Le visage sous un sac plastique

LE VISAGE SOUS UN SAC PLASTIQUE

La quête absurde qu’un dieu fait endurer à un homme… pour un simple nom. Un récit par Damien Lagauzère

(temps de lecture : 1/2 H)

Joué le 02/03/2019

Le jeu principal de cette séance : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux. 

Salut, voici donc mon dernier Bois-Saule. les parties « rituel » ont été joué avec The Name of God et les parties sur les Antigens avec Zombie dice ^^

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Apionid, cc-by-nc-nd, sur flickr

L’histoire :

    Ma vie n’est qu’une longue errance à travers la forêt. Des fois, je reste seul pendant des mois. Des fois, je me joins à un groupe de nomades. Des fois, comme maintenant, je reste quelque temps au sein d’un groupe sédentaire. Ils s’appellent le Clan des Arbres. J’ai écouté les paroles de leurs sages et de leurs shamans. Ils connaissent le Dieu qui est en moi. Ils savent qu’il existe. Ils savent qu’il est un Dieu. Un petit Dieu mais un Dieu quand même. Ils m’ont expliqué par quel rituel je peux retrouver son nom.

    « Je suis le Glitch !
    D’un seul coup d’œil, on voit que je suis différent, même si on ne peut pas dire pourquoi.
    L’Envie se cache en moi.
    Mais la Justice se cache elle aussi en moi.
    «Je suis le Glitch ! »

XxXxX

    Il n’existe pas de trace écrite de ce rituel. Aussi, j’ai pris en note ce que m’a raconté un des shamans du Clan des Arbres. NoAnde m’a expliqué qu’afin que soit révélé le nom du Dieu qui m’habite, je devais me rendre en trois lieux importants à Ses yeux. Une fois là, à trois états différents de la lune, je devais demander aux Yeux de la Forêt ce qu’ils attendaient de moi. NoAnde affirme que ce n’est que quand j’aurais accepté par trois fois, en trois lieux et en trois états de la lune de me soumettre à leur volonté que les Yeux de la Forêt me révéleront le nom du Glitch.
    Je dois donc me rendre en trois lieux consacrés. Le premier, quand la lune est pleine, est le Tombeau des Corso. Le second, quand la lune est absente, est la Capitale de la Douleur. Le troisième, quand la lune est rouge, est Celui que je n’ai pas vu depuis si longtemps…

XxXxX

    Nous sommes le 20 Merdier,

« Mes enfants…
Vous êtes nés pour porter le fardeau de la corruption sur votre visage.
Et ils vous chassent ?
Triste hommes. »

    J’en ai pour trois jours avant d’atteindre le Tombeau des Corso. NoAnde m’a raconté que cette famille était connue, et réputée, pour combattre les Horlas. On dit aussi que le fondateur de cette lignée, Tad Edes Corso était un ange aux ailes de bois et de sang. On raconte qu’il a traqué les Horlacanthes jusque dans leur monde de cauchemars. Et on dit aussi qu’il est mort en combattant le Titan-Millevaux, un avatar de Shub-Niggurath. Ce dernier point est peut-être vrai, puisque l’histoire dit qu’il en est mort.
    J’étais perdu dans mes pensées quand j’ai été surpris par une effroyable tempête. Impossible de continuer dans ces conditions. Pourtant, nous sommes encore le matin et je m’en voudrais de perdre une journée de marche. J’avance du mieux que je peux et finis par me réfugier dans ce qui semble être une usine abandonnée.
    Je suis tiraillé par la soif. J’explore un peu cet endroit et découvre de larges cuves remplies d’eau. Pourtant, les racines qui s’y sont plongées ont des formes étranges, torturées. Je remarque alors que ces racines courent justement des cuves jusqu’aux murs. Là, certaines s’enfoncent dans la terre et d’autres grimpent jusqu’au plafond. Je prends du recul et observe les murs. J’ai l’impression que ces racines dessinent un motif. On dirait une toile d’araignée. J’ai un très mauvais pressentiment. Suis-je tombé dans le repaire d’une horrible créature ? Quel genre d’araignée pourrait tisser une toile de bois ? Quel est le rôle de cette eau dans tout ça ?
    Toujours sur mes gardes, je réfléchis. Je tourne sur moi même à la recherche de quelqu’un ou quelque chose qui me surveillerait, qui serait prêt à me sauter dessus. Ce ne peut être une araignée qui a tissé cette toile puisqu’elle sort de l’eau. Ou alors, l’araignée aurait tissé sa toile qui aurait ensuite gagné l’eau par ses propres moyens ? Peut-être ? Mais je pense plutôt que cela vient de l’eau. C’est elle qui a inspiré ce motif aux racines. Et si c’était l’eau qui possédait quelques caractéristiques arachnides ? Peut-être une araignée mutante y est-elle morte ? Et si elle n’était pas morte ? La solution est au fond de ces cuves.
    Je dois savoir car je dois être certain d’être en sécurité. Mais surtout je dois savoir car j’en ai Envie ! Cette Envie me ronge. C’est plus que de la curiosité. C’est plus que la simple nécessité de me mettre en sécurité. Je dois savoir parce que, peut-être, d’autres savent. Et si personne ne sait, alors je serai l’unique détenteur de ce savoir. Je dois savoir !
    Je m’approche de la cuve. Peut-être y a-t-il à l’intérieur le cadavre d’une araignée mutante ? Peut-être qu’un monstre ou même un Horla va se jeter sur moi ? Peut-être qu’autre chose est tapi dans l’ombre et attend de me noyer dans cette cuve ? Je dois percer ce mystère ! Je dois savoir !
    Cette eau, c’est l’enfer ! Ce sont les eaux du Léthé, ce sont les eaux de l’oubli ! Cette cuve est vide, désespérément vide ! Comme… ma… mémoire…
    NoAnde me l’a dit. Pour connaître le nom du Glitch, je dois m’adresser aux Yeux de la Forêt en trois lieux et en trois moment de lune. L’un de ces lieux est Celui que je n’ai pas vu depuis si longtemps, mais, de quoi s’agit-il ? Je ne sais… plus…
    Moi qui croyais lever le voile sur un mystère, la Brume s’est invitée dans mon crâne ! L’oubli ! Je regarde en moi et je ne vois que le vide, le vide sidéral ! La nuit ! Et je comprends que ce vide, ce néant, n’est que mon reflet à la surface de cette eau stagnante dans cette cuve rouillée.
    Je me sens mal. Je suis en nage. Je songe un instant à me laver de cette sueur sous la pluie. Mais je remarque alors que la tempête s’est calmée. Le ciel est maintenant dégagé. Je vais pouvoir reprendre ma marche. Si je me dépêche, je devrais pouvoir rattraper mon retard. Et aussi, j’espère pouvoir creuser la distance qui me sépare des Antigens. Ils m’ont laissé en paix tant que j’étais au sein du Clan des Arbres mais, maintenant, je sais qu’ils sont de nouveau après moi. J’espère aussi qu’une fois au Tombeau des Corso, les Yeux de la Forêt voudront bien me rendre cette partie de ma mémoire dont j’ai besoin…

