Le sexisme et la LGBT-phobie en jeu de rôle et en GN (et comment leur botter le cul)

Pour mon dernier article de théorie, voici certainement le texte le plus drama de toute ma carrière. Bon voilà je vais perdre tous mes amis 🙂

(temps de lecture : 13 min)

Avertissement : le contenu de son article, comme son nom l’indique, a vocation à lister un certain nombre de faits graves et choquants.

Jeanne Menjoulet, cc-by

UN PEU DE CONTEXTE

J’ai rédigé ce florilège suite à une demande d’avoir un texte relatif au sexisme dans le Wiki Nonobstant, l’encyclopédie rôliste sur laquelle nous travaillons en collectif, et que je vous invite ardemment à consulter et à augmenter.

L’article du Wiki est ici mais de fait j’avais beaucoup plus à développer et le sujet mérite d’être mis en avant plutôt que d’être noyé dans la masse anonyme du wiki.

Pendant bien longtemps, j’étais bien gentil et trop lâche. Il était temps d’ouvrir ma gueule 🙂

Je ne suis pas une femme et je ne suis pas non plus un militant antisexiste d’avant-poste, me considérant plus comme sympathisant que comme leader en la matière. Même si j’essaie de faire mon petit travail de colibri, je ne suis pas exempt de publications borderline comme Cœlacanthes. Aussi est-il possible que je manque de discernement sur ces sujets et si vous vous sentez plus concerné.e.s ou renseigné.e.s, je vous invite à commenter sur le blog ou sur le wiki, ou a éditer l’article du wiki.

Dans le numéro 47 de JDR Magazine, un dossier (par ailleurs excellent) sur une approche féministe du jeu de rôle, avec notamment une analyse par Guylène Le Mignot des bons et mauvais points en matière de représentation des rapports hommes/femmes dans les couvertures de jeux de rôle…

… et dans le même numéro, une publicité pour un recueil de BD sur le thème de Conan dont la couverture est la caricature extrême des clichés sexistes combattus dans le dossier. #dissonancecognitive

ÉTAT DES LIEUX

Le sexisme n’est pas absent des communautés rôlistes et GNistes, loin de là. La LGBT-phobie y est également présente et cet article en traite aussi, considérant que sexime et LGBT-phobie en jeu de rôle et en GN sont liés par des mécanismes communs (entre-soi masculin cis-hétéro, aphrodisme, masculinité toxique).

Pour aller plus loin :

[Dossier] Tiramisù, Masculinités en Jidérie, sur Tiramisù artisan rôliste

DWP Digital, cc-by-nc-nd

CAUSES DU SEXISME ET DE LA LGBT-PHOBIE EN JEU DE RÔLE ET EN GN

+ la reproduction des discriminations et des oppressions ;

+ la faible représentation de femmes et de personnes LGBT ;

[Si les pourcentages de femmes et de personnes non-binaires augmentent progressivement au cours de l’histoire du jeu de rôle, ils restent faibles (moins de 20 % en jeu de rôle, moins de 40% en GN. Source : ma louche).

Ce phénomène est à la fois une cause et une conséquence du sexisme dans le milieu, formant un véritable cercle vicieux. Comme on en observera d’autres dans les manifestations du sexisme listées ci-après. Aucune contrainte matérielle n’empêcherait les femmes et les personnes LGBT de pratiquer le loisir à parité avec les hommes cis-hétéro. Cette sous-représentation est donc à la fois le produit de différences culturelles et des discriminations du milieu rôliste, freinant l’entrée et le maintien de ces personnes dans la communauté]

+ apparition intiale du jeu de rôle dans des milieux peu féminisés à l’époque (études scientifiques…)

+ entre-soi masculin cis-hétéro ;

+ représentations graphiques hyper-genrées et thématiques virilistes et bellicistes peu attirantes pour les minorités de genre ;

+ faible effort d’accueil ou d’initiation en direction de ces publics ;

+ un milieu geek / nerd qui si à une époque était opprimé et pouvait alors se montrer inclusif, est devenu dominant et en voie de beaufisation et reproduit les codes de la masculinité hégémonique en s’inscrivant dans une masculinité complice.

Pour aller plus loin :

[Vidéo] Arcade, Les Geeks, la Gauche, et le Joueur du Grenier – Les Réflexions Stupides, sur Youtube

Jeanne Menjoulet, cc-by

PAS TOUS LES HOMMES ?

