ÉTRANGE VÔGE
Quand tout ce qu’il y a de plus bizarre au village se déchaîne.
(temps de lecture : 8 minutes)
Joué / écrit le 28/01/2021
Le jeu principal utilisé : Nervure, un jeu de cartes et de rôle pour explorer la forêt de Millevaux, par Thomas Munier
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)
Jérôme Bosch, domaine public
Contenu sensible : zoophilie explicite
Passage précédent :
45. L’amour vache
Un dernier train d’anecdotes pastorales avant une chute brutale. (temps de lecture : 8 minutes)
L’histoire :
Métal, par Dark Sanctuary, du métal orchestral et gothique avec un chant féminin d’opéra pour une épopée forestière poignante.
Les processionnaires foulaient aux pieds les cocottes de pin qui jonchaient. L’air était imprégné d’ondes lourdes que le vent charriait en vagues d’une froideur à faire tourner en sorbet le sang des poivrots. C’était ce climat étrange qui ravive la mémoire et qui peuple les regards de visions du passé.
La Sœur Marie-des-Eaux n’en revenait pas de ce qu’il était en train de faire. Il célébrait les funérailles des deux personnes dont il avait causé la mort. Les gens du village l’écoutaient et faisaient procession, parce que dorénavant, une nonne tueuse pour célébrer la messe, c’était le faute-de-mieux. Le maire Fréchin passa devant lui et lui jeta cet œil qui veut dire « on se comprend ».
Le novice était encore chamboulé par les deux revoyottes qu’il avait vécu. Elles confirmaient qu’il avait causé leur mort, comme une sorte de juge métaphysique et impartial.
Le souvenir du curé Houillon, c’était même pas vraiment le sien, mais un souvenir qu’il avait volé. Lui qu’en avait tant ! C’était une confession du fils Domange, mais faut dire que celle-là, elle était gratinée, pas étonnant que ça ait marqué la caboche de l’abbé au fer rouge.
Tout en récitant les prières au sein de la marche funèbre, le novice voyait le souvenir s’imprégner dans la scène. Elle voit le fils Domange suivre le cortège, il est là sans être là (surtout que le vrai est à l’intérieur du cortège), il est aux aguets, ça se passe peu après qu’il ait trahi la Mère Truie. Et elle sort des fourrés.
« Grrrruikkkk… C’est moi que tu cherches ? »
Le jeune paysan saute comme un beau diable.
« Ah ! C’est toi, Mère Truie…
– Je crois que tu m’as vendu aux curetons. Résultat, on a eu quelques problèmes avec eux…
– Non, c’est pas vrai ! Je te jure, maman truie ! »
L’animal le renverse et lui monte dessus. Le fils Domange, qu’est habitué à la puanteur, a franchement du mal à soutenir l’odeur fauve qui le submerge. Elle colle son groin contre son nez.
« T’as quand même pas voulu qu’on fasse du mal à Maman ?
– Non, maman, non jamais, non maman, je t’aime… »
Le novice trébucha dans ses répons, craignant à l’avance ce qui allait se passer, rassemblant tous ses esprits pour chasser la vision, sans succès.
« Y’a intérêt que tu m’aimes, mon fillot… »
Elle sort sa langue, immense, et lèche le greugnot du fils Domange. Elle lui ouvre la bouche avec son appendice, et le lui plonge en travers de la gorge. Il est d’abord écœuré et réprime à grand-peine un vomissement, puis, comme à chaque fois, il se laisse emporter. Il suce la langue de la suidée, il sent contre ses gencives les dents crottées de la beusse, immenses et qui pourraient lui croquer la tête entière. Ses tétines dures se frottent contre sa poitrine et son bassin.
« Donne-moi ce que je veux, et on sera quitte ! »
Le fils Domange sent encore confusément qu’il s’apprête à se vautrer dans la contre-nature, mais il n’est plus maître de lui. Déjà dans son pantalon, c’est dur comme un maillet.
Elle le défroque de ses pattes arrières, lui éraflant les cuisses au passage. La douleur le rapproche encore plus violemment de l’instant. Elle frotte les plis de sa large vulve contre son tronc, elle le cherche, et elle le trouve, elle l’enfouit dans les replis tire-bouchonnés de sa chair intime, elle se sert de lui, de plus en plus vite, oubliant son propre poids et lui fracturant presque les côtes et le bassin, elle grogne d’aise puis son couinement descend dans les graves à mesure qu’elle extrait la sève du jeune.