XxXxX

Je/Nous sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
Je/Nous traque/traquons celui qui se fait appeler le Glitch.
Pourquoi ?
Je/Nous ne le sais/savons pas.
Je/Nous ai/avons faim.
Je/Nous ai/avons vu ces gentils gens.
Je/Nous cours/courons après la fille et le garçon.
La fille et le garçon s’enfuient.
Quelqu’un Me/Nous tire dessus.
Deux Antigens sont tombés.
La fille et le garçon s’enfuient.
Je/Nous arrête/arrêtons de courir.
Je/Nous veux/voulons le Glitch.
C’est lui mon/notre véritable but.
Pourquoi ?

XxXxX

    Nous sommes le 21 Merdier,

« Ce qui me dégoûte le plus ?
Ces êtres qui s’accrochent à leur humanité comme un clochard à ses guenilles. »

    Je marche de nuit. J’ai dû rester caché une partie de la journée car j’ai cru déceler la présence des Antigens. Je ne veux pas qu’ils me mangent. J’ai faim. Je n’ai pas pu chasser et mes modestes provisions ne suffisent pas à apaiser cette faim qui me tiraille. Je marche de nuit, poussé par un vent violent. J’entends une série de claquements. Je m’approche et un rayon de lune éclaire une forêt de sac en plastiques accrochés à Dieu sait quelles ruines. Ce sont les sacs secoués par le vent que j’ai entendus. Je m’approche prudemment. Je regarde autour de moi. Je ne vois ni n’entends rien. Mais cela peut être un piège. Je regarde à l’intérieur d’un sac. Vide ! Qui les a mis là et pourquoi ? Je me laisse aller à rêver d’une communauté qui aurait vu là un moyen de récolter de l’eau de pluie. Ça aurait pu être ingénieux si, malgré la tempête d’hier, ces sacs n’étaient désespérément vides. Et ceux qui les ont installés, où sont-ils ? Qui sont-ils ? Sont-ils seulement toujours en vie ?
    Je déambule, à la faveur du clair de lune, entre ces ruines et ces sacs en plastique. Je garde la tête basse. Je ne veux pas voir le ciel étoilé. J’ai peur d’y voir ce que j’ai vu, un jour, dans le miroir. Mon reflet. Pas celui de mon visage. Celui de mon âme. Le vide. Le néant. Les ténèbres piquetées d’étoiles. Je ne peux pas voir ce vide. Ne suis-je qu’une enveloppe vide pour le Glitch ? Sera-t-il toujours là quand j’aurais trouvé son nom ? J’espère qu’il ne va pas m’abandonner. Non ! Je suis sûr que non ! Tout changera quand je connaîtrais le nom du Glitch. Je ne serai plus vide.
    Le crissement de mes pas dans les feuilles mortes me tirent de mes pensées. Je me fige soudain. Je garde la tête basse. Je sens quelque chose s’agiter sous la peau de mon visage. Le vent fouette les sacs en plastiques. Les claquements donnent le rythme des mouvements qui animent ma chair. Qu’advient-il de mon visage ? Je ne veux pas voir ça. Je veux savoir mais je ne veux pas voir !
    La Brume cache les mythes. Il n’y a aucune brume ici. Et il n’y a aucun mythe.
    Les mouvements sous ma peau cessent. Je porte mes mains à mon visage. Quelque chose a changé. Je me saisis d’un sac plastique. Je l’enfile sur ma tête. Je perce deux trous au niveau des yeux. Un autre au niveau de la bouche et un dernier au niveau du nez. Comme ça, je peux regarder mon visage.
    Le sac sent mauvais. Je me dégoûte.