À l’instar du mouvement #notallmen, on peut supposer que certains, voire beaucoup d’hommes rôlistes se montrent accueillants pour les minorités de genre. Néanmoins, la présence de sexisme intériorisé, voire de militance anti-minorités chez d’autres hommes rôlistes est suffisamment bruyante pour faire du sexime et de la LGBT-phobie une réalité préoccupante dans le milieu. L’on peut s’interroger sur la proportion ou la force de lutte ou de conviction des hommes « alliés » : elle semble aujourd’hui nettement insuffisante, de sorte à ce que les manifestations les plus graves des oppressions de genre sont bien présentes, et les formes les plus légères sont tout simplement dominantes, assez pour former un terreau fertile aux formes les plus graves (phénomène de cercle vicieux, encore).

Expo « Au bazar du genre » Marseille, Mucem, MP 2013. Cette affiche, représentant des jouets genrés mis à la corbeille, rappelle le rôle des jouets dans la reproduction des stéréotypes de genre. Les imaginaires ludiques et rôlistes participent également à reproduire ces stéréotypes. Photo par Jeanne Menjoulet, cc-by

MANIFESTATIONS DU SEXISME ET DE LA LGBT-PHOBIE EN JEU DE RÔLE ET EN GN

Les manifestations citées ci-dessous relèvent à la fois d’agressions commises dans la diégèse des parties ou des manuels de jeu de rôle (elle n’en sont pas pour autant virtuelles et constituent une forme d’agression psychologique) et dans les interactions réelles, hors du champ fictionnel, mais bien dans le cadre du milieu rôliste et GNiste.

Voici donc une liste non-exhaustive de ces manifestations. Elles sont corroborées par des témoignages de victimes, notamment issues du site Et pourtant elles jouent et du #BalancetonKandorya :

+ Déni du sexisme ;

[« Tu n’as pas eu de chance, tu es tombée sur les mauvaises personnes. »

« Ce sont vraiment des cas minoritaires. »

« Je n’ai jamais observé de telles choses autour de moi. »

+ Mise en cause des paroles des victimes ;

+ Non-respect de l’autorité des MJ femmes ;

+ Faible empouvoirement et temps de parole accordé aux femmes-PJ

[Pour aller plus loin :

Article La bataille du temps de parole, par Thomas Munier, sur Outsider]

+ Faible représentation des minorités de genre dans les tables rondes, les équipes de rédaction, les bureaux des associations ;

+ Invisibilisation des scène les plus féminisées (RP textuel, jeu de rôle solo, GN romanesque ou expérimental) ;

+ Illustration des manuels de jeu de rôle véhiculant des clichés de genre (sur-représentation masculine, aphrodisme, corps masculins comme féminins massivement jeunes et galbés, hypersexualisation des femmes, chainmail bikini) ;

[Pour aller plus loin :

Article de Guylène Le Mignot, Voir le mâle partout, in JDR Mag N°47]

+ Sous-représentation des minorités de genre dans les textes, qu’il s’agisse des PNJ ou des PJ prétirés ;

[Pour aller plus loin :

Article de Coralie David et Jérôme Larré, JdR des années 70 et personnages féminins, sur Lapin Marteau]

+ Censure éditoriale de l’écriture inclusive ;

La dissonnance cognitive dans le numéro 47 de JDR Magazine, épisode 2 : D’un côté, un article de Carole Bousquet afin de réhabiliter le terme « autrice ».

De l’autre, pour la quatrième reprise, la rédaction me demande de remplacer le neutre féminin « joueuses » par le plus politiquement correct « rôlistes » dans ma série d’articles sur le jeu de rôle, espace d’expression.

+ Faible attention portées aux femmes en couple (leur identité se résumant à être « la copine du MJ ») ;

+ Test de connaissance et de mérite absurdement élevé (les nouvelles venues, soupçonnées d’être des fausses geekettes sont abondamment sondées sur leurs connaissances des univers et mécaniques rôlistes ou de la culture geek) ;

+ Infantilisation des femmes, considérées comme nulles en règles ;

+ Les nouvelles venues sont soupçonnées de s’intéresser au jeu de rôle uniquement pour trouver un partenaire mâle. Elles sont alors soit accusées d’être des attention whores, soit draguées lourdement ;

+ Relégation des femmes bénévoles en asso / convention à des rôles subalternes et genrés (tenir le bar, la buvette, l’accueil) ;

+ Refus de roleplayer des romances avec des femmes jugées hors des canons de beauté ou de genre ;

