La forêt inondée

LA FORÊT INONDÉE

Une expérience des Sentes en GN virtuel animée par Alban Damien accompagnée de son scénario à télécharger ! Au menu, le plaisir de faire du roleplay dramatique à l’intérieur d’un jeu vidéo RPG et quelques retours critiques sur le chantier en cours qu’est Les Sentes.

(temps de lecture du compte-rendu : 7 mn, temps de lecture du scénario : 12 mn)

Le jeu : Les Sentes, drames forestiers dans une réalité sorcière (jeu de rôle et GN)

Joué le 24/04/2021 sur Discord et Gather.town

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Télécharger le scénario d’Alban : PDF / texte

Dimanche dernier se tenait ma seconde itération du GN des Sentes, en virtuel, comme orga. Les Sentes, c’est un jeu de Thomas Munier qui prend place (comme la plus grosse partie de sa ludographie) dans l’univers fantastique, post-apocalyptique mais surtout forestier de Millevaux… Et c’est un jeu atypique, sinon innovant, au bas mot.

Autrement dit, il mérite bien les quelques lignes que je lui consacrerai dans un premier temps, avant de glisser un mot sur les outils qu’on a utilisés pour jouer !

Car, comme plateforme en cette période troublée (et après m’être contenté de discord dans un premier temps), j’ai choisi Gather.town. C’est une application en ligne qui permet, sous une interface digne de Pokemon, de gérer des interactions localisées avec un son spatialisé… traduction : on n’y entend que ce qui est proche de soi.

Et ça mérite aussi d’y consacrer quelques lignes, je crois !

Les Sentes

Mais commençons par les SentesC’est un jeu pro-drama, character-centered, et surtout sans MJ (qui n’est, en fait, qu’un joueur comme les autres). Bien sûr, cette organisation ne retire rien au rôle de modération qu’un organisateur doit assurer sur sa partie. Il n’exclut pas non plus la préparation, en amont, d’une certaine trame narrative par le biais de “temps forts” – des événement collectifs prévus à horaires fixes, et qui rythment le jeu. Ces temps forts, cependant, ne représentent pas la seule, ni même la principale source de la narration : ils fournissent simplement un cadre de jeu.

Comment ça fonctionne ?

Les véritables moteurs de l’histoire, ce sont les joueurs eux-mêmes, car leurs personnages sont construits autour des interactions qu’ils doivent avoir avec ceux des autres. Pas de caractéristique, ni de background de plusieurs pages ! En remplissant une liste prédéfinie d’interactions, les joueurs créent ensemble plusieurs histoires qui s’entrecroisent, se heurtent, mais qui surtout forment, a posteriori, un tout cohérent.

Les risques du set-up

Je vous disais plus tôt que cette manière de jouer s’avérait innovante et, sur le plan de la construction narrative, j’irai jusqu’à la qualifier d’inédite… Mais ce caractère profondément atypique a un prix. De mon expérience, les rôlistes et les GNistes expérimentés sont susceptibles d’être d’autant plus perdus qu’ils ne s’attendent pas du tout à pouvoir encore l’être. A l’inverse, les nouveaux joueurs, ceux qui n’ont encore pris aucune habitude, ou ne s’attendent à rien, sont ceux qui se saisissent avec le plus de facilité du système.

Sur les quatre parties que j’ai déjà eu l’occasion de jouer ou de faire jouer, j’ai pu constater qu’entre 1 joueur sur 8 et 1 joueur sur 10 n’accrochent tout simplement pas ; soit que le climat d’improvisation constante leur pèse, soit que le jeu s’avère trop éloigné de leurs habitudes. Ce nombre peut être légèrement réduit par la qualité de set-up, mais même en prenant ces statistiques avec des pincettes, vous pouvez être sûr que vous perdrez du monde sur la partie. C’est triste, mais il vaut mieux en faire le deuil d’avance, d’autant que l’absence de MJ vous rendra incapable de gerer les éventuels difficultés en jeu. La partie sera trop prenante pour que vous puissiez vous consacrer aux problèmes techniques, sauf à négliger vos propres interactions avec les autres joueurs, au risque que cela se répercute sur eux et impacte leur expérience…

Un jeu modulaire ?

Il faut également garder en tête que Les Sentes, c’est un jeu qui se présente lui-même comme une boite à outils… et elle est riche. Très riche. Trop riche, en tout cas, pour pouvoir être utilisée sans élagage. N’utiliser que 50% du jeu implique, pour les joueurs, d’avoir chacun 8 liens “fixes” avec les autres, auxquels s’ajoutent de une à cinq interactions “libres”, qu’ils peuvent effectuer avec n’importe qui durant la partie… Et c’est déjà presque trop^^”. Moi-même, pourtant expérimenté, je ne suis pas toujours parvenu en jouer autant. Ajoutez à cela que le document de jeu ne donne pas de définition précise des éléments qu’il décrit : les rituels par exemple, seuls éléments assumés comme essentiels de tout document de base, n’y sont jamais définis clairement… Cet add-on corrige le tir, mais il ne vous aidera pas à choisir quel élément garder, car les “fiches” qu’il décrit correspondent aux éléments que doit réunir un personnage, et pas à la composition du personnage lui-même !