    Je fais quelques pas et m’endors finalement au pied d’un mur en ruine. Quand je me réveille, je me sens bien. Je touche mon visage à travers le sac en plastique. Je n’ai pas rêvé. Quelque chose a changé. Mais, ce matin, j’ai le sentiment que si mon visage est horrible, cela est plutôt bon signe. Si je m’éloigne de l’humain, c’est que je me rapproche du Glitch. Et si je me rapproche du Glitch…

XxXxX

Je/Nous sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
La fille tire. Un Antigen tombe.
Les gentils gens montent dans un autocar.
Je/Nous monte/montons aussi dans l’autocar.
Je/Nous mange/mangeons un gentil gens.
Les autres gentils se tassent à l’autre bout de l’autocar.
Des coups de feu. Des Antigens tombent et n’auront plus faim.

XxXxX

    Nous sommes le 22 Merdier,

« Moi j’ai connu un loup ma foi, moi j’ai connu un loup !
Qui ne se nourrissait pas !
Qu’est devenu fou ! »
Chansons du Patriarche

    Dans la forêt, tous les arbres se ressemblent. Mais, quand on reste un moment au même endroit, on commence par voir que, comme tout le monde, les arbres sont tous différents. On apprend à les connaître, à le reconnaître. Ces arbres me disent quelque chose. Ils ne me parlent pas mais j’ai l’impression de les avoir déjà vus. Si nous nous sommes croisés, c’est que je suis déjà passé par ici. Est-ce à dire que je repasserais par-là ? Je ne sais pas.
    La nuit est tombée. La pluie tombe elle aussi. Tout le monde est tombé, sauf moi. Moi, je continue à marcher. J’ai l’impression d’avoir pris du retard. Je veux absolument atteindre le Tombeau des Corso tant que la lune est telle qu’elle doit être. Pleine ! La pleine lune. Et je me rappelle du jour que nous sommes. Et je me rappelle la Chanson du Patriarche. Est-ce qu’un loup va me sauter dessus ? Tout est possible dans cette forêt hantée par les Horlas. Pour l’instant, j’ai réussi à semer les Antigens. Mais si un loup-garou doit me tomber dessus, comme tombe la pluie, comme est tombée la nuit…
    J’accélère le pas. Pas seulement pour arriver au plus vite mais aussi pour accélérer le cours de mes pensées. Pourquoi cet endroit me dit-il quelque chose ? Je suis déjà venu ici. C’est sûr ! Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi je ne m’en souviens pas ? Est-ce la volonté du Glitch ? Est-ce la malédiction de Millevaux ? Et si, par le passé, ici même, j’avais croisé la route d’un garou ? La Lyre réunit les amis et les amants mais, à moins que ce garou n’ait été mon ami, peut-être que la Lyre réunit aussi les ennemis…
    Ça me gratte sous le sac plastique. Ça fait mal. Je me gratte. Me gratter me soulage mais la sensation qui suit est horrible. Je regarde mes mains. Elles sont pleines de vers, de larves et d’asticots. Je hurle à la lune. Je hurle à la mort. Je me gratte jusqu’au sang, sans pour autant retirer le sac en plastique. Je n’ose pas l’enlever. Je ne veux pas savoir ce qu’il y en dessous. Je veux juste que ça s’arrête. Je pleure… des vers, de la vermine !
    Je tombe par terre. Je me recroqueville, sous la pluie. Je me gratte le visage, libérant des dizaines et des centaines de choses dégoûtantes. Et je me rappelle que…

XxXxX

Je/Nous sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
Deux gentils tombent. Un s’enfuit. Je/Nous lui cours/courons après.
C’était un piège. D’autres gentils gens surgissent, armés.
Mais Je/Nous suis/sommes fort et Je/Nous les mange/mangeons.
Des coups de feu ! Des gentils gens qui courent. Des Antigens qui mangent.
Des Antigens mangent. Des Antigens tombent.
Je/Nous a/avons encore faim mais Je/Nous dois/devons partir.
La fille n’était pas parmi eux.

XxXxX

    Nous sommes le 23 Merdier,

« Ses voix font écho à sa multitude.
Faites-le taire, par pitié, l’emprise afflue et je sens qu’il cherche à me corrompre. »

