L’IMPOSSIBILITÉ DE CROIRE
Quand le passé comme le présent deviennent insoutenables, que reste-t-il comme refuge ? Le périple de retour vers Les Voivres, maintenant joué / écrit avec Bois-Saule !
(temps de lecture : 5 mn)
Joué / écrit le 09/11/2020
Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, u roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)
Philatz, cc-by-nc, sur flickr
Contenu sensible : violence sur enfant
Passage précédent :
37. Les Abysses
Trouver la sortie du purgatoire est au prix de cette visite ! (temps de lecture : 9 mn)
L’histoire :
Ausserwelt, par Year of No Light, départ pour l’île des morts à bord d’un post-hardcore sans parole.
Ainsi donc, ce serait ça le seul Vieux le Père, la seule entité créatrice encore en vie ?
Non, ce n’est pas possible, ce n’est pas possible, ce n’est pas possible, se répétait le Père Benoît en boucle. La chose qui nous a créé ne peut pas être une folcoche qui dévore ses petits. La chose qui nous poursuit et nous gueule dessus comme la clameur du Jugement Dernier ne peut pas être celle qui est à l’origine de la genèse. Au diable ce que toutes mes fibres me clament comme vraies, informées par la sainte terreur, je refuse d’y croire, je refuse d’y croire ! Je cours à perdre haleine parce que c’est tout ce que mon corps a l’idée de faire, mais en moi, je ne me sens pas en danger. Car je refuse l’existence de ce qui serait la négation totale de mes idéaux.
« Courez plus vite, vingts rats ! », l’exhortait la Sœur Marie-des-Eaux.
Il était impossible de savoir si la présence les avait suivis car ils ne s’étaient tout bonnement pas retournés. Jeter ne serait-ce qu’un coup d’œil supplémentaire à cette aberration aurait soldé ce qui leur restait de bon sens.
Alors, ils se résolurent à l’option qu’ils avaient d’abord écartés : ils se précipitèrent dans le tunnel aux racines carnivores.
« Allez, on y va, au pire on en sera quitte pour des égratignures. », souligna le prêtre dans sa précipitation.
Ils se ruèrent dans l’intestin de terre. Toutes ces villosités ligneuses qui y grouillaient se tendirent dans leur direction. Le novice découpait ça à l’opinel avec une telle ardeur ; il n’aurait pas fait meilleur travail à la machette. Mais ça ne suffit pas. Le Père Benoît sentit une ventouse se déposer sur son abdomen, déchirer sa soutane, puis une chaleur intense accompagnée d’une douleur blanche, et la sensation que des langues fouaillaient dans sa graisse.
« Aide-moi ! »
Il le revit. Étienne. Son petit-frère. Il le reconnut d’emblée tel quel, parce que le séminariste était son portrait craché en plus jeune et plus maigre.
C’était sa première journée de formation dans les forêts limbiques. C’était censé être un simple tour de chauffe. Le Père Benoît avait localisé un enfant dans les sous-bois, et avait confié à Étienne la tâche d’entrer en contact.
Cela lui revenait maintenant, au fer rouge :
Étienne avait mis un genou à terre devant le bambin. Il portait sa bible contre son cœur. « Bonjour, petit être. Es-tu un enfant ou un horla. »
Et il lui avait répondu : « Je ne suis pas un horla parce que je ne suis pas un horla parce que je ne suis pas un horla parce que je ne suis pas un horla parce que je ne suis pas un horla. »
À ce moment, le Père Benoît ne sut plus s’il était encore spectateur de sa propre revoyotte ou s’il s’y retrouvait transplanté en chair et en os. Toujours est-il que par réflexe, il braqua le faisceau de sa lampe à pétrole sur le visage de l’enfant.
Ce n’était pas tout à fait un visage.
Et ce qui lui servait de face sauta à la poitrine de son petit-frère !
D’abord comme englué dans le souvenir, l’exorciste s’arracha à la gravité et partit dans une de ces accélarations brutales dont il avait le secret, malgré son surpoids.
Courir vers eux ! S’interposer !
La bible avait protégé Étienne juste assez longtemps pour que son grand-frère intervienne. Ce dernier emporta la créature dans son élan et ils percutèrent tous les deux un bouleau noir strié de blanc, inversé, comme souvent le sont les couleurs dans les forêts limbiques. L’être se redressa, mais déjà le Père Benoît lui aspergeait la gueule d’eau bénite, et son visage se mit à fondre, d’abord effervescent, puis couvert de grosses bulles comme un potage dans une marmite, et puis enfin l’enfant resta à genoux dans les feuilles mortes, alors que des flots de sanie s’écoulaient de sa tête là où avant se trouvaient des yeux, des dents et des joues.
Étienne se jeta dans les bras de son grand-frère :
« Tu m’as sauvé !
– Hélas, si vraiment ça avait été le cas. Dans la vraie vie, je n’ai pas été assez rapide.
– Mais je ne t’en veux pas. Je te pardonne. »
Il avait ce sourire de premier communiant ; Benoît sentit, malgré qu’il n’ait aucune autre mémoire de son petit frère, que ce sourire-là l’avait toujours désarmé.
« Me… Me… Merci… »
Et des mains aussi osseuses que brutales l’arrachèrent à son petit-frère, cette fois pour de bon.
C’était encore la Sœur Marie-des-Eaux qui l’avait tiré du tunnel de racines.
« C’est encore moi qui dois faire tout le boulot ! »
Basement Apes Vol.1, par Sunwatchers, la circularité psyché-jazz, la transe chamanique, le non-lieu cosmique
Ils étaient comme dans un crépuscule terne, aggloméré sur un tertre bocager qui leur rappela Les Granges Richard, mais sans barricades ou pièces d’artillerie. À travers les rares trouées dans les frondaisons, coulait un vol de corneilles. On n’en avait pas vu au purgatoire.
Peut-être enfin étaient-ils sortis.
Le Père Benoît s’allongea sur un tapis de brophytes. C’était doux, mais humide comme une éponge, et il s’en fichait. Son souffle, d’abord saccadé, se tamisait peu à peu. Il crevait de soif et il têta les mousses pour l’étancher. Peut-être enfin étaient-ils sortis. Revenus parmi les vivants.
Ou au minimum dans un vivable entre-deux.
C’était la deuxième journée de leur périple de retour. Ils grimpaient le long d’une basse montagne, peut-être Haudompré d’après leurs souvenirs des descriptions géographiques faites par l’Euphrasie et la Madeleine. En tirant sur les branches pour hisser le poids de son corps, le novice se fit la réflexion que ses poignets et ses mains étaient rendus aussi maigres que du petit bois. Au matin, il n’avait pu avaler que quelques baies, et avait décrété que ça lui avait suffi.
Le Père Benoît était à la traîne, hors de vue.
« Les horlas n’existent pas. Pas ailleurs que dans nos têtes, en tout cas. »
« Qui a parlé ? », demanda le novice.
Il tourna la tête.
La Sœur Jacqueline était à ses côtés. Si tangible qu’on sentait l’odeur de frichti qui l’environnait habituellement.
Lexique :
Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.
Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet épisode : 1160
Total : 70475
Système d’écriture
Retrouvez ici mon système d’écriture. Je le mets à jour au fur et à mesure.
Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :
Voir cet article
Épisode suivant :
39. Le château intérieur
Marcher dans la forêt, marcher dans la mémoire, marcher dans ses pensées, marcher dans l’horreur, marcher dans les demeures de ses anciens tourments. (temps de lecture : 9 mn)
3 commentaires sur “[Dans le mufle des Vosges] 38. L’impossibilité de croire”