LES ROCHES DRUIDIQUES
Toujours sous la pluie battante, la troupe s’entortille dans des domaines forestiers de plus en plus oubliés du Vieux.
(temps de lecture : 8 mn)
Joué / écrit le 05/05/20
Jeu principal utilisé : Oriente, perdre ses repères en traversant la forêt de Millevaux
N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.
Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux
Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.
Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)
Daniel Stark, cc-by, sur flickr
Contenu sensible : aucun
Passage précédent :
23. Ces liens qu’on dilue
On dirait que vous avez réponse à tout et remède à tout. / – Pourtant face à ce qui nous attend, je n’ai ni réponse ni remède, mon Père.
L’histoire :
Death will someday set you free, par Ghostly Graves, du folk occulte pour western fantôme.
La Sœur Marie-des-Eaux est dans une maison. La pluie tape aux fenêtres avec des bruits de doigts de vieille femme. Le froid lui laboure les chairs. Il fait presque-nuit mais il y voit comme en plein jour. Et pour cause : il y a des bougies. Partout dans la demeure, chandelles, cierges, candélabres, et le parfum de la cire à pleines narines. Des piliers posés sur les tables ou par terre, des votives dans leur contenant en étain. Le plic-ploc des gouttes fondues, les fumerolles. Le novice se traîne de pièce en pièce, incapable de marcher, mais partout la masse informe de la cire est là. Des monticules de cire étalés sur les meubles, avec leurs multiples têtes de flamme et leur stalactites qui dégouttèlent jusqu’au sol. Il rampe dans des bouses blanches et chaudes.
Marie hurle. Ce sont toutes les bougies de toutes les veillées mortuaires !
La main de la Frazie est plaquée sur sa bouche :
« Chuuuut… C’est pas une bonne idée de crier en pleine forêt. »
La Sœur Marie-des-Eaux retire la main de la chiffonnière. Elle est chaude et la tient très fort. Son visage dans son fichu de couleurs est comme une icône détrempée, qui le fixe avec intensité.
« Vous vous laissez aller au désespoir. ça n’est pas bon du tout. Vous êtes une bête blessée, et votre sang va attirer les prédateurs. Vous devez me promettre de retrouver la force et le courage que je sens en vous. »
On entendit gémir une créature de la nuit.
Elle était tout près, avec son odeur de torchon mouillé et son haleine d’herbes. La Sœur Marie-des-Eaux regardait la danse du feu s’allonger sur les reliefs de sa face, souligner son duvet, faire ondoyer son sourcil unique.
Il lâcha sa main et saisit son poignet pour l’éloigner.
« Je vous le promets. »
Mais ça va être difficile.
La imposibilidad de tu nombre, par Peregrino, la dernière ligne de piano quand tout s’arrête.
8 d’Opprobre
Sainte-Pélagie
Jour de la Citrouille dans le Calendrier Républicain
De nouveau, le guide les leva sans ménagement, dès presque-aube, à l’heure où blanchit la campagne sous une lumière bouseuse. Mais cette fois, ils en furent presque reconnaissants, transis qu’ils étaient, la nuit avait été un supplice.
Ils remontèrent la côte Jeantin, la terre colportait le glougloutement de ses mille sources, toujours à fleur d’eau qu’elle était, cette terre du Val de Vôge. Madeleine remarqua qu’ils auraient dû filer tout droit sur La Chapelle aux Bois mais l’Euphrasie leur fit faire des tours et des détours à travers les collines toutes arborées, tantôt il fallait éviter un trou d’eau, tantôt une sente suspecte, et que je te passe par la Void de la Bure, qu’on s’enroule dans le lieu-dit de la Queue du Renard. C’était comme si pour leur guide, le plus court chemin d’un point à un autre, c’était la pelote de fil, et c’était d’une misère, comme ça patauger sous la coulante, à bassauter dans tous les sens alors qu’on aurait pu tracer au travers.
Enfin on vit les murailles éboulées du cimetière et entre les bras tordus des arbres percer le clocher du village, tout ouvert et bouffé par la ruine. La Chapelle aux Bois avait encore les maisons de la grand-rue sorties de terre, mais toutes foutues, vestiges d’une rive à l’autre d’une rivière de feuilles mortes et entre elles rien que le silence.
« N’y a-t-il donc que Les Voivres qui tient debout dans le Val de Vôge ?, s’enquit le Père Benoît.
