LA FORÊT SUBCONSCIENTE
Le final d’une campagne steampunk cafardesque joué avec Oriente, pour un climax introspectif et onirique. Un récit par Damien Lagauzère.
(temps de lecture : 4 min)
Joué le 13/10/2019
Le jeu principal : Oriente, perdre ses repères en traversant la forêt de Millevaux
Bob Jagendorf, cc-by-nc
Le contexte :
Salut, ayant joué la dernière partie de ma campagne de La trilogie de la crasse / SteamShadows/ Eat your darlings/ Cabeswater / Ich und meine maske avec… Oriente, je t’envoie cette dernière partie ^^
L’histoire :
Je n’ai jamais vu Oriente reculer face à quoi que ce soit. En vérité, je n’avais jamais vu Oriente avant ce jour. Pourtant, je le reconnais. J’ai fui le 2nd Cercle des Horreurs, pourchassé par un Draugr. Je ne suis plus moi-même. La vision qu’il m’a infligé m’interdit désormais de remplir ma mission correctement. J’ai réussi à m’échapper du 2nd Cercle mais je ne suis pas pour autant retourné à Londres. Je suis ici, dans cette forêt, avec Oriente. Il va m’aider. Il va me guider. Grâce à lui, je vais retrouver mon chemin dans cette forêt… jusqu’à Londres et aussi jusqu’à la sérénité.
Oriente m’interroge quant aux motifs de mon voyage. Je ne lui cache rien. Je suis un Cafard déguisé en humain. Je me suis réfugié dans ce Londres victorien afin d’étudier ce que je pensais être les « autres » mondes des morts, les alternatives à la Plage des Cafards. En réalité, il s’agissait des Cercles des Horreurs. Alors, j’ai accepté la proposition d’une Steamshadow et me suis mis à chasser les Horreurs, en profitant pour explorer leur territoire. Mal m’en a pris. Le Draugr a été plus fort que moi. Je ne cesse de penser à cette horrible vision de mort qu’il a imprimé dans mon âme. C’est d’elle que je dois me délivrer. Je compte sur Oriente et notre voyage pour y parvenir.
Je ne comprends pas bien le sens de la proposition d’Oriente. Pourquoi envoyer une personne naïve à la recherche d’une proie imaginaire alors que nous ne sommes que tous les deux ? Mais, ce doit être une sorte de métaphore. Est-ce que cela signifie que ma quête est, ou fut, celle d’une personne naïve à la recherche d’une proie imaginaire ? Est-ce que cela veut dire qu’il n’y avait finalement rien au bout de ce chemin que j’avais emprunté ? Était-ce une naïveté de ma part que de penser qu’il y avait un autre monde des morts que la Plage des Cafards ? Peut-être que tout ça n’est qu’une leçon que me donne mon Maître ? Alors, non ! Je refuse. Pas la peine de faire perdre son temps à qui que ce soit, ni d’abuser de la naïveté d’autrui. Je crois que je viens de mettre un point final à ma propre quête finalement. Et si, une fois de retour à Londres, je renonçais à tout ça pour, simplement, reprendre ma place à la Plage ?
Éloge de l’errance… Oriente n’est pas très bavard. Mais des fois, il parle. Ou plutôt, il explique, il s’explique. Il doit bien voir quand je ne comprends pas les motifs de ses actions. Alors, à sa façon, il m’explique. Et je crois que je comprends. En fait, je me rappelle que cette forêt n’a rien de réel. Enfin, je le pense. Pour moi, elle n’existe pas vraiment. Elle est un produit de mon imaginaire traumatisé par le Draugr. Oriente est mon guide mais il n’est peut-être finalement que la partie encore rationnelle de mon être, cette partie sensée m’aider à y voir plus clair, à retrouver on chemin, à me retrouver moi-même. À moins, qu’il ne soit qu’une émanation de mon Maître ? En tout cas, Oriente ma clairement fait comprendre que cette errance dans les bois avait pour but de me permettre de cheminer avant tout en moi-même et de me purger de cette terreur que le Draugr a enfouie au plus profond de moi. À ce moment-là, nous sortirons de la forêt. Mais en attendant, que notre voyage soit le plus agréable possible…
Évidemment que je me rappelle de mon point de départ ! La Plage ! J’ai fui la Plage, convaincu que mon Maître considérerait comme une hérésie passible de mort ma quête d’un autre monde des morts. C’est pour ça que je me suis caché dan ce Londres alternatif. Et mon point de départ pourrait s’avérer être mon point d’arrivée finalement.