+ Refus de roleplayer des romances homosexuelles ;

+ Refus d’obéïr à des PJ supérieurs incarnés par des femmes ;

Universidade de Brasília, cc-by

+ Castings discriminants en GN (sur base de photos) ;

+ Refus d’attribuer des rôles de séductrices à des personnes hors du genre assigné à la naissance (le prétexte donné étant un mauvais passing, voire un jeu en non-mixité cisgenre)

[Pour aller plus loin :

Vidéo-conférence de Sasha, Être transgenre et GNiste : la double peine – Convergences 2021, sur Youtube]

+ Écriture de PJ prétirés féminins ou LGBT centrée sur les oppressions subies ;

+ Écriture de PNJ féminins clichés (la maman ou la putain) ;

+ Manipulation mentale par les PJ ou les MJ ;

[Pour aller plus loin :

Dossier de Thomas Munier sur La manipulation, sur Outsider]

+ Pratiques sexistes décomplexées vis-à-vis des PNJ féminins de la part des PJ masculins joués par des hommes cis-hétéro (mettre la main au cul des serveuses, draguer tout ce qui bouge, aller aux putes, viols, torture, féminicide) ;

+ Incarnation outrancière de PJ féminins ou LGBT par des hommes cis-hétéro ;

+ La difficulté de jouer un trans ou homo sans que ça ne devienne un enjeu oppressant, sans subir des remarques homo/transphobes soi disant in character ou des blagues méta du genre « reste éloigné de mon personnage » / « ton personnage va chercher à nous violer ») ou tout simplement l’impossibilité de faire ce choix de personnage, car bien que ça ne soit jamais ouvertement interdit, il est des tables masculines où on se doute que ce sera mal reçu, perçu comme « gênant » ;

+ Harcèlement sexuel des joueuses via leur personnage (romances forcées, viols, simulations de viol en GN par frottement, simulation de pratiques invasives) ;

[Pour aller plus loin :

Document par Niina Niskanen, Axelle Cazeneuve, Rachel Hoekendijk, Elise Mirkwood, Céline Foggie, Aurore Valojitch : Pour un GN plus sécurisant : prévenir et combattre le harcèlement en GN]

+ Descriptions graphiques de violes ou de sacrifices de PNJ femmes par des satanistes ou des entités lovecraftiennes ;

+ Harcèlement sexuel des joueuses, attouchements, viols, pédocriminialité ;

+ Couverture des agresseurs par les orgas ou responsables d’associations en vertu de l’ancienneté ou de l’engagement des dits agresseurs (ou juste parce que « c’est un bon MJ ») ;

+ Phénomène de marche manquante : on se passe les noms des agresseurs de bouche de druide à oreille de druide, mais les nouvelles venues sont rarement prévenues assez tôt. « Personne ne t’a dit de ne pas t’en approcher ? »

+ Jeux historiques ou historisants servant de prétexte à mettre en scène des oppressions et comportements sexistes. Le respect de l’historicité est tout relatif puisque de flagrants anachronismes ou du merveilleux peuvent être présents par ailleurs et les PJ/MJ mecs ne se privent pas pour manquer de respect aux PJ/PNJ féminins qui seraient pour autant des personnes historiques dépositaires d’une autorité (sainte, reine…) ou tout simplement des personnages puissants ;

[Pour aller plus loin :

Compte-rendu par Thomas Munier, La Guerre de Cent Ans, pour le jeu de rôle Inflorenza, sur Terres Étranges]

Jeanne Menjoulet, cc-by

+ Incapacité des MJ ou PJ « alliés » ou « neutres bons » à mettre le holà aux comportements sexistes ;

+ Mise en doute des paroles de victimes, tentatives de « débunkage » des témoignages en ligne ;

+ Création de groupes de discussions rôlistes allant du boy’s club à la ferme à trolls d’extrême droite, comme le délicieux et très ironiquement nommé Discussions de Drôlistes Narrativo-Vegan ;

+ Cyber-harcèlement en ligne et menaces de mort en bande organisée à l’encontre des personnalités féminines ou transgenre, du fait de leur prise de parole antisexiste dans le jeu de rôle, ou tout simplement de leur identité ;

[Pour aller plus loin :

Article par Axelle « Psychee » Bouet, Comment la guerre contre les #coucouilles à commencé, sur Alternative Reality 4.2]

