très rarement amusant. Donc si vous proposez ce genre de personnage (une personne LGBT qui fera l’expérience du rejet ou de la dépression), prévenez à l’avance la personne qui jouera le personnage et ne le faites pas sans son consentement. Assurez-vous également lors du bilan de clarifier les positions des autres joueuses : il est parfois difficile de savoir si des propos homophobes sont tenus par le personnage ou la personne qui l’incarne. Les bilans sont fait pour casser les malentendus. Le recours in game au signe gestuel des doigts croisés (« c’est pas moi, c’est mon personnage ») me semble aussi important.

Pour aller plus loin :

Felondra, Les signes gestuels : petit mode d’emploi, sur Une pincée de Fel’

4.4. Trouver sa marque entre jeu profond et jeu intense

Les concepts de jeu profond et jeu intense me semblent nécessaires à retenir pour comprendre qu’il y a deux façons, deux temporalités pour jouer de la romance : entre coup d’un soir en one-shot et romance au long cours dans une campagne.

Dans les jeux profonds, on va laisser la romance venir de façon progressive et naturelle, alors que dans les jeux intenses, on va se mettre dans une attitude de prise de risque, qui consiste notamment à accepter la romance dès qu’elle se présente et à la jouer à fond.

Lilian Cohen-Moore préconise cependant dans tous les cas de laisser les choses émerger d’elles-même, sans forcer la main.

Pour aller plus loin :

[Article + Podcast] Thomas Munier, Intensité et profondeur, sur Outsider

4.5. Les mille visages de la romance

Je crois que nous sommes beaucoup à avoir besoin de quelques outils pour de la romance un peu plus qu’une relation d’attraction bateau entre deux personnes. Voici un pêle-mêle d’ingrédients à ajouter dans la marmite.

D’abord, les propositions de Connie Thomson :

+ la fiancée en fuite ;

+ un amour contrarié ou non partagé ;

+ combattre la loi ou l’église ;

+ l’amour comme motivation ;

+ organiser le mariage de deux personnages.

Puis les miennes propres, dont je ne peux pas forcément retracer la source :

+ ajouter des personnes dans le dipôle amoureux, des antagonistes, des adjuvants, d’autres amoureux ;

+ oser le polyamour par exemple avec le jeu descendant de la Reine Pour les beaux yeux de Lou

+ la romance comme une connexion émotionnelle à un autre personnage ou figurant ;

+ la romance comme une forme d’engagement (permanent ou temporaire) parmi les différents engagements du personnage ;

+ les incertitudes sur les sentiments de l’autre et sur les siens ;

+ l’amour comme une des forces métaphysique de l’univers de jeu.

4.6. Comment jouer le sexe

Nous avons vu le rôle des relations sexuelles dans notre sujet, et les diverses préventions qui pourraient l’entourer. Voici quelques conseils pour le jouer de façon sereine.

Connie Thomson :

+ choisir une catégorie : tous publics / 12+ / 18+ ;

+ graduer entre discours indirect, roleplay à la première personne, ou descriptions détaillées, selon les sensibilités ;

+ toujours descendre au niveau de la joueuse la plus pudique ;

+ tenir compte des degrés d’hédonismes, de paraphilie, de tabous dans l’univers de jeu ;

+ les goûts des personnages peuvent varier de la norme de l’univers de jeu.

Lilian Cohen-Moore :

+ la corporalité est à réserver aux personnes habituées au GN ;

+ faire des points hors-jeu ;

+ ne mettre en scènes les relations sexuelles que dans les très petits groupes.

J’ajouterais une proposition personnelle : dans le cas où on s’interdit de décrire l’acte, on peut mettre beaucoup d’érotisme et de sens dans une description des lieux et des circonstances de l’acte.

Pour aller plus loin :

[Jeux] Honey & Hot Wax – An Erotic Art Games Anthology

[Supplément] Shanna Germain, Numénéra – Amour et Sexe dans le Neuvième Monde, éditions Black Book

[Podcast] La Cellule, One-shot : My Centipede Boyfriend

4.7. Une fin parfois dramatique

Une romance, c’est des hauts et des bas, et on se retrouve parfois à devoir jouer une issue des plus dramatiques : la mort de la personne aimée.

C’est un moment intense à jouer, il tourne une page pour l’amant survivant et en ouvre aussi une nouvelle. Cela n’est pas forcément d’ailleurs une mort romantique avec cercueil de verre et vœu de vengeance : parfois ce n’est que la triste conclusion d’une histoire dysfonctionnelle. Dans tous les cas, ceci mérite qu’on s’y attarde pour un moment de mise en scène ou de mise en jeu.

Dans ma campagne des Sels de Millevaux, une alchimiste sacrifie son amour pour son jeune mari (qui s’est fait au préalable péter les genoux par un antagoniste qui cherchait à faire pression sur cette alchimiste) pour achever un rituel. À cause de ce désamour, le mari se suicide. Quand elle le découvre, l’alchimiste se fend d’un laconique « L’infirme est mort ! ». Un moment bien dramatique.

Connie Thomson : Parlez-moi d’amour :(commentaire de A.L.) :

« Un des PJ féminins venait à peine de réaliser qu’elle était amoureuse de son ami d’enfance, que celui-ci s’est sacrifié pour sauver un groupe de policiers durant une évasion. Puis, alors qu’elle avait fait son deuil et commençait à se tourner vers son « éventuel » nouveau compagnon, celui-là se sacrifia aussi pour sauver la vie d’un enfant. Inutile de dire qu’elle n’était guère heureuse mais l’émotion qui jaillit de cela était géniale à voir à la table de jeu et rendit l’histoire bien plus riche et appréciable. »

Pour aller plus loin :

[Récit + Enregistrement de partie] Thomas Munier, Le Grand-œuvre pour le jeu Les Sels de Millevaux

CONCLUSION

Il y aurait sûrement encore beaucoup à dire sur le sujet, et d’ailleurs beaucoup a été dit par d’autres. Ce n’est que ma modeste contribution à l’édifice, de la part d’une personne initialement très frileuse sur le sujet et qui a fini par se lancer dans le bain.

Une romance peut être un moment bouleversant dans une carrière de rôliste ; cependant je tiens aussi à défendre des romances légères et sans conséquence, qu’on dégusterait comme des bonbons narratifs. On peut aussi jouer la romance pour la lose, ce que ça fait de pas être le fruit le plus attirant du marché, par exemple avec le théâtre London Girls pour Inflorenza par Eugénie, inspiré de la saga Bridget Jones.

Bien que virtuelle, les romances de jeu de rôle sont un sujet épineux qui touche à notre sensibilité et à notre rapport aux autres. Il me semble que bien apprendre à jouer des relations amoureuses pourrait aussi nous en apprendre sur le consentement et les relations romantiques dans la vraie vie. Ça ne mange pas de pain !

7 commentaires sur “La romance en jeu de rôle

  1. Cet article a été commencé… en 2017 ! Initialement il s’agit en fait d’une préparation pour un podcast qui n’a jamais été diffusé. Je m’étais promis de finir la rédaction et depuis ce temps-là, je continuais à accumuler des notes et des références. C’est enfin chose faite ! Cela a bien sédimenté et l’article est un mastodonte. Encore désolé pour le pavé. J’espère que le résumé, le sommaire et le découpage par sous-chapitres vous permet de picorer ce qu’il vous faut.

    J’aime

Laisser un commentaire