    Il fait encore jour quand j’arrive au Tombeau des Corso. Cela ne ressemble pas du tout à ce que je croyais. Je m’attendais à une sorte de mausolée à moitié en ruines, en granit recouvert de mousse. En fait, ça ressemble plus à un monument aux morts qu’à une tombe. Il y a là, au milieu de cette clairière, un crucifix. Mais point de bonhomme en pagne accroché là les bras en croix. Non, à la place, une paire d’ailes en bois et en plumes rouges. Des rumeurs disent que le tombeau a été construit avec les restes du fondateur de la lignée, celui qui serait mort en combattant le Titan-Millevaux. C’est peut-être vrai finalement.
    Cet endroit n’est pas riche dans le sens où il n’a pas été construit avec des marbres rares. Il n’est pas recouvert de statues raffinées et détaillées, elles-mêmes recouvertes de dorures. Cet endroit est riche car on sent encore l’influence du fondateur des Corso. On dit que c’était un ange, avant… Et c’est peut-être vrai. Cette croix et ces ailes, ils s’en dégage quelque chose. Une force. C’est à la fois apaisant et un peu effrayant. Je ne peux m’empêcher de penser que ce type était quelqu’un de bien. Je ne l’imagine pas parfait, au contraire, mais je l’imagine animé de bonnes intentions. Je l’imagine courageux. Je l’imagine torturé aussi. Je fais le tour du tombeau. C’est un lieu de passage, en témoigne ces colliers de fleurs, ces fruits qu’on a déposés là. Il y a aussi, dans de petites coupelles, des Billes et des Noix. Tout à l’air calme par ici. Je m’installe et attends la pleine lune.
    Un raclement me tire de mon sommeil sans rêve. La lune n’est pas encore tout à fait dégagée. Ce n’est pas le moment. Je tourne la tête en direction du bruit qui m’a réveillé. Une silhouette me tourne le dos. Je l’appelle. Elle se retourne. Cette chose est morte mais ce n’est pas un Antigen. C’est différent. Cet être est en parti desséché. Sa peau est grisâtre. Son corps est percé en divers endroits, notamment au niveau du visage par de petits champignons translucides. L’être lève un bras dans ma direction. Il ouvre la bouche mais son bras retombe aussitôt et sa bouche se referme sans qu’aucun son n’en soit sorti. Et elle avance vers moi ! Et je vois ce qu’elle a déposé au pied du Tombeau des Corso. Un cercueil !
    Je suis le Glitch. Je ferme les yeux et m’en remets aux Yeux de la Forêt. Que va-t-il se passer ?
    Quand j’ouvre les yeux, l’homme-champignon n’est plus là. Il ne reste plus que le cercueil. Je vais pour me relever mais bouger me fait mal au ventre. Je baisse la tête et voit une plaie béante. Il y a du sang. Beaucoup de sang. Je n’ai pas peur de mourir mais j’ai peur que cette chose m’ait infecté avec ses champignons. Paniqué, je fouille la plaie mais je me fais mal et je ne vois rien. Je ferme les yeux et demande aux Yeux de la Forêt ce que je dois faire pour être certain de ne pas me transformer en Glitch-champignon.
    Et les Yeux de la Forêt me disent de changer mes sentiments. Ils me demandent aussi de placer parfaitement un crâne sur un livre au pied du Tombeau.
    Changer mes sentiments ? J’ai peur. Alors je tente de me calmer. Je respire lentement. Malgré la douleur, je tente de rester calme. Je fais confiance aux Yeux de la Forêt. La douleur semble refluer à mesure que je m’apaise. Un crâne sur un livre maintenant. J’ai vu un vieux grimoire au pied du Tombeau. Sa couverture était en vieux cuir et, dessus, était représentée une Bouche ricanante. Mais où trouver un crâne ? Dans ce cercueil peut-être ?
    Je me lève. Je n’ai plus mal. Mes vêtements sont recouvert de sang. En vérité, je ne saurais dire si le sang coule toujours. Je ne suis même pas certain que la plaie se soit refermée. Je n’ose pas vérifier. Pas tout de suite. D’abord, le crâne sur le livre. Je soulève le couvercle du cercueil. À l’intérieur, une petite fille vêtue de blanc dévore le cadavre d’un vieil homme. De la chair pourrie recouvert de vermine pendouille entre ses dents. Elle me jette un regard tourmenté. Je comprends qu’elle ne se livre pas à de tels actes par plaisir ni par cruauté, mais uniquement par nécessité. Je tends les bras vers elle. Elle a un mouvement de recul mais je parviens à l’attraper. Maintenant, je dois la tuer. Là encore, je ferme les yeux et m’en remets aux Yeux de la Forêt. Quand je les ouvre, la petite fille est morte, elle aussi, et mes mains et mes bras sont recouverts de traces de morsures. Maintenant, je dois choisir. Quel crâne vais-je déposer sur le Grimoire de la Bouche ? Celui du vieil homme ou celui de la petite fille ? Va pour le vieil homme !
    Lui arracher la tête n’est pas trop difficile puisque sa gorge avait déjà été bien entamée par la petite fille. Je la pose délicatement sur le Grimoire et du sang coule jusqu’à la Bouche. J’ai l’impression qu’elle esquisse un sourire. Une voix aiguë s’élève.

    « …C’est l’histoire d’une rivalité entre un homme et son double maléfique. L’un est tolérant, serviable et intelligent. L’autre est une ombre inexistante avec une carte tatouée sur le corps. L’un est musicien. L’autre s’est réveillé avec de la terre sous les ongles… »

    Alors, pourquoi ?, j’ai mis un coup de pied dans la tête. Je ne veux pas en savoir plus ! Je regarde mes mains. Bien sûr, j’ai de la terre sous les ongles. Et je pense à la Lyre. La Lyre qui réunit les amis et les amants. Qui était ce vieil homme ? Aurais-je dû choisir la petite fille ? Je ne sais pas. Mais les Yeux de la Forêt ont tenu parole. Je ne deviendrai pas un Glitch-champignon !

    La lune est haute et pleine maintenant. C’est le moment. Je m’approche du Tombeau des Corso. Je ne sais pas si je dois rester debout, m’asseoir ou poser un genou à terre. Ne sachant pas ce que les Yeux de la Forêt me réservent, je préfère rester debout et prêt à me défendre ou m’enfuir. Je ferme les yeux. Je baisse la tête et commence à réciter…

    « Je suis le Glitch !
    Ici et maintenant, pour montrer mes très belles entrailles, je vais rouvrir cette plaie !
    Je suis le Glitch ! »

    Joignant le geste à la parole, je serre les dents alors que mes doigts s’insèrent dans cette plaie à peine refermée. Je serre fort les yeux. Les Yeux de la Forêt se font entendre.

    « Glitch, tu dois maintenant introduire l’oracle dans tes entrailles ! »

    Je ne suis pas sûr de comprendre. Mais je me saisis du Grimoire de la Bouche et l’enfonce dans mon ventre. Je sens alors mes chairs se refermer. Cela fait très très mal. Je voulais rester debout mais je tombe finalement à genoux devant le Tombeau des Corso. Je m’écroule sur le flanc et, avant de perdre connaissance, j’ai l’impression de voir la tête du vieil homme sourire.