Puis elle se roule sur le côté, repue, laissant son amant, pantelant et honteux.
« Tu fais le bon choix. Vous les humains, vous y viendrez tous. Vous viendrez tous à maman truie, et la nouvelle race en naîtra. Iä ! Iä ! Gruiiiiiiiiiiiiikkkkkk…. »
« Ça ne va pas, Marie ? Ça fait cinq minutes que vous ne chantez plus et vous êtes blanc comme une fesse., demanda la Jacqueline.
– Non, ça va pas. Ça va pas du tout. »
Cast of Mind, par Kali Malone. Un drone extatique, un orgue endormi qui vous rêve à travers des tunnels de branchages interminables.
La Sœur Marie-des-Eaux passait de plus en plus de temps dans la forêt, par besoin de fuir ses contemporains, et de se fuir lui-même. L’ermitage le tentait. Il tâchait de s’abîmer dans le recueillement, mais il y avait toujours quelque chose pour le distraire.
Cette fois, ce fut cet arbre grêle, avec ses bras et ses genoux tout en os, son écorce prépubère. Le novice le caressa, pressa son visage contre le tronc. Il fouilla de ses doigts dans les blessures des branches, sentit contre son corps l’irrégularité des tumeurs. Il perdait le sens de l’équilibre et sa tête lui tournait.
Il recula pour se soustraire à cette langueur. Ses sabots s’enfonçaient dans le lit putride des feuilles mortes.
Cet arbre. Il lui était semblable de corps. Cette même frêlure dure au mal. Cette même maigreur érotique.
« Où est-ce que je suis, vingt bois ? »
Il courut à travers les sommières, se heurtant dans les gaulis, s’emberlificotant dans les rampinottes, pataugeant dans les fondrières.
Il était perdu !
Les retombées résiduelles des mémo-ondes lui vrillaient encore le crâne. Il avait mal partout où il s’était cogné, et les vieilles blessures physiques et mentales se rouvraient de toutes parts.
Il aperçut la Madone à la Kalach, émergeant d’un hallier.
Elle le fixait avec son visage de porcelaine, et répétait cette sentence mémomancienne qu’il l’avait si souvent entendu lui marteler :
« Savoure chaque souffrance, car c’est tout ce qui reste de ton identité. »
Il courut pour la prendre dans ses bras. Et se prit une quiche contre le tronc d’un sapin !
Le novice perdait totalement pied.
Il tituba dans une direction au hasard, les cimes tournaient au-dessus de sa tête, il y a avait des bruits, peut-être des oiseaux de proies, peut-être des larsens…
Il roula dans un talus traîteusement tapi derrière un buisson. Les racines d’un chêne rouvre stoppèrent sa chute de la plus rude des façons.
Il se redressa du mieux qu’il put, se laissa glisser sur ce qui restait de pente, sa robe retroussée. On entendait la rumeur d’un torrent, mais ça venait du ciel. Une fuite de gibier, mais le son venait du sol. Des tapis de feuilles mortes s’étalaient sur le tronc des arbres. Des taupes sortaient des nids d’écureuil. Le novice étendit le bras, et tomba. Il comprit à son corps défendant que la gravité ici avait perdu tout son sens. L’humus se repliait en spirale de telle sorte que la terre et le ciel se succédaient dans l’espace et que les arbres poussaient dans tous les sens.
« Où est-ce que je suis, Jésus-Cuit tout bouillant, où est-ce que je suis ? »
In a dark tongue, par Harvestman, un manifeste space folk et psyché-drone, aboutissement extra-dimensionnel d’un rituel forestier.
C’est alors qu’il arriva.
D’abord par petites touches entraperçues au détour d’une spirale, puis tout près, puis très éloigné, et enfin là.
Le chariot, ou plutôt juste une caloubrette d’indigent, tiré par deux sangliers.
Et dessus, transporté comme un sac à patates, une personne vêtues de haillons jaunis par la crasse, avec une baugeotte sur la tête qui lui faisait un casque en osier et lui masquait le visage.
