Vous reprendrez bien un peu de jeu dans votre narration ? Une série de pistes pour importer des pistes de narration interactive dans le jeu de rôle textuel.
Un article initialement posté sur le défunt blog d’Infinite RPG !
Et vous, quelles sont vos techniques de ninja pour écrire des RP qui déchirent ?
Temps de lecture : 6 minutes
Fernanda Andrade, cc-by-nc, sur flickr
J’ai commencé le RP textuel en 2001… sur les forums Caramail. Çà ne nous rajeunit pas ! Après un gros hiatus dans lequel j’étais plus occupé à faire du jeu de rôle sur table (réelle ou virtuelle) et du jeu de rôle grandeur nature, je me suis de nouveau intéressé quand un groupe a fait une séance textuelle avec un de mes jeux (Inflorenza) et un autre une campagne entière. Je me suis remis à la page en suivant les tables rondes d’Infinite RPG, et j’ai ensuite proposé Les Forêts Mentales, mes propres règles pour faire du jeu de rôle textuel dans mon univers forestier de Millevaux. Les Forêts Mentales s’éloignaient de règles de jeu de rôle sur table pour épouser les contraintes du jeu de rôle textuel et proposer un format à la fois peu exigeant en engagement (un post par jour avec possibilité de déclarer des jours « fériés ») et nerveux en narration (les règles permettaient à la fois de respecter les principes de mon univers, mais aussi de produire des rebondissements).
Je pratique les médias narratifs sous bien des formes (roman, poésie, jeu de rôle sur table, textuel, grandeur nature, solo, jeu de plateau, jeu vidéo) et je m’intéresse en général aux concepts sous-jacents. Je voulais ici produire un retour d’expérience avec le challenge suivant : comment dynamiser ses RP en jeu de rôle textuel ?
Je précise que je suis loin de connaître toutes les façons de jouer (par exemple, je suis très peu calé en City), donc bien sûr ce que je propose demandera un travail d’adaptation. J’ai essayé de proposer des pistes qui s’adaptent aussi bien au jeu avec ou sans modo, et même au jeu solo.
Dynamique
Quand nous accomplissons quelque chose d’important, nous pouvons déclarer ensuite une conséquence négative. Ce qui est mieux, c’est si cette conséquence est également liée à l’ambiance de l’univers de jeu (dans un jeu City, si un personnage décroche un gros contrat, peut-être que son amoureux.se va se détacher de lui), et le mieux du mieux, c’est si cette conséquence est aussi liée à un autre personnage (ainsi, l’amoureux.se de notre personnage va désormais draguer un autre personnage). (1)
Amenons des défis dans le jeu, sans attendre après les autres pour ça. Évoquons ce frère perdu que nous recherchons depuis toujours, cet étrange manuscrit que nous cherchons à déchiffrer, cette clef dont nous ignorons quelle porte elle ouvre, ou ce mentor que nous voulons impressionner. Lançons-nous dans la résolution de ces défis, personnels, ou liés aux enjeux d’autres personnages, et le jeu collectif fera le reste.
Pensons hors du cadre. Pour amener des idées surprenantes qui font bouger les choses, sortons le nez de notre écran, du format JDR textuel et même du contexte de jeu. Allons puiser de l’inspiration dans tous les médias ludiques et narratives : telle épreuve rencontrée dans un jeu vidéo peut être réintroduite dans notre RP, tel personnage issu d’un visual novel peut devenir l’élu.e de notre cœur, telle mécanique d’escape game peut ressortir dans la prochaine pièce que nous explorons.
Faisons des jeux dans le jeu. Les pico-games et autres nano-games sont parfaits pour amener du sel dans notre RP, et peuvent se faire avec la complicité des autres joueurs et joueuses. Par exemple, ce pico-game de Valentin T. peut motoriser une scène d’enquête :
« Le crime parfait
Jeu de rôle pour 3 participants
Le MJ décrit les faits d’une scène de crime : la victime, le lieu, les objets, la situation. Les deux autres joueurs peuvent poser chacun 5 questions au MJ au sujet de cette scène de crime. Le MJ peut refuser une question s’il estime qu’un enquêteur sans matériel particulier n’est pas susceptible de lui trouver de réponse en quelques minutes d’investigation. Ensuite, les deux joueurs exposent chacun leur tour leur interprétation des faits. Le MJ énonce qui est le plus proche de la vérité, sans rien révéler de plus. »
De manière générale, vous pouvez utiliser des règles de jeux de rôles sur table pour créer le profil de votre personnage, établir ses motivations ou évaluer s’il réussit une action et quelles sont les conséquences. Il y a beaucoup de jeux de rôle différents, certains ont une identité forte qui va beaucoup orienter votre RP, comme par exemple The Beast par Aleksandra Sontowska et Kamil Wegrzynowicz, un jeu de rôle où l’on a une relation érotique dérangeante avec un monstre, ou Inflorenza Minima qui pose un dilemme moral à chaque résolution de défi.