    Il fait encore nuit quand je me réveille. Il règne une chaleur étouffante dans cette clairière. J’ai soif. Je soulève mes vêtements ensanglantés et regarde mon ventre. Il n’y a plus qu’une discrète cicatrice en forme de sourire. Je me sens étrangement bien. Je me lève. Je rassemble mes affaires et reprends ma route. Je devrais atteindre la Capitale de la Douleur d’ici quatre jours.

XxXxX

Je/Nous sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
Je/Nous veux/voulons l’Homme Rouge !
L’Homme Rouge n’est pas seul. Des gentils gens le protègent et me/nous tue.
Mais Je/Nous les tue/tuons aussi.
Mais ils me/nous tuent plus.
L’Homme Rouge s’enfuit.

XxXxX

    Nous sommes le 24 Merdier,

« Les lunéas se nourrissent par photosynthèse.
Encore une preuve que nous n’avons
plus notre place ici. »

    Je me sens mal. Un mal me ronge. Je ne sais pas quoi. Si ! C’est ce Livre, ce Grimoire à la Bouche qui me dévore de l’intérieur. Il me déchire les entrailles et remplit ses pages des maux de mes terreurs les plus viscérales.
    La nuit est douce. Tout l’inverse de mon âme. L’infection naît dans mon estomac, gagne mon cerveau. Je sens le pus se répandre dans ma tête. Il réveille mes terreurs ; celles liées au vide de mon visage, ce néant rongé par la vermine.
    J’ai encore, ou à peine, trois jours pour atteindre la Capitale de la Douleur. Mais comment y parviendrais-je si je ne tiens plus debout, si je succombe à la folie ? La Capitale de Ma Douleur, c’est ici et maintenant !
    Je repense à ces mots :

« …C’est l’histoire d’une rivalité entre un homme et son double maléfique. L’un est tolérant, serviable et intelligent. L’autre est une ombre inexistante avec une carte tatouée sur le corps. L’un est musicien. L’autre s’est réveillé avec de la terre sous les ongles… »

    Réfléchir me détourne de la douleur. Qui est ce double ? Un musicien ? Je ne suis pas un musicien. Pourtant, la Lyre guide mes pas, vers les amis, les amants… vers mon double ? L’autre est une ombre… Et je suis aussi guidé par la Brume. Dans la Brume se cachent les mythes, dans l’ombre aussi. J’ai peur que ce double maléfique, ce soit moi. Mais je n’ai aucune carte tatouée sur le corps. Ou alors, ce serait mon reflet dans le miroir. Mon visage. Cette absence de visage. Ce vide constellé d’étoiles. La carte, ma carte, serait celle des étoiles ? Quel mauvais présage cela cache-t-il ? Je crois saisir. Shub-Niggurath et les autres Anciens n’ont accès à notre monde que quand les astres sont propices. Si mon visage est une carte du ciel étoilé, si la vermine sous le sac en plastique altère cette carte, peut-être qu’elle la redessine, la reconfigure, peut-être que le reflet de mon visage serait une carte du ciel lorsque les astres sont propices. Mais propices à quoi ? Est-ce que cet autre moi, ce musicien, en saurait davantage ? M’attend-il au bout de mon chemin ?
    Je voudrais dormir. Mais je ne peux pas. Pas avec cet énorme chat au pelage vert qui s’approche. Il est gros comme un poney ou un petit ours. Son poil est vert car il se nourrit entre autre de la lumière du soleil. C’est rare d’en voir la nuit d’ailleurs. Son flanc gauche est déchiré d’une sinistre bouche humaine arborant un non moins sinistre rictus. Est-ce qu’il s’en ira si je fais le mort ? Non, bien sûr. Je vais devoir me lever et faire face. Le faire fuir, voire le tuer, si je peux. Oui, je dois le tuer. Sinon, c’est lui qui me tuera. Et si ce n’est pas lui qui me tue, ce sera ce Livre qui me bouffe de l’intérieur. Je vais mourir, mais je ne veux pas. Alors, je vais me battre.
    Je me relève. Je regarde mes mains et il y a de la terre sous mes ongles. Je me sens mauvais. Et si je suis mauvais, je peux tuer. Je suis le Glitch. La magie qui anime le dieu qui m’habite va déchirer ce gros chat vert. Je dis :

    « Je suis le Glitch !
    Ici et maintenant je te montre mes mains couvertes de terre et je te montre mon ventre rongé par le Grimoire de la Bouche pour que tu vois mon épouvantable Moi !
    Fuis ou meurs !
    Je suis le Glitch ! »

    Le chat émet un long feulement. La bouche sur son flanc pousse un hurlement suraigu. Et la créature s’enfuit en courant. Je suis le Glitch !
    Je me rallonge par terre et je m’endors. Je me sens bien. Je suis serein. Et pourtant, dans mon ventre, le Grimoire de la Bouche noircit ses pages de prophéties concernant divers événements astronomiques à venir. Je ferme les yeux. Je m’en occuperai plus tard.

XxXxX

Je/Nous sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
Je/Nous veux/voulons la fille !
Je/Nous veux/voulons l’Homme Rouge !
L’Homme Rouge court.
Le Bon Samaritain tue des Antigens.
Mais les Antigens tuent aussi des gentils gens.
Ce n’est que justice. Œil pour œil…
L’Homme Rouge court mais la fille est tombée.
Je/Nous mange/mangeons la fille.
Les Antigens mangent des gentils gens mais l’Homme Rouge court toujours.
L’Homme Rouge tire.
Des Antigens mangent.
D’autres meurent.