Tous ces éléments impliquent pour l’organisateur une charge de travail implicite, mais conséquente. Il doit, au minimum, se préparer à définir les éléments de jeu au bénéfice des joueurs. En outre, le document de base ne dit rien ou presque du lore de Millevaux, ce qui suppose là encore une bonne maîtrise préalable. Heureusement, les parties des Sentes attirent souvent quelques habitués, et ces joueurs experts, déjà connaisseurs du lore, de l’ambiance et du fonctionnement général du jeu, sont susceptibles de pallier à une éventuelle méconnaissance de l’univers… à condition qu’on leur donne l’occasion de répondre aux questions bcwink A noter que l’auteur a signalé son intention d’ajouter des contes liés à Millevaux pour implémenter le lore, sous le même format que le reste du matériel des Sentes (il l’a même déjà fait dans sa variante western Dusk River)

En fin de compte, et à défaut d’être un jeu de niche (preuve en est l’expansion progressive de son public), Les Sentes constitue définitivement un jeu d’initiés. Il est au mieux difficile de prendre seul en main les 104 pages du jeu de base [dont 81 d’annexe qui récapitule les différents éléments jouables… mais !] et, autant que je sache, les organisateurs tirent énormément parti des autres organisateurs, auxquels ils peuvent se référer, dont ils peuvent reprendre les documents, etc… ou des parties qu’ils ont déjà joué, dans la même dynamique. Sans cette aide, j’avoue douter que la transmission des Sentes puisse être viable… à voir une fois que l’auteur aura, comme il en a déjà signalé l’intention, remanié son briefing !

Et alors, Gather.Town ?!

A l’origine, c’est par le biais de discord que j’ai abordé le GN virtuel. 8 salons vocaux réservés pour 6 joueurs, avec un léger temps de déplacement, simulé par les joueurs, entre chaque. Le problème, c’est qu’au-delà de 8 participants, on se marche dessus. Spontanément, on pourrait se dire “il n’y a qu’à rajouter des salons dans ce cas !” mais… non. Les interactions entre joueurs attirent les curieux, à minimum, et d’un groupe de 2 originel, vous finissez à 4 très facilement.

Or 4, c’est le début des problèmes. Que faire à 6, ou à 8, alors ?

Gratuit versus payant

Gather est une application en ligne qui peut accueillir jusqu’à 25 joueurs dans sa version gratuite. Elle propose également des offres payantes pour en accueillir jusqu’à 500, mais vous paierez alors au prorata du nombre de joueurs et oui, ça comprend les “gratuits” du début. Les offres sont respectivement à 1, 2 ou 3$ par joueur et par tranche de 2 heures, donc tout à fait accessible si vous rendez votre session payante, mais vite cher sans ça. Lorsque vous vous rapprochez d’un joueur, un canal vocal et vidéo s’ouvre avec les autres utilisateurs proches, à moins que vous n’ayez désactivé vos périphériques audio et vidéo (ce qui ne requiert qu’un simple clic).

Pour ma part, j’ai trouvé la version gratuite tout à fait appropriée. Évidemment, Gather n’a pas tout réglé les problèmes que discord avait vu émerger, mais il en a réglé pas mal… et voilà pourquoi !

D’abord, la spatialisation du jeu l’a rendu bien plus dynamique. Les joueurs intégraient de nouveaux groupes, se déplaçaient, s’écoutaient, se rejoignaient… à la manière d’un vrai GN. Évidemment, Discord ne le permet pas. Le problème des grands groupes qui ne s’entendent plus parler est resté d’actualité, mais la limite en a été décalée de 4 joueurs (discord) à 8 joueurs ; autant dire que le gain avec Gather a été conséquent.

La complexité ?

Un autre avantage de gather, c’est que la complexité (relative) de la préparation ne pèse jamais sur les joueurs. Pour l’orga, il faudra se créer un compte, importer une map – de préférence à faire soi-même, en amont, car les outils proposés pour ça dans l’appli ne sont pas ouf – et définir les cases infranchissables / les cases de départ à minima. Pour les joueurs, il suffit de leur donner un lien et ils pourront rejoindre votre espace, sans avoir même besoin de se créer un compte. Le déplacement est géré par les touches fléchées du clavier, et l’existence d’un chat écrit en plus d’un système d’emote permet de communiquer vite et efficacement avec les autres, même hors de portée de voix.

En bref, le pire que vous puissiez attendre, côté briefing, c’est d’avoir à expliquer comment changer son nom de personnage au besoin. Une manip’ qui prend approximativement 10 secondes lorsqu’on sait où chercher.