Tous les petits jeux d’inspirations nous seront utiles, tels que les Story Cubes de Rory O’Connor (des dés qui donnent des orientations narratives), Muses et Oracles de Saladdin (système de carte qui sert à la fois pour résoudre les actions et obtenir des inspirations), Imagia (un jeu de cartes de Franck Plasse et Le Grumph, qui vous donnera des illustrations inspirantes), Dixit (un jeu de cartes par Jean-Louis Roubira avec des illustrations surréalistes) ou un bon vieux tarot de Marseille, toujours très efficace pour faire voyager l’imaginaire.
Rythmique
Notre jeu gagnera à être nerveux. Agissons sans forcément trop attendre les autres, cela devrait les galvaniser et les inspirer (bien sûr, assurons-nous en méta que c’est bien le cas, et freinons notre jeu si c’est demandé). Cependant, gardons-nous d’une frénésie d’action qui deviendrait grotesque et contre-immersives. Assurons-nous des moments de calme et d’introspection pour notre personnage. Ces moments peuvent être feelgood (notre personnage va prendre le thé avec sa mamie et lui raconte ses aventures) ou feelbad (notre personnage se soûle au scotch de contrebande dans un bar miteux en ressassant ses vicissitudes). Ces moments de calme peuvent aussi être l’occasion d’un dialogue posé avec un autre personnage, un moment de confidence ou de menace larvé. Un moment de calme devrait toujours s’avérer aussi riche en informations qu’un moment d’action : ce n’est pas du jeu au rabais.
S’il convient de jouer aux montagnes russes entre action et contemplation, gardons-nous que ça se ressente dans la taille des posts. Un post d’introspection mérite la même taille qu’un post d’action. Dans la mesure du possible, la taille de nos posts devrait varier du simple au double, jamais plus. Cela évite que les autres soient pris de court. Sauf effet de style très calculé, nous devrions éviter les longs placards ou les posts d’une phrase.
Narration par l’espace
Évitons que nos posts tournent uniquement autour du nombril de notre personnage. Son environnement est important, ne serait-ce d’ailleurs que pour en dire plus sur le personnage, de façon plus ou moins symbolique. « Il pleut tristement sur les quais où j’erre, dans l’odeur de béton mouillé », n’est certes pas un moment de bravoure littéraire, mais il permet de placer notre personnage dans un décor, décor qui nous instruit sur l’état d’esprit du personnage.
Cet espace que nous décrivons, faisons-en un réel espace de jeu. Envisageons les décors que notre personnage visite comme un mini-donjon, les figurants que notre personnage rencontre comme un défi de roleplay. Sans porter entorse au jeu des autres ou au modo, nous pouvons facilement décrire comment nous résolvons quelques mini-épreuves, juste pour montrer que notre personnage n’a pas perdu la main, qu’il est crédible dans son rôle. Cela inspirera les autres pour nous proposer des défis ou des dilemmes plus intenses qui nécessiteront un échange à plusieurs pour être traités.
Nous pouvons aussi nous abstenir de décrire notre environnement mais lancer des pistes. Alors que nous nous mettons en route vers un endroit, disons ce que nous nous attendons à trouver (2). La personne en charge de décrire l’endroit pourra utiliser ça comme inspiration si elle le désire.
Social
Dans la mesure où nous jouons à plusieurs, les choses seront toujours mieux huilées si nous tenons compte les uns des autres. Assurons-nous d’avoir un canal méta et utilisons-le pour demander aux autres comment ça va, quelles sont les attentes, s’il y a des blocages, des projets… Cela n’est pas forcément uniquement le rôle du modo de poser ces questions-là : l’écoute collective est bénéfique à toute l’équipe. De temps en temps, si c’est possible, une petite coordination en vocal via Discord ou autre permet de remettre les choses au clair et de relancer la machine.
Ce jeu social, il est tout aussi important dans notre RP. Même si notre personnage est le loup solitaire le plus individualiste du monde, quand nous l’incarnons, assurons-nous de tendre des perches aux autres (notre personnage agresse ou complimente un autre personnage, organise quelque chose avec lui, ou évoque un passé commun ou un serment…). Tâchons aussi de bien lire les posts des autres entre les lignes et de rattraper toutes les balles qu’on nous lance, même si ça implique de délaisser un instant notre quête personnelle pour faire du jeu choral. Par ailleurs, notre quête perso, il ne tient qu’à nous de la relier aux autres personnages. Et si l’assassin que nous pourchassons s’en était aussi pris à un proche d’un collègue ?