XxXxX

    Nous sommes le 25 Merdier,

« Assister à la naissance d’un Horla, c’est un peu comme jouir de sa propre mort.
C’est extrêmement déstabilisant… »

    Cette nuit, le vent souffle. Aussi je m’arrête et me mets à l’abri à l’intérieur de cette carcasse envahit par la végétation. Elle a des roues, beaucoup. Et elles sont très grandes. Plus grandes que moi. À quoi servait cet engin par le passé ? À l’intérieur, c’est grand. Un petit clan pourrait y vivre. Un petit clan y a peut-être vécu. Peut-être que quelqu’un ou quelque chose vit encore ici ?
    Et soudain, j’ai peur !
    Suis-je vraiment en sécurité ici ? Mais suis-je vraiment en sécurité dehors ? Quelque chose en moi, ce Livre ?, me dit que les Antigens sont de nouveau sur mes traces. Je dois atteindre au plus vite la Capitale de la Douleur.
    J’ai un étrange pressentiment. J’ai l’impression de ne pas être seul. Quelque chose ou quelqu’un est là, avec moi. Ça m’observe. Je reste sur mes gardes. Le vent bruisse dans les branches des arbres. Le danger est partout. Je n’aurais pas dû entrer dans cette carcasse. J’aurais dû continuer à marcher. Et tant pis pour les Antigens !
    Ce n’est pas juste!
    Pourquoi ai-je été choisi par le Glitch ? Pourquoi dois-je endurer tout ça pour retrouver son nom ? Et si, vraiment, je suis lié à un double, pourquoi ce serait moi le double maléfique ? Ce n’est pas juste. Je ne suis pas mauvais ! Je ne suis pas si mauvais, hein ?
    Tous les shamans le disent. Ce sont leurs esprits totems qui les ont choisis et non l’inverse. Eux n’ont eu d’autre choix que d’accepter. En échange, ils bénéficient des pouvoirs du totems mais ils le payent d’une vie de souffrance. Est-ce mon destin ? Dois-je endurer toutes ces souffrances pour user des pouvoirs du Glitch, pour venir en aide aux autres ? Dois-je nécessairement souffrir pour aider. Est-ce juste que, pour rétablir la justice, je dois souffrir à ce point ?
    Peut-être ?
    Peut-être pas ?
    Nous sommes le 25 Merdier. Je me rappelle de l’historiette du jour. Je ne veux pas assister à la naissance d’un Horla. Je ne veux pas mourir. Et je ne veux pas en éprouver du plaisir. Je vis et je souffre. Voir un Horla naître serait comme mourir mais en ressentant du plaisir. Ce n’est pas logique ? Si ?
    Normalement, vivre devrait être synonyme de plaisir et la mort de souffrance. Est-ce la faute des Horlas si c’est l’inverse ?
    Que me réserve le Glitch ? Que me réservent les Horlas ? Que me réservent les Antigens ? Que me réserve cette forêt ?
    J’ai peur !
    Je les entends. Les Antigens ! Ils approchent !

XxXxX

Je/Nous sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
La fille n’est plus. L’Homme Rouge court toujours.
Les gentils gens courent.
Des coups de feu !
Ô joie !
L’Homme Rouge tombe.
Je/Nous fonds/fondons sur lui et savoure/savourons sa chair, rouge.
La fille est tombée.
L’Homme Rouge est tombé.
13 cerveaux de 13 gentils gens.
Le Glitch, maintenant.
Il est proche. Je/Nous le sens/sentons.

XxXxX

    Nous sommes le 26 Merdier,

« Il a modelé une créature de sang et de fumée.
Pour rappeler la chair à lui lors des jours d’ennui. »

    La météo est plutôt clémente aujourd’hui. Et pourtant, je suis sous terre. J’erre depuis des heures dans ce labyrinthe. Ce n’est pas qu’un réseau de souterrains. Ce ne sont pas de simples couloirs. Je le sais ! Il y a ici un autre secret car le plan, ce plan que je dois percer, est un reflet. Un reflet de mon cerveau ! De mon âme ! Je me suis enfoui sous terre pour semer les Antigens. Mais je veux aussi me semer moi-même. Me semer… Me perdre ou me planter… pour pousser, germer, arriver à maturité ?
    Dehors, il fait jour et il fait beau. Ici, il fait noir et les murs suintent une humidité maladive. Je me cogne contre les murs. Sous le sac plastique, je me gratte le visage et je sens les larves grouiller. Non ! Ce ne sont plus des larves. Ce sont des mouches qui cherchent à fuir le sac. Mais que vais-je devenir si les mouches s’en vont ? Que va devenir mon visage ? Je ne veux pas revoir ce vide !
    Je me mets à courir. Vers je ne sais où. Vers la folie ! C’est cela qui m’attend. La folie et la mort. Je n’atteindrai jamais la Capitale de la Douleur. Je ne trouverai jamais le nom du Glitch et je vais mourir dévoré par les Antigens. Je ne trouverai jamais celui dont je suis le double maléfique et je ne pourrai jamais lui dire que je ne veux pas être maléfique ! Je ne veux pas être sombre. Je veux de la lumière !
    L’air ici est saturé d’Égrégore. Est-ce cela qui a fait apparaître ces mouches sous le sac en plastique ? Peut-être… Sûrement !
    La Brume qui cache les mythes. Je veux lever la Brume qui court dans ces souterrains. Je veux que la lumière rentre ici. Je veux percer le mystère de ce lieu !
    J’arrive devant une porte étanche. Je touche le volant. La rouille fait qu’il est difficile de le faire tourner. Mais, en forçant un peu, c’est possible. Pourtant, je renonce. Je préfère me saisir du sac en plastique et le jeter au sol. Je sens les mouches autour de ma tête. Elles restent là. Elles ne me quittent pas. Quelque part, ça me rassure. Ça me suffit. Peu importe finalement ce qu’il y a derrière cette porte. Je fais demi tour…
    J’avais peur qu’il se soit mis à pleuvoir mais non. Il fait toujours bon. J’avais peur que les mouches s’enfuient mais non. J’avais peur que les Antigens m’attendent mais non. Je m’asseois contre un arbre. Je reste convaincu que ce qu’il y a derrière cette porte était saturé d’Égrégore et m’aurait transformé. Mais est-ce que cela aurait été mieux que ces mouches ? Je ne sais pas. Je me sens bien.