+ Accusation contre la mouvance « woke » du jeu de rôle de vouloir censurer, aseptiser ou déviriliser le milieu, l’accusant de vouloir avant tout chercher de la visibilité, ou tout simplement de décadence mentale ;

[Pour aller plus loin :

Article d’Axelle Bouet, Le dossier Woke n’Roll de Jeux de rôle Magazine, N° 59, sur Alternative Reality 4.2]

USAID Asia, cc-by-nc

+ Manuels de jeu de rôle mécanisant des différences de caractéristique entre hommes et femmes ;

+ Univers de jeu de rôle systématisant le viol et l’esclavage sexuel ;

+ Manuels de jeu de rôle mal déconstruits sous prétexte de progressisme, maintenant une culture du viol et de l’esclavage sexuel (les méchants de l’univers abusent de ce procédé et les femmes dans le camp des gentils sont hypersexualisées sous un vernis d’empouvoirement et doivent utiliser leur charme voire se soumettre sexuellement aux méchants pour arriver à les battres ou à accomplir leur quête 😉

+ Absence de sécurité émotionnelle dans le jeux et aux tables alors même que des thèmes très crus sont abordés et visent les personnes les plus vulnérables. La sécurité émotionnelle est vue comme une entrave à la liberté d’action des personnages et au bon déroulement du scénario (ne relevons pas le paradoxe) ;

+ Dévoiement de la sécurité emotionnelle, comme par exemple demander à mettre les thématiques lgbt en lignes.

+ Publication d’articles dénigrant les personnalités antisexistes du milieu, la sécurité émotionnelle, le wokisme dans le jeu de rôle, accusés de « politiser » le jeu de rôle

[Pour aller plus loin :

Article de faboo : Rats in the facebook wall, sur Que faites-vous ?

Article de L’Ecclésiaste : La X-Card : quand le politiquement correct envahit les JDR, sur UMAC Comics & Pop Culture]

Manif pour le « mariage pour tous », Paris, 27 janvier 2013. Krytofr, cc-by

LES SOLUTIONS

Les communautés rôlistes et GNistes impliquées dans l’antisexisme mettent en œuvre un éventail de mesures plus ou moins radicales. L’enjeu n’est pas de discuter de leur pertinence, qui peut varier en fonction des personnes et des situations (plusieurs des solutions évoquées sont en concurrence entre elles) :

+ Création de jeux, de maisons d’édition, de studios, de scènes, de communautés, de podcasts, d’associations et d’événements rôlistes et GNistes queer et féministes et, plus largement, inclusifs ;

[Pour aller plus loin :

La Queervention, une convention LGBTI+ et inclusive

Ludiqueer, une association de jeux LGBTI+ et inclusive

Dossier par Thomas Munier, Le défi du design inclusif, sur Outsider

Jeu de rôle : Dream Askew, par Avery Alder, un jeu précurseur où l’on joue les membres d’une communauté queer post-effondrement

Secret Table, un collectif de créateurices trans, publie des zines rôlistes. La sortie du premier, Against the grey, a permis de payer le portable d’une personne du collectif, et les frais d’hormones d’une autre.

Le jeu de rôle Queerz, où l’on incarne des super-héro-ïne-s LGBTQ+

You are monstrous and twisted and hideous, un jeu de rôle par Nimaël créé dans le cadre de la Trans Fucking Rage Jam

+ Publication de guides d’interprétation ;

[Pour aller plus loin :

Guide par Anne, Nadia, Cora et Armelle : Histo mais pas sexiste, sur Electro-GN

Série Représentation, des guides pour interpréter des personnes LGBTI+, par NadG, sur Itch.io]

+ Chartes de comportement en convention ;

[Pour aller plus loin :

La charte du pôle jeu de rôle de la convention Octogones]

+ Jeu en non-mixité féminine ou en non-mixité queer ;

+ tentatives d’atteindre la parité dans les parties de jeu de rôle (par exemple, en invitant en priorité les femmes et les personnes non conformes dans le genre pour remplir une première partie de la table, puis inviter les hommes cis-genre dans un second temps pour compléter la table) ;

+ Former des femmes et des personnes LGBT au JDR, en les accueillant dans des contextes bienveillants ;

+ Outils et pratiques de sécurité émotionnelle ;

+ Prise en charge d’une partie de la charge émotionnelle en jeu par les personnes alliées (ainsi, une personne alliée peut prendre l’initiative de demander de mettre en lignes les agressions sexuelles et la lgbtphobie)

