Le lore, j’adore

Ivre, il livre une dernière digression théorique sur la rédaction de ces délicieuses logorrhées sur les détails d’un univers qu’on appelle le lore, et comment assaisonner icelles afin de les rendre plus digestes et jouables.

(temps de lecture : 4 min)

auteur inconnu, domaine public

PRÉAMBULE

Oui, j’avais dit que je ne ferais plus d’article de théorie. Ce court texte fait exception. Il s’agit de la reproduction d’un thread initié sur le réseau Mastodon (mon compte ici). Je me suis dit que ce serait dommage de laisser cette réflexion disparaître dans les limbes du réseau social, dont je la reposte ici pour archive.

Cet article vise à étudier comment présenter l’univers dans un jeu de rôle traditionnel. Il fait écho à la série sur le système-monde qui elle présentait des approches plus icônoclastes. Ici, il s’agit de trouver une façon de présenter élégamment l’univers tout en restant dans le canon du jeu de rôle traditionnel, c’est-à-dire dans une approche encyclopédique.

DÉFINITION

D’après le lexique du jeu vidéo de Wikipédia, le lore, emprunt à l’anglais signifiant « folklore », « tradition orale », « diégèse », est l’histoire d’un univers de fiction ne constituant pas l’intrigue principale d’une œuvre. Ce terme est notamment utilisé dans le domaine des jeux vidéo.

DE CE QUE J’EN PENSE

Je suis en train de lire un jeu de rôle à des fins de recherche documentaire, et je constate la même chose que bien souvent : il me tombe des mains. J’ai toutes les peines du monde à accrocher à la lecture du lore, aussi intéressant à lire.
Cela me confirme que la présentation encyclopédique du lore a ses limites (au moins pour moi en tant que lecteur). Heureusement, en tant qu’auteur, je sais comment faire autrement, et sans passer par l’alternative des tables aléatoires.

Imaginons qu’on veuille écrire du lore encyclopédique. Comment bien le faire ?

Il me semble qu’il faut commencer par clairement distinguer le lore superficiel du lore profond.

Le lore superficiel est ce qui est nécessaire et suffisant d’expliquer à la table avant de jouer la 1ère partie.

Le lore profond c’est tout le reste, ce qui n’a qu’une chance circonstancielle d’intervenir en partie. Il doit être présenté à part dans le livre.À la fin du livre…

Par ailleurs, il me paraît intéressant, pour chaque élément de lore profond, d’exemplifier son utilisation en jeu ou de renvoyer à un scénario qui l’utilise. Rien n’est plus désagréable à la lecture que d’avoir le sentiment de lire des éléments de lore qui n’ont aucune chance d’intervenir en jeu.

Gudongfeng, cc-by-sa

Une partie du lore profond est de la pure couleur. Des informations qui apportent du contexte sans pour autant générer de véritables situations. C’est souvent le cas des infos relatives au passé : histoire de l’univers, préhistoire, cosmogonie… Je ne pense pas pour autant qu’il faille expurger ce lore « tapisserie ». Il a un intérêt pour l’immersion. Reste à savoir comment le transmettre.

Andrea Kirkby, cc-by-nc

Pour transmettre le lore « légendaire », l’idéal serait des scénarios d’exploration de ruines du passé. Avec un moteur proche du jeu Sphynx, ça peut être passionnant et pour le coup totalement ludique.
L’autre option c’est le conte de veillée. Des bardes peuvent aussi raconter des bouts de lore. On peut débiter les légendes en fiches de contes, charge aux PJ eux-même de se les raconter à la veillée.

On peut convertir le lore « tapisserie » en quelque chose de plus ludique. Le passé de l’univers devient plus intéressant s’il a des répercussions concrètes dans le présent. Par exemple, la guerre entre géants et gobelins peut être justifiée par le fait que dans la préhistoire, les premiers géants auraient volé leur grand taille aux premiers gobelins. Les conflits actuels peuvent aussi être la conséquence directe de conflits ou de déséquilibres passés.

Le lore « tapisserie » le plus inutile (ou du moins celui qui se limite le plus à de la couleur) est celui qui n’a plus aucune conséquence dans le présent. Genre : il y a eu des elfes dans le passé mais ils ont totalement disparu. Il faudrait a minima la possibilité d’explorer des ruines elfiques ou d’utiliser des artefacts elfiques. Ou envisager que quelques elfes préparent un grand retour dans la clandestinité. Ou que le mal qui causa leur chute menace à nouveau.