« Qui êtes-vous ?
– Tu peux m’appeler le Roi en Jaune.
– Alors, rectification, qu’est-ce que vous êtes ?
– Hé hé… Le monde s’est rétréci, tu sais, ma sœur. Il est maintenant plus facile encore d’y attrapper des dieux que des perdreaux de l’année.
– Cesse de blasphémer. Il n’y a qu’un dieu.
– Oui, et il est… Oh, et puis si tu veux. Disons alors que je suis… une entité. Comme tu en as croisé d’autres.
– Pourquoi viens-tu me tourmenter ? Ne sais-tu pas que je suis un exorciste ?
– Oui, je t’ai vu à l’œuvre… Je t’ai suivi parce que tu es emberlificotée dans les racines du destin. On te voit comme un moucheron dans une toile, impossible de te rater. Disons que je viens t’apporter… Un présent.
– Que pourrais-je recevoir de toi ? Je n’ai plus rien à perdre et plus rien à gagner.
– Que dirais-tu de… la vérité ? Percer le voile qui couvre tous ces mystères…
– Pourquoi me ferais-tu ce présent ?
– Oh, en échange de… si peu de chose ! Ta raison me suffira.
– Si c’est ma raison que tu cherches en obole, alors passe ton chemin avec ton équipage, voyageur du néant. Je l’ai déjà perdue.
– Entendu. Passe le bonjour à Vauthier. Il me sert bien.
– Personne ne te sert. Tu n’existes pas.
– Il est plus facile de me servir que de croire en moi. »
Ce fut impossible à expliquer comment la Sœur Marie-des-Eaux revint au village. Il avait l’impression d’avoir franchi un ru et… le voilà qui était rendu à l’Auberge du Pont des Fées.
Il se dit qu’il était venu renre visite à la sœur Jacqueline.
« Tiens, il n’est pas au bistrot, le père Vauthier, pour une fois ?, s’enquit-il auprès de la Bernadette.
– Il n’est plus là. Il a bu trop de liqueur d’oubli. Va, il est heureux maintenant.
– Alors, sers-moi en un. »
La cuisinière fit ce qu’elle faisait d’habitude dans ces cas-là. Ne pas poser de questions.
En incrustation dans le bistrot, le novice voyait la Germinie Colnot, qui le fixait avec insistance. C’était ça, la revoyotte qui avait suivi sa mort. C’était un souvenir brûlant, comme une marque d’acide, Marie sentait sa peau cloquer et sa gorge suffoquer alors qu’il n’y avait ni feu ni fumée. La Germinie essayait de lui passer un message, et ça se faisait sans mot, juste par la douleur. Elle n’avait pas vraiment choisi d’être au service des cordes. C’était juste une fille simple qui toute sa vie avait fait ce qu’on lui avait demandé. Alors quand les cordes lui ont demandé, quand elles lui ont promis, une bonne place chez le curé, en échange de quelques menus service, rien, les porter, chercher des objets mémoriels, suivre quelques ordres rares, comment refuser. Son regard dardait sur le novice, lourd de « À quoi bon ? »
Le novice voulut les écarter, ses yeux accusateurs, et il écarta des branches. Le souvenir, et le bistrot avec lui, se faisait cerner par les pousses et les friches. Des lichens gonflaient à vue d’œil sur le comptoir, jusqu’à éclater en bulles grotesques, d’où s’échappaient des tiges et des cotylédons. Les ronces écartaient les fissures du plafonds et se laissaient couler jusqu’à ses épaules. Il reprit une grande rasade de goutte. La puissance de la mirabelle fermentée lui explosa en bouche et dans les tempes. Mais ça fonctionnait. Des arborescences se déployaient entre les tables, des stolons renversaient les verres. Les vitres éclatèrent sous la pression de la végétation. Une marée verte grouillait à ses chevilles. On ne voyait plus que les mains de la bâbette, tendues et contenues par les rhizomes. Et puis tout se couvrit de feuilles et c’en fut fini.
Lexique :
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Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :
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L’introspection, les êtres et les sentiments qui couvent comme des pommes de terre sous la braise. (temps de lecture : 6 minutes
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