+ Création de sites de témoignages sur le mode de #Metoo, ainsi le site Et pourtant elles jouent ou le #BalancetonKandorya

+ Présence de stands de fédérations à message inclusif sur les gros événements à fort risque de violence sexiste et sexuelle (ainsi la FédéGN tenant un stand de sensibilisation à Kandorya) ;

+ Se détacher de son audience patriarcale (genre « si vous êtes contre l’inclusion, vous pouvez vous désabonner, on vous regrettera pas », « ne jouez pas à ce jeu si vous êtes fascistes », etc) ;

Funk Dooby, cc-by-sa

+ Des jeux proposant des masculinités déconstruites, comme Lonely Timbers ;

Et si on bougeait nos imaginaires en incarnant des hommes vraiment impliqués dans leur paternité ? Stephen Poff, cc-by-nc-nd

+ Institutionnalisation de groupes de réflexion, par exemple création du pôle déontologie à la FédéGN ;

[Pour aller plus loin :

Dossier Le pôle déontologie, sur FédéGN.org]

+ Publication de manifestes et autres manuels de survie en territoire sexiste ;

[Pour aller plus loin :

Guide par Anne, Nadia, Cora et Armelle : Histo mais pas sexiste, sur Electro-GN

Document par Niina Niskanen, Axiel Cazeneuve, Rachel Hoekendijk, Élise Mirkwood, Céline Foggie, Aurore Valojitch : Pour un GN plus sécurisant : prévenir et combattre le harcèlement en GN

Guide par Axiel « Éris » Cazeneuve, Mieux gérer nos conflits sur le site Pour un GN sécurisant]

+ Emploi de l’écriture inclusive sous diverses formes :

– féminisation voire neutre féminin : auteur devenant autrice, meneur devenant meneuse, joueur devenant joueuse

– point médian ou mots valises (joueurs devenant joueur.euse.s ou joueureuses)

– accord de proximité (« le barbare et la guerrière sont fortes à la bagarre »)

– emploi de termes ou de néologismes épicènes

– évitement des adjectifs et participes passés accordés en genre ;

[Pour aller plus loin :

Article par Coralie David et Jérôme Larré, C’est l’histoire d’une joueuse, sur Lapin Marteau

Article par Carole Bousquet, Féminin, mode d’emploi, in JDR Mag N°47]

Guides Méthodes d’écriture – la totale, par NadG, des guides pour l’écriture inclusive, épicène, et la sécurité émotionnelle

Article par Erell, Mots-valises et écriture inclusive en JdR, sur D1000 & D100]

Une mission de personnage pour le JDR/GN Les Sentes (noter la rédaction omettant de préciser le genre du personnage joué ou des autres personnages impliqués)

+ Valorisation de thématiques care, solarpunk ou écoféministes dans le narratif des jeux 😉

+ Démarche intersectionnelle [un point sur lequel des progrès restent à faire, cf chapitre Angles morts]

+ Cancel ou dénonciation de personnalités ou de jeux sexistes (comme One Percent ou les billets d’humeur anti-woke sur JDR Mag) ;

+ Black-listage des personnes connues comme dangereuses : elles sont tout simplement persona non grata. Le problème étant que la black-list est secrète et donc la personne agresseuses peut librement s’inscrire à d’autres événements ;

+ Call-out de la personne problématique. Sur le modèle de #Balancetonporc, le nom de la personne agresseuse et les accusations la visant sont divulguées sur les réseaux sociaux. Le problème étant que les vrais coupables peuvent se replier sur les réseaux sexistes ou identitaires et les personnes accusées à tort peuvent devoir disparaître de la scène rôliste ou se replier sur les seules communautés qui veulent l’accueillir : les communautés sexistes ;

Pour aller plus loin :

ArticleZak Smith / sexual abuse allegations, sur Wikipedia.en

+ La justice réparatrice : l’enjeu est d’éviter le black-listage ou le call-out pour y préférer une médiation entre agresseur et victime, dans l’espoir que l’agresseur fasse amende honorable. Ce procédé ne peut avoir lieu qu si la victime accepte la médiation

[Pour aller plus loin :

Vidéo-Conférence de Juliette Lancel, Par-delà la blacklist : la justice restaurative – Convergences 2021, sur Youtube]

Funk Dooby, cc-by-sa

LES ANGLES MORTS DE LA LUTTE ANTISEXISTE

Les mouvements antisexistes au sein du jeu de rôle pêchent parfois à atteindre l’intersectionnalité, voire présentent des biais racistes, classistes, validistes, spécistes, intellectualistes, ou anti-écologistes. Je tiens à préciser que je ne m’érige pas personnellement en modèle de vertu, étant sans doute partie prenante de nombre des problèmes listés ensuite.