– Chut ! Parlez pas si fort, intima la Frazie. Soyez pas si étonné, dans vos Hautes Vosges c’est pareil, il reste pas un patelin sur dix. Mais je peux vous assurer que Xertigny est habité…
– Regardez ! Des traces de pas ! Y’a quelqu’un !, remarqua le Polyte !
– On pourrait les suivre, prendre des nouvelles de la populace ?, suggéra le Père Benoît.
– Sûrement pas, objecta la Frazie. Elles sont pas toutes nettes ces empreintes. Hors de question d’aller au-devant.
– Qu’est-ce que vous racontez ?
– Regardez celles-là et celles-là. Elles s’enfoncent pas dans la boue comme il faudrait. Comme je vous parle, ce sont les pas des morts. »
Alors que la journée se traînait déjà sur son zénith, les aspergeant d’ondées chaudes de lumière, le doute s’insinuait dans la petite troupe à la manière d’un rhumatisme qui enflait. La Madeleine leur avait rapporté qu’on aurait dû filer droit le long de la grande-rue, mais – était-ce pour esquiver la troupe dont on avait vu les empreintes ou pour quelque autre danger chimérique – la Frazie les avait fait grimper au sud à l’assaut des pentes du Clerjus, là où c’était le plus touffu, le plus sinuant, le plus glissant. Leur périple semblait ne jamais prendre de fin. Le repas fut maigre, de quelques faînes astringentes en bouche et avec ça du tilleul bouillu dans la casserole pour oublier le froid. Le Polyte fouilla dans sa chemise – en fait un sac de pommes de terre recousu – et en sortit son jouet fétiche : une vieille part de quiche toute sèche. Il la protégea de la flotte en faisant un couvert de ses boucles noires. Il hésitait à la manger. Il perdrait ce jouet qu’il faisait voler comme un oiseau et peut-être bien qu’il s’intoxiquerait, mais il avait faim… Il se demandait bien quel goût ça pouvait avoir. Peut-être, qui sait, que ça le ramènerait à l’époque où la quiche avait été cuite, il fantasmait des souvenirs de founet et de tablier.
Pour l’occuper et parce qu’il fallait bien remplacer l’école, sa mère lui posa le problème du loup, de la chèvre, et du chou. Cela souleva d’insondables questions dans sa petite caboche. Il voyait pas comment faire traverser la rivière à tout cet équipage sans qu’ils ne s’entredévorassent, comme c’était la loi dans ce monde, la loi dans cette forêt. Il se noyait en conjectures, si bien que quand elle le vit la tête rouge et les larmes aux yeux, la Madeleine lui dit de retourner jouer avec sa part de quiche.
La remontade des lacis du Clerjus avait tout d’un chemin de croix. L’épais couvert de feuillage amortissait à peine la déclichote qui leur tombait sur le col sans discontinuer. Alors que le crépuscule déclinait et qu’on devrait bientôt donner de la lanterne, ils firent une pause sur quelques souches si amollies qu’une d’elles céda sous le poids du Père Benoît. De voir cette bête à soutane les quatre fers en l’air redonna un peu de baume au coeur à tout le monde. La Frazie avait emprunté l’opinel pour désécorcer une grosse citrouille trouvée sur le chemin, sauvage, que les déluges des derniers jours avaient achevé de mourir. La chiffonière y mettait un zèle attentif, d’abord étêtant les protubérances de terre et de lichen sur la peau orange, puis elle enfonçait la lame dans l’épiderme et le faisait sauter par plaques, qu’elle mettait de côté pour une future décoction.
Ils étaient autour d’elle, rincés, à sa merci, pour se nourrir, pour trouver leur route. Ils savaient la gangue de boue et de miasmes qu’ils laissaient derrière eux. Ce soir-là, la Frazie leur promit de leur trouver à Xertigny un havre, un sauf lieu dont ils ignoraient tout ou presque.
« Là-bas, il y a une eau pure. Un lac où vous pourrez laver vos souvenirs les plus chers de toute cette souillure. Un souvenir invité, inventé, sans cesse mieux dessiné dans les frimas de vos pensées et qui peu à peu sourd en vous tous. »
Le Père Benoît rongeait son frein. Il ne doutait pas du guide géographique, mais il redoutait le guide spirituel.