En fin de compte, la partie la plus “complexe”de gather, ce sera la map. Sans un logiciel de traitement d’image, ou sans une maîtrise déjà relative de l’appli, vous risquez de moyennement apprécier l’expérience – spécialement si vous souhaitez autre chose qu’un environnement type pokémon / pixel-art. Même avec, ne vous attendez pas à quelque chose de parfait : Gather fonctionne par quadrillage, et ajouter des carrés sur une map à arrondis pose toujours de menus problèmes.

Petite recommandation, puisqu’on parle de carte : prévoyez grand. Les mouvements des joueurs sont très rapides. Si vous voulez que certains puissent se ménager un peu d’intimité, il faut qu’ils soient moins facilement accessibles, et donc que le temps de déplacement augmente.

Et pour l’ambiance ?

Côté musique, Gather ne vous permettra pas de mettre du son directement sur votre map. D’un autre côté, un discord qui réunit tous vos joueurs en mute fera aussi bien le travail de ce côté-là. La seule partie réellement contraignante touche aux personnages, puisque quel que soit le design de vos maps, eux conserveront les apparences de base… et pour une immersion maximale, ça n’est pas top. D’un autre côté, je n’ai pas de solution à proposer. J’imagine qu’il s’agit d’un moindre mal.

Un conseil pour la fin ?

Si vous prévoyez d’utiliser Gather, mes joueur.euse.s vous recommanderaient vivement d’utiliser un système de levé de main via les emotes (accessibles en bas de l’écran, centre droit, quoi que vous puissiez utiliser les chiffres du clavier) pour signaler l’envie de parler lors des rassemblements : vous échapperez ainsi à la faiblesse des miens !

Vous pouvez également vous en servir pour signaler un problème, une appétence au RP, ou un coup de cœur sur une scène donnée : elles sont au nombre de 5. C’est peu, mais c’est assez.

7 commentaires sur “La forêt inondée

  1. Je devais être joueur sur cette partie, hélas les aléas familiaux en ont décidé autrement !

    Cependant, j’ai pu suivre la partie en mode fantôme. C’était vraiment une super expérience que d’être une petite souris et d’espionner toutes les intrigues en cours d’un bout à l’autre de la map. Une expérience de théâtre immersif en somme !

    J’avais évoqué le projet de jouer aux Sentes sur Gather.town dans l’article sur le GN virtuel. Merci à Alban d’avoir permis à cette idée de voir le jour ! ça donne envie de s’y remettre !

    https://www.electro-gn.com/12786-le-gn-virtuel-un-assaut-contre-la-frontiere

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  2. Mais c’est un jeu qui se construit par jurisprudence ?

    PS en Annexe et sur un mot : C’est fou comme les mots « innover, innovations, innovants » me sont devenu insupportable ressenti comme politiquement néolibéral et d’organisation managériale.

    Ici c’est nouveau et cela est beau.

    Innover, ce n’est pas créer, découvrir, inventer ni même progresser.
    Je renvoie à une intervention sur France Culture par Xavier de La Porte en 2014
    https://wordpress.com/post/tsuvadra.blog/1133

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    1. Je sais pas trop ce que tu entends par « le jeu se construit par jurisprudence » ? Est-ce que tu veux dire que le jeu se co-construit avec le collectif ? Ou qu’il progresse avec des essais-erreurs des orgas qui se transmettent leurs acquis de bouche de druide à oreille de druide ?

      Aimé par 1 personne

      1. Coconstruction, qui intègre dans l’histoire ce qui a fonctionné dramatiquement pour devenir un loi de relation informelle mais faisant quand même référence. Un schéma qui se réapplique avec variation. Qui s’enrichit quand on reste avec les même joueuses, mais peuvent changer de statut avec l’ajout de nouvelles personnes.
        Je pense que cela nécessite quand même un certain degré d’éducation ! Une élite ?

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      2. Ce n’est vraiment pas l’effet recherché avec Les Sentes. C’est un jeu sans orga qui se monte avec des fiches de narration proposées, c’est censé être accessible, les joueuses ne devraient pas ressentir le besoin d’être de bonnes narratrices mais seulement suivre leurs objectif roleplay. Après, sur ce test en particulier, il y a eu un petit souci parce que certaines joueuses se donnaient pour mission de jouer tout le matériel de jeu proposé et n’y arrivaient pas, alors que ce matériel est justement proposé en abondance pour qu’on ait le choix. Après, comme la plupart des jeux, ça reste un jeu qui se bonifie avec l’apprentissage, donc plus tu y joues, plus tu es bon. Mais ça ne rentre pas dans ma définition de l’élitisme. L’élitisme c’est quand les joueuses débutantes sont déclassées par les joueuses expérimentées. Ici, « bien » jouer ne se fait pas au détriment des autres, mais à leur service.

        Aimé par 1 personne

      3. Je vais essayer dans le mois avec le groupe de joueur. Je vais tenir compte de ce que tu dis. L’idée d’être au service me plait, c’est ce voulait dire Régner : être au service !

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