Quelques exemples :

+ Faible inclusion des personnes racisées ou porteuses de handicap ;

+ Conventions ou GN inclusifs proposant des menus carnés ;

On peut militer contre les oppressions de genre et manger du poisson #dissonancecognitive. Jeanne Menjoulet, cc-by

+ GN ou rassemblements para-GNistiques avec un ethos progressiste, mais proposant des tarifs élevés sans proposition de tarif solidaire, ou des obligations d’engagement sur une longue durée (3 à 5 jours), tels que Labo-GN.

+ Organisation de GN ou de rassemblements GNistiques progressistes internationaux, ce qui implique de prendre l’avion pour faire partie de l’élite du GN progressistes (Knutepunkt étant un bon exemple) ;

+ Événements ludiques progressistes défrayant des trajets en avion ou de longs trajets en voiture pour des intervenant.e.s de prestige ;

+ Violence intra-communautaire, guerres militantes, call-out, blacklistage ou cancel excessifs ;

+ Pratiques sectaires autour de formes dévoyées de la communication non violente, interdiction des discours critiques perçus comme de la pensée négative, croisement avec des spiritualités new age problématiques, emprise sexuelle de groupe via des GN « sex positive »; organisation d’évènements dans des lieux isolés et en zone blanche ;

+ Invisibilisation de la parole des hommes cis-hétéro qui se voient refuser des tables rondes ou sont peu relayés sur les réseaux progressistes ;

+ Non prise en compte des personnes LGBT « dans le placard » considérées comme des personnes hétéro cis et pouvant être invisibilisée, leur parole étant considérée comme non-légitime ;

+ Surjeu de sa fragilité ou exploitation de la bienveillance d’autrui pour se désister abusivement en tant que participant.e ou orga ;

+ Pinkwashing ou green washing permettant d’augmenter la visibilité de jeux ou d’évènements médiocres ;

Cette description des angles morts ne vise pas à décrédibiliser la lutte antisexiste, mais bien à souligner les marges de progression.

Funk Dooby, cc-by-sa

CONCLUSION

Au cours de la rédaction de cet article, j’ai rencontré un grand problème de sourçage. Il est assez difficile de quantifier à la fois la portée des actions sexistes et homophobes en jeu de rôle, ou la portée des actions pour lutter contre, ou encore la portée des dérives et manquements des personnes de bonne volonté.

Notre milieu dispose de peu de statistiques, les quelques sondages existants ne portant pas sur de grands échantillons ou manquant de rigueur. Face aux sites de témoignage, nous pouvons toujours dire « ça ne se passe pas comme ça chez moi ». Mais soyons vigilants. Notre expérience personnelle n’est pas universelle. Quand bien même notre table serait OK, cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune marge de progrès dans l’ensemble. Et de surcroît, nous avons parfois une cécité aux oppressions qui arrange bien notre conscience. Il se pourrait même que nous agressions sans même nous en rendre compte ou par fatigue mentale.

Le jeu de rôle est un loisir, et c’est ce qu’il devrait rester, dans le sens où je souhaite qu’il soit un espace d’évasion, un espace de confort où on peut oublier un temps la cruauté de notre monde social. Ce n’est pas possible si les oppressions s’y reproduisent tant dans la fiction que dans les interactions sociales liées au hobby.

Si je me bats personnellement pour que le jeu de rôle reste un loisir, combien même on voudrait en faire un sport ou un art, je sais aussi que le jeu de rôle est politique. Tout loisir est politique, et en tant que jeu basé sur des histoires et des interactions sociales, le jeu de rôle l’est doublement. C’est donc aussi un espace d’oppression, et un espace de lutte. Cela n’est pas un espace politique comme un autre, avec les mêmes lois, mais cela en est un quand même.

On ne peut pas l’oublier quand même ça nous arrangerait.

Je ne souhaite pas que le jeu de rôle et le GN soient au diapason des avancées sociétales. Je souhaite qu’ils soient à l’avant-garde. En développant des imaginaires et des interactions sociales plus bienveillantes et inclusives.

C’est notre combat, et pour cela, nous sommes prêts à aller jusqu’à lancer des dés.

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