Ce n’était qu’une pause, il fallut encore escalader durant toute la presque-nuit, pour atteindre le sommet d’une butte que rejoignait un talus. Et sous leurs yeux, à travers le faisceau de la lanterne que criblait la pluie, s’étendait tout un chaos rocheux, dévalant à perte de vue. Des pierres gibbeuses, vertes de mousse, certaines où le dos s’ouvrait en cupules, pleines d’eau où les gouttes faisaient des anneaux, comme autant de présages.
« Les roches druidiques. », expliqua la Frazie.
« Normalement, nous sommes ici en sécurité. »
Le Polyte gigotait comme quand il avait une grosse envie. L’influence tellurique du lieu le travaillait à pleine balle. Tous les chênes autour, gras, sans âge, cachaient des mystères. Il sentait l’appel de la forêt. C’était un peu comme la grille du founet, on sait que ce serait pas une bonne idée de mettre la main dedans, mais c’est tentant. Peut-être qu’on pouvait en tirer une bûche rouge de puissance mystique.
Pour tout dire, ça les travaillait tous, à des degrés divers.
La Sœur Marie-des-Eaux s’en ouvrit au Père Benoît :
« Vous devez pas être moult aise d’être venu par ici. On n’est pas sur les terres du Vieux.
– C’est possible. Mais bien orgueilleux celui qui reste là où sa foi n’est pas en danger. »
Lexique :
Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.
Préparation :
A. Lors de l’épisode précédent, j’ai posé la question suivante : Les voyageurs vont déceler les traces d’un groupe d’humains mais l’Euphrasie va leur déconseiller de s’en approcher. Pourquoi ? J’ai eu cette réponse de Damien Lagauzère :« Parce que certaines de ces traces ne sont pas humaines justement ^^ ? »
Je la note dans mon programme ! Je devrais la mettre en application dès cet épisode.
B. Pas d’exercice d’écriture de Draftquest ce jour car pendant le confinement, mes conditions d’écriture sont sous-optimales, donc j’économise du temps là-dessus.
C. Retrouvez ici mon système d’écriture. Je le mettrai à jour au fur et à mesure.
D. J’ai commencé La Terre, d’Emile Zola. L’approche naturaliste fait merveille, puisqu’on assiste à de nombreux détails de la vie des champs. Zola ne nous épargne d’ailleurs aucun détail scabreux, et le livre a fait scandale à sa sortie. C’est très précieux de lire un livre écrit à la période dont s’inspire Dans le mufle des Vosges. C’est un livre passionnant, qui présente une fresque détaillée et grotesque de la vie paysanne, traversée d’élans poétiques.
E. J’ai fait une fiche de personnage pour le Polyte en m’inspirant de la fiche du site Mécanismes d’histoire.
F. J’ai augmenté la probabilité de faire mon script plutôt qu’une aide de jeu. On est passé de 50/50 à 60/40
G. J’écris sur un éditeur de texte tout simple (l’équivalent Linux de Wordpad) pour augmenter ma concentration sur l’écriture. Mais j’ai de sucroît suivi un conseil glané sur le texte et j’ai passé la police par défaut en Comic Sans MS. Je sais que cette police est mal-aimée, mais l’objectif n’est pas de l’utiliser pour le texte final, mais bien pour mon premier jet. Cette police grasse adaptée aux dyslexiques est facile à lire et augmente ma concentration sur le texte. Adopté !
Bilan :
A. Mon ordinateur a des difficultés ce matin. La séance d’écriture a donc été particulièrement laborieuse. Mais on lâche rien, il faut faire les trois heures même quand ça rend peu.
B. Premier essai de tirage d’inspiration avec Les larmes du Soleil, et j’avais un peu peur que ces symboles abstraits ne me disent. Mais je suis tombé sur un idéogramme très sinueux qui illustrait à merveille le labyrinthe forestier et psychologique de ce périple !
Aides de jeu utilisées :
Muses & Oracles
Les Larmes du Soleil
Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet épisode : 1550
Total : 48274
Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :
Voir cet article
Modifications : ajout de la feuille de personnage d’Hippolyte Soubise
Question au public :
A nouveau, je vous pose une des questions de mon deck d’Oriente :
Lequel des voyageurs a le plus perdu son humanité ?
Episode suivant :
25. Nos fantômes
Pour ce nouvel épisode et jusqu’à la fin, on ferme le capot pour se concentrer sur l’histoire.
3 commentaires sur “[Dans le mufle des Vosges] 24. Les Roches Druidiques”