    Une voix de femme me tire des mes pensées. Elle ne s’adresse pas à moi mais j’entends :

    « … la Capitale… de la Douleur… »

    Je me relève à toute vitesse. Il n’y a personne. Mais je suis certain d’avoir bien entendu. D’où venait cette voix ? La Capitale de la Douleur, c’est par là !

XxXxX

    Nous sommes le 27 Merdier,

« Un jour, j’ai trouvé un corps dans un ravin.
Je n’aurais sûrement pas eu si peur, si cela n’avait pas été le mien. »

    Il fait nuit quand j’arrive en ce lieu étrange. On dirait une cathédrale en ruine. Ou un temple. Un très ancien temple. Seules ces colonnes en os blanchis et légèrement arrondis tiennent encore. Le clair de lune leur donne un reflet bizarre. Mais c’est beau.
    J’erre en ce lieu, certain d’y rencontrer cette femme. Celle dont j’ai entendu la voix hier. Elle m’a attiré jusqu’ici. Elle m’a guidé. J’y suis, c’est ici. La Capitale de la Douleur. Mais ce n’est pas encore tout à fait le bon moment. La lune n’est pas parfaite.
    Ce lieu m’est familier. Je ne sais pas pourquoi. En fait, je me demande si, quelque part, je n’ai pas envie qu’il me soit familier. J’ai envie de connaître ce lieu. J’ai envie d’être déjà venu. J’ai envie de connaître cette femme. Et si elle était ce double, cette amie, cette amante vers laquelle me pousse la Lyre ? Moi qui, hier, ne voulait plus être le double maléfique, comment pourrais-je rejeter ce fardeau sur elle ?
    Cet endroit est beaucoup plus grand que je ne le pensais. S’il n’a fallu que le squelette d’un seul animal pour le construire, il devait être gigantesque. Et s’il en a fallu plusieurs… ils devaient être gigantesques aussi. Il y a des dessins, des symboles, gravés sur ces os, jusqu’à hauteur d’homme. Mais de grands hommes tout de même. Plus grands que moi. Sont-ce eux qui ont chassé ces animaux pour construire cet endroit ? Et pourquoi ce nom ? Mais peut-être qu’ils lui en avaient donné un autre ? Et qui lui a donné celui-là alors ? Qui a baptisé cet endroit la Capitale de la Douleur ? Et pourquoi ? On a souffert ici. À l’évidence… Pourtant, je ne vois nulle trace de sang. Peut-être que si je cherchais mieux…
    En réalité, je ferais mieux de me chercher à manger. Et la chance me sourit. C’est une belle perdrix qui me remplira l’estomac ce soir.
    Je pensais trouver cette femme ici. Peut-être sera-t-elle là demain, pour le Rituel. Peut-être que demain j’aurais des réponses à mes questions sur ce lieux. Mais ce soir, je renonce à savoir. Je veux seulement profiter de ce bon repas.
    Et une voix, de femme, se fait entendre :

    « … la Capitale… de la Douleur… »

    Et j’ai l’impression de chuter de très, très haut…

XxXxX

    Nous sommes le 28 Merdier,

« D’habitude je n’aime pas trop les blonds.
Mais il faut dire que j’avais vraiment très faim. »

    Je me réveille en sursaut. C’est trop bizarre, cette sensation. Je n’ai pas vu le temps filer. La voix de cette femme. Puis, plus rien. Et de nouveau cet endroit, ces colonnes en os géants ! Je cherche la femme du regard. Je la vois !
    Elle court vers moi. Elle est poursuivie par les Antigens. Je veux courir vers elle, pour la protéger. Mais une force m’en empêche et j’assiste, impuissant, à sa mise à mort.

    « … la Capitale… de la Douleur… »

    Et à sa voix se superpose une autre…

La fille est tombée.
L’Homme Rouge est tombé.
13 cerveaux de 13 gentils gens.
Le Glitch, maintenant.

    Ils sont là ! Les Antigens ! Ce lieu va-t-il devenir la Capitale de MA Douleur ? Je ferme les yeux et je dis :

    « Je suis le Glitch !
    Ici et maintenant je m’ouvre les entrailles !
    Je révèle le Grimoire et mon épouvantable Moi !
    Je suis le Glitch ! »

    J’ouvre les yeux. Les Antigens gisent au sol. On dirait qu’ils se sont entre-dévorés. Je ne comprends pas ce qui s’est passé. Mais je ne suis pas mort. Les mouches volent toujours autour de mon visage et brouillent ma vision. Je cherche le corps de cette femme. Elle est là et… je la reconnais ! C’est elle ! J’en suis sûr ! Mon double lumineux. Et les Antigens l’ont mangée.