Essayons de nous figurer la relation que nous entretenons avec chaque personnage, et si elle est trop mince, creusons-là pour nous donner plus d’opportunités d’interactions. Demandons de l’aide aux autres personnages, ou au contraire affrontons-les dans une lutte directe ou un contentieux périphérique. Collectif !
Pensée globale
Jouer d’instinct a son petit intérêt, mais nous pouvons aussi essayer de jouer en ayant une trame générale en tête. Recherchons une cohérence d’ensemble pour notre personnage, ses actions et ses aventures : Quelles sont les valeurs du personnage et comment peuvent-elles être challengées ? Quel est son histoire et comment va-t-elle revenir sur le tapis ? Quelle est sa physionomie et les lieux qu’ils fréquentent, qui constituent son apparence, ses habilités et sa personnalité ? Quels sont les tropes liés à notre personnage ? C’est-à-dire : quelles genre d’aventures est-il destiné à vivre ? Comment surviennent-elles et s’y prête-t-il de bonne ou de mauvaise grâce ? (3)
Ce schéma global, une fois en tête, peut s’avérer être un véritable compas pour nos RP, qui va donner une cohérence à nos posts, et renforcer celle du jeu tout entier, à condition que nous ayons fait un personnage compatible avec le contexte de jeu et les envies globales des autres.
Conclusion
J’espère que cet article vous a donné envie d’expérimenter dans le cadre de vos futurs posts, ou vous a confirmé dans des pratiques que vous aviez peut-être déjà. Il est bien sûr loin d’être exhaustif, les techniques de jeu et de narration ayant atteint une masse encyclopédique de nos jours. Je suppose aussi que chaque technique proposée ici pourrait être contredite par une technique inverse (par exemple prôner le respect du contexte de jeu plutôt que d’importer trop de sources d’inspirations externes est une position qui se défend tout à fait). Je suis à votre disposition dans les commentaires pour en débattre et découvrir quelles sont vos propres techniques. Merci de votre attention ! 🙂 (4)
(1) Les Forêts Mentales, jeu de rôle textuel par Thomas Munier
(2) La Clef des Nuages, jeu de rôle sur table de kF
(3) Isabelle Périer : Pour une poétique des valeurs en JDR, conférence au Colloque Universitaire « Engagements et résistance au jeu de rôle »)
(4) Thomas Munier, Le jeu de rôle textuel, ça mange quoi en hiver ?, sur Youtube
De l’eau a coulé sous les ponts depuis cet article, notamment il y a toutes les méthodes pour écrire du roman à partir de techniques de jeu de rôle. L’article « quand la toile de fond envahit l’écran » serait utile également : https://outsiderart.blog/2020/05/04/quand-la-toile-de-fond-envahit-lecran/
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Oui c’est vraiment agréable de vous lire.
Donc votre défi :
Comment dynamiser ses RP en jeu de rôle textuel ?
Ne serait-ce pas avoir du style. Un style synthétique mais riche de saveur, couleur. Lire ou relie Le bruit et la fureur de Williams Faulkner. Ou du coté de l’érotisme Parties Communes d’Anne Vassivière.
On est du coté du style qui fait ressentir, qui crée l’image et fait exploser des sensations chez celui qui lit. Et qui ouvre des portes de possible chez l’autre, la partenaire joueuse qui devra aussi rebondir.
En fait finalement vous parlez de littérature.
Nous avions essayé dans les années 90 pour la campagne de je maitrisé avec des amies éloignées, nous ne pouvions nous retrouver qu’une fois par mois et demi. Concept de « Rôle Writing » que nous tentions de mettre au point se confronta à un écueil : Le style. Et quand certaines d’entre nous en avait un peu la difficulté c’était de le rendre cohérent avec l’ensemble. Ensuite la synthèse des écrits devait être intégré à la partie qui venait autour de la table.
Nous avions remarqué que ce style de jeu créer de grande frustration de ne pas forcément avoir était compris dans l’introspection que chaque joueuse faisait de son personnage. La question reste posée.
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Oui bien vu, il est finalement question de littérature. De littérature interactive, qui plus est, ce qui pose un défi supplémentaire, puisqu’en plus d’une exigence de style, on peut se donner une exigence de tendre des perches à l’autre. Tout cela est difficile et on peut en effet ressentir de la frustration à ne pas être « à la hauteur du défi ». Je crois qu’une indulgence mutuelle entre roleplayeutes est donc salutaire, pour que ça reste un jeu et non une épreuve du bac L 🙂 On peut également, pour accueillir dans l’exercice des profils peu littéraires ou parce qu’on manque de temps, adopter des formes de RP textuel très ramassées, comme c’est proposé avec Mycorhizes, un jeu textuel pensé pour les SMS et messageries instantanées : https://outsiderart.blog/millevaux/mycorhizes/
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