Le jeu de rôle se conjugue à l’imparfait

Cet article est initialement paru dans le Frankenzine N°1. Je le reproduis ici pour plus d’accessibilité. Retrouvez également l’article seul et dans son audacieuse maquette originale ici.

Avertissement : cet article évoque le jeu de rôle en tant qu’art ou en tant qu’expérience. Il n’a aucune pertinence pour le jeu de rôle pratiqué en tant que jeu.

Pour aller plus loin :

Thomas Munier, Le jeu de rôle : un jeu, un art, une expérience, sur Outsider

sahiljatana, cc-by-nc, sur flickr

Pour Morgane Reynier, une partie de jeu de rôle est belle car c’est un mandala, une œuvre d’art éphémère. C’est aussi ce qui fait son imperfection. Nous ne pouvons pas couper ce que nous avons dit, une grande partie du contenu est improvisée (même avec des scénarios bétonnés), la création à plusieurs nécessite des allers et retours et du méta-discours. Rien à voir avec l’aspect fini d’une représentation de théâtre (les actrices savent leurs textes par cœur, ont répété leurs gestes, et ne s’adressent plus l’une à l’autre sans sortir du personnage) ou un film de cinéma (le contrôle est accru, on fait plusieurs prises, on monte…).

Pour aller plus loin :

Morgane Reynier, Le temps de l’Instant, sur Rose des Vents

Lors des débriefings, on voit que la partie, si on y cherchait une expérience ou une pratique artistique, est rarement satisfaisante à 100 %. La perfection semble structurellement hors de portée, et notamment l’immersion totale, et le discours purement fictionnel, ou purement utile. Il y a toujours cette part de discours qui ne tombe pas juste, ces incompréhensions, ce méta-discours, ces cafouillages, ces pauses, ces sorties de jeu et ces ventres mous.

Si l’on veut un résultat fini, une sorte de pureté, je vois deux écoles. :

  • Des systèmes de jeu qui limitent au maximum ces sorties de piste. Des systèmes freeform, où les mécaniques s’entendent peu, des systèmes vertueux, qui portent la qualité des énoncés des joueuses, des systèmes simples, qui limitent les mises au point techniques ;

  • Des joueuses expérimentées, qu’elles soient rompues au système utilisé, le manipulant avec silence et fluidité, ou qu’elles soient issues du théâtre d’improvisation ou du jeu immersionniste, deux pratiques bannissant le méta.

Las ! Le tout-fictionnel ne suffit pas. Une table peut abolir le méta mais produire des fictions plates ou des roleplays insipides, car justement la coordination méta tient un rôle central dans la qualité de l’expérience ou de l’œuvre d’art. Qu’on se figure un tour dans un manège à sensation. L’expérience gagne en intensité si on la fait en groupe, si on commente, si on crie, si on jubile, si on discute avant et après le manège. Voilà pour le rôle du commentaire dans l’expérience. Notre appréciation et notre compréhension d’une œuvre d’art s’inscrit dans un dialogue culturel permanent, entre culture générale, explication de texte, débats esthétiques. Pratiquer le jeu de rôle en tant qu’art implique ces débats en briefing, en débriefing, et tout au long de la partie. Sermonner une autre joueuse sur sa fourberie dans un jeu de rôle moral fait partie de l’expérience, manifester son admiration face à la narration d’une autre dans un jeu de rôle esthétique fait partie de l’œuvre d’art, tout comme une pièce de théâtre existe par les applaudissements, les consignes de mise en scène, et la coordination entre actrices.

Le jeu de rôle, loisir méta-fictionnel par excellence selon Vivien Féasson, trouve sa qualité d’expérience et d’œuvre d’art par l’entremise du méta. Quand Eugénie évoque le style d’une joueuse, elle explique avant tout que le jeu en performance se trouve dans un investissement conscient des différents niveaux de discours, et leur interpénétration. Le médium est le message, et le message du jeu de rôle se situe dans ce troisième espace qu’est le méta, entre joueuse et fiction.

Pour aller plus loin :

Vivien Féasson: Le jeu de rôle, loisir du méta? [Orc’idée 2017], sur Youtube

Eugénie et kF, Jouer en performance 1, sur JenesuispasMJmais

Une fois accepté le rôle du méta, il reste la question de la qualité des interventions. Faut-il bannir toute mollesse de jeu, tout temps mort, tout cliché ? Les systèmes vertueux et le casting de joueuses semblent promettre cet horizon. Mais la partie parfaite n’aura pas lieu. Les systèmes les plus vertueux échouent à faire accéder une table débutante à la magie annoncée sur la quatrième de couverture : il faut toujours un peu de pratique. Et même l’équipe la plus chevronnée pourra de temps à autre peiner à s’harmoniser, ou laisser une ou deux joueuses sur le carreau. Et par ailleurs, le choix de jeux spécialisés ou le casting de joueuses présentent tous les deux le même écueil : ils mettent trop de joueuses à l’écart.

Pour aller plus loin :

Thomas Munier, Les jeux de rôle spécialisés : un pousse-à-la-consommation ?, sur Outsider

La vraie émotion que nous recherchons est peut-être le partage. Aussi tout le monde met de l’eau dans son vin, on jouera à un jeu un plus inclusif, on acceptera des joueuses débutantes à la table. La partie sera imparfaite. Et c’est le prix d’un partage réussi, d’un moment d’humanité.

2 commentaires sur “Le jeu de rôle se conjugue à l’imparfait

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