Cette relation entre présent et passé se doit d’être évoquée tôt dans le texte de lore, ceci pour éviter l’effet « je vois pas l’intérêt du lore, je referme le livre ». Si vous évoquez du lore-tapisserie en p24 et attendez la page 150 pour parler de ses répercussions dans le présent, vous pourriez bien avoir perdu votre lectorat au passage. Laissez au moins quelques indices dès la p24, ou un renvoi vers la p150.

Betty B, cc-by-nc

On a évoqué le rôle des scénarios pour instiller le lore en douceur. Je trouve que c’est par exemple un job que font assez bien les scénarios pour L‘Appel de Cthulhu. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer la volonté des MJ d’avoir la main sur les aspects du lore abordés.
Un index des éléments de lore abordés par scénario serait un bon début.
Une constellation de scénarios connectés, directement visible par MJ, et permettant une navigation fluide, voilà le graal que j’envisage.

Constellation des scénarios-mondes pour Biomasse

Je crois au potentiel des compétences de savoir pour développer le lore « tapisserie ». Reste que ces compétences risquent d’être sous-utilisées, s’il y a peu d’incitation scénaristique à faire des jets de savoir pour accéder au lore tapisserie.
On pourrait envisager que faire un jet de savoir serait récompensé par des points d’XP à investir à loisir.
On gagnerait à étendre cette incitation à l’ensemble des compétences, elles sont au service du canon esthétique.

Andrew Toskin, cc-by

Le lore se limite-t-il au présent et au passé ? Je pense que le futur de l’univers est intéressant à traiter. L’univers a un tropisme. Cela peut être abordé dans les scénarios. (J’imagine que certains scénarios de Fading Suns traitent de l’extinction progressive des étoiles). Mais aussi frontalement dans une timeline du futur de l’univers. À voir si les PJ peuvent faire dévier cette timeline ou s’il s’agit d’un horizon avec lequel il faudra composer.

Une partie du lore est composée de descriptions. En tant que MJ, je suis preneur de belles descriptions toutes faites, j’adore les lire telles quelles à haute voix.
Enfin telles quelles, pas tout à fait. On peut travailler sa diction comme si on voulait enregistrer un livre audio. Lisez d’abord la description dans votre tête avant de la lire à haute voix : vous serez beaucoup plus fluide et pourrez mettre de l’intention, du ton, des voix, du rythme…

J’ai un petit souci quand le lore, comme les images, est mis à la seule disposition d’MJ, qui a pour charge de le restituer à sa manière en jeu. J’ai beaucoup apprécié ma partie de A Viricorne Guide (un jeu de rôle de Paul Czege) parce que notre MJ nous avait demandé de lire le lore en avance. En tant que PJ, j’ai eu alors une expérience beaucoup plus fluide, avec plus d’agentivité dans mon exploration.

Une information importante à afficher, surtout si vous envisagez le partage avec toute la table : le temps de lecture du lore.
Comptez 300 mots / mn à l’écrit, 100 mots / mn à l’oral.
Expliquer quels éléments de lore lire en avance et pour quel temps de lecture est un bon élément de contrat social.

Un point de votre lore à haut risque est l’approche géographique. Vous avez deux problèmes. Le premier est la tentation de l’extrême diversité : un peuple inspiré des maliens, un peuple inspiré des aztèques, un peuple inspiré des aborigènes… Comment maintenir une cohérence avec une telle diversité ? La solution : une parcimonie dans le nombre de thèmes

Ainsi, détailler toujours les mêmes aspects pour chaque peuple : la manière de se combattre, les totems et tabous… On reste sur un noyau dur ludonarratif avec du design par exception.
L’autre éceuil, c’est que les PJ aient peu de chance de visiter les nombreuses contrées différentes. Un peuple situé à leurs antipodes n’aurait alors aucune chance d’être mis en jeu (à suivre).

Comment aller à la rencontre des peuples ? Solution : faciliter le voyage des PJ (forte motivation scénaristique à voyager, ellipses temporelles, portails de téléportation…) ou faciliter le voyage des PNJ. Prévoir une ville ou une caravane cosmopolite où tous les peuples sont présents est une bonne manière de maximiser l’emploi du lore géographique.

(Norman Jacobsen, domaine public)

CONCLUSIONNATION

C’est la fin de cet article sur le lore. Je ne crois pas réinventer l’eau chaude, mais ceci dit il me semble que c’était nécessaire de poser quelques bases qui mériteraient d’être prises en compte dans une approche de rédaction de jeu de rôle traditionnel. Ceci est à mettre d’ailleurs en parallèle avec mon article Comment créer un jeu de rôle traditionnel.

That’s all, folks !

5 commentaires sur “Le lore, j’adore

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