La nuit, pendant qu’Oriente monte la garde, je dors. J’en profite. Je me repose dans tous les sens du terme. Je me repose de nos longues heures de marche. Et j’en profite aussi pour ne plus penser à rien. Je me repose sur… Oriente.
Oriente se montre vulnérable car il veut que je comprenne que c’est là une caractéristique fondamentalement humaine. Je suis un Cafard, certes, mais contrairement à beaucoup de mes semblables j’ai développé une certaine humanité. Et je dois me rappeler ce que comporte cette humanité. Oriente est une part de moi ou une part de mon Maître qui se trouve en moi. C’est une expression, une projection de mon… Inconscient, de mon Surmoi ? Je ne sais pas trop. Mais il est une facette de ce que je suis que je ne dois pas oublier, ni négliger. Cette vulnérabilité n’est peut-être pas une faiblesse finalement. Et peut-être que ce voyage a pour but de m’en faire prendre conscience et ainsi affronter la terreur du Draugr.
Et je me rend compte que je me perds dans des considérations pseudo-psychologiques… Est-ce là la preuve que je me rapproche des humains ? La preuve que je libère de quelque chose ? Que j’accède à quelque chose ? Je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, j’ai l’impression que c’est Oriente qui me conduit à ces réflexions. Alors, certes il n’a rien d’un aliéniste tel qu’on en trouve une multitude à Londres mais j’ai finalement plus confiance en lui qu’en eux. Cela signifierait que, finalement, j’ai peut-être plus confiance en moi que je ne le croyais.
Et voilà, c’est maintenant ! Oriente semble satisfait de notre dernier échange. Je ne m’en étais pas rendu compte mais nous sommes maintenant arrivés à un carrefour décisif. Je peux maintenant poursuivre seul mon chemin et regagner Londres puis, peut-être, si l’envie m’en prend, la Plage. Ou alors, si je le souhaite, Oriente est prêt à me servir de compagnon de route pour autant de temps que je le souhaite. Mais, ce serait abuser de son temps justement. Et peut-être que d’autres « naïfs » ont besoin qu’on les guide, qu’on les éloigne de leurs proies chimériques ? Non, je vais continuer seul maintenant. Je sens la proximité de Londres plus que je ne vois la capitale mais… Je sais où et comment y aller.
Je remercie Oriente. Je ne lui dis pas adieu car il sera là, quelque part, au fond de moi, mon guide dans la forêt…
Commentaires de Thomas :
A. As-tu choisi un portrait pour Oriente pour cette partie ?
B. « Était-ce une naïveté de ma part que de penser qu’il y avait un autre monde des morts que la Plage des Cafards ? »
Un autre monde des morts est possible 🙂
C. « En fait, je me rappelle que cette forêt n’a rien de réel. Enfin, je le pense. Pour moi, elle n’existe pas vraiment. Elle est un produit de mon imaginaire traumatisé par le Draugr. Oriente est mon guide mais il n’est peut-être finalement que la partie encore rationnelle de mon être, cette partie sensée m’aider à y voir plus clair, à retrouver on chemin, à me retrouver moi-même. »
Je trouve intéressant cette idée qu’en fait on est dans l’inconscient du personnage et qu’Oriente n’est qu’une projection de son inconscient censé le guider 🙂
D. C’est intéressant que tu ne recopies pas les questions du jeu. Du coup, la narration est fluide et sans méta, plus immersionniste et/ou littéraire.
E. C’est très introspectif comme climax et finalement il n’y a aucune péripétie. Mais je suppose qu’on retrouvera Oriente plus tard, dans d’autres campagnes, dans d’autres situations conflictuelles…
J’ai vraiment beaucoup utilisé Oriente dans les coulisses de mes parties, c’est d’ailleurs devenu l’exemple type dans mon article « Les jeux cumulables » et c’est également institutionnalisé dans mon jeu Les Forêts Limbiques (qui préconise d’utiliser Oriente pour caractériser la relation avec le guide limbique).
Donc je suis d’autant plus content de voir Damien s’être emparé à plusieurs reprises du jeu. Vu que le concept de jeux cumulables me vient beaucoup des pratiques de Damien… la boucle est bouclée !
https://outsiderart.blog/2020/09/23/les-jeux-cumulables/
https://outsiderart.blog/millevaux/jeux-par-thomas-munier/biomasse/les-forets-limbiques/
J’aimeJ’aime