    La Capitale de Ma Douleur…

    Les mouches font du bruit autour de ma tête. Elles m’empêchent de me concentrer. Pourtant, la lune est telle qu’elle doit être, absente. Je dois accomplir le Rituel. Je ferme les yeux. La voix des Yeux de la Forêt couvre celle des mouches.

    « Utilises l’Athanor. Jettes-y le vestige. Crées un dysfonctionnement. La dysfonction est ta fonction. Et obtiens le fantôme…
    …
    Glitch ! Ton sang dans l’Athanor ! »

    Les Yeux de la Forêt se taisent. J’ouvre les yeux. Les mouches volent bruyamment autour de ma tête. L’Athanor, où est-il ? Je sais. Cette sorte de case en plaques d’os, hier j’ai eu peur de m’en approcher. Je n’ai même pas voulu la voir. Là est l’Athanor. Un vent soudain me pousse dans cette direction. C’est un vent chargé d’Égrégore. Heureusement, les Yeux de la Forêt et les mouches, aussi, me protègent.
    À l’intérieur, il règne une lumière apaisante. Elle provient de l’Athanor lui-même mais aussi de plusieurs bougies disposées ça et là sur des meubles en ossements ou à même le sol. Je ne sais pas qui a allumé ces bougies, ni qui a allumé l’Athanor. Je ne sais pas si les Antigens vont revenir. Et, pour l’instant, je m’en moque. Je me plie à la volonté des Yeux de la Forêt. J’ouvre la plaie zébrant mon ventre. Les mouches font un peu plus de bruit. Je plonge mes mains dans mes entrailles et en ressort le Grimoire. La Bouche ne sourit plus. Elle a l’air… triste. Pourtant, elle est recouverte de sang, mon sang. Et je jette le Grimoire dans le feu.

    Et l’Athanor explose ! Et je me retrouve projeté en l’air. Je heurte le plafond. Je retombe durement au sol. Les Yeux ? Les Yeux ? Que dois-je faire ? Je brûle !

    Quand je reprends connaissance, la première chose que j’entends, ce sont les mouches. La première chose que je vois, ce sont mes mains… brûlées ! Horriblement brûlées. Je les porte à mon visage et je sais. Je suis défiguré ! Puis, je réalise. Mes mains sont devenues rouges. Mon visage doit être rouge lui aussi. Je me souviens des paroles des Antigens.

La fille est tombée.
L’Homme Rouge est tombé.
13 cerveaux de 13 gentils gens.
Le Glitch, maintenant.

    Et si l’Homme Rouge, c’était moi ? Alors ça veut dire que je suis déjà mort depuis longtemps. Alors ça veut dire que je suis un fantôme. Est-ce cela qu’ont voulu me dire les Yeux de la Forêt ? « Obtiens le fantôme ! »
    Ce n’est pas juste ! Je voulais trouver le nom du Glitch pour faire de grandes choses, pour changer le monde. Je voulais trouver mon double lumineux pour me décharger de l’ombre et être, moi aussi, un être lumineux. Je voulais être le Glitch. Je voulais être un Dieu ! Et je suis un monstre ! Et je suis mort…

    Pourtant, je dois accomplir un troisième Rituel. Quand la lune sera rouge, mais je vois rouge maintenant. Tout est rouge ! Mais où, où est celui que je n’ai pas vu depuis si longtemps…

    J’ai faim. Je croque un bout de mon avant-bras. À point…

XxXxX

    Nous sommes le 29 Merdier,

« Il gardait une trace d’eux, pour les maintenir en vie.
Littéralement. »

    J’avance de nuit car le soleil me brûle. J’ai mal. Cette nuit, il pleut et ça me soulage, un peu. Et cela apaise ma soif aussi, un peu. Je suis fatigué. Je devrais m’arrêter, me reposer. Il y a de la lumière au loin. Je m’approche. C’est une maison. Pas une chaumière de bric et de broc. Une vraie maison, comme on en fabriquait avant. J’approche prudemment. Il y a des gens dedans. Je les vois, souriants, attablés. Ils ont à manger. Tout a l’air si propre là-dedans. Moi aussi, je veux de cette bonne nourriture. Moi aussi, je veux être propre.
    Je m’avance dans cette clairière et à mesure que j’approche de cette maison, ses murs se recouvrent de lianes grimpantes. Je me fige. Et les lianes stoppent leur progression. J’avance. Elles aussi. Elles pointent vers moi. Je sens leur hostilité. Elles gardent cette maison. Mais je veux manger et me laver. Je suis le Glitch ! Et je veux prendre une douche !
    Je suis brûlé. Je suis même peut-être mort. Et si je pouvais brûler ces lianes ? Les pouvoirs du Glitch me le permettent-ils ? Les Yeux de la Forêt l’autoriseront-ils ?
    Je suis le Glitch !
    Et les lianes flambent.
    Je rentre dans la maison. Mais elle n’est plus que ruines fumantes. Pourtant, je trouve à manger et je peux me laver. Les mouches qui m’entourent trouvent à manger elle aussi.

    J’en suis sûr maintenant. Je ne suis pas mort ! L’Homme Rouge est tombé sous les griffes des Antigens mais pourtant je ne suis pas mort. Comment ? Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais je suis vivant !

XxXxX

    Nous sommes le 1er Marche,

« Palétuviers, sentiers nénuphars, clairières de lentilles d’eau, murs de prêles et buttes de vase.
Le marais était une grande forêt saumâtre. »

    Il y a du vent aujourd’hui. Mais ce n’est finalement pas désagréable sur ma peau rongée, brûlée. J’erre sans trop savoir où mes pas me guident. Je cherche le dernier lieu pour le dernier Rituel mais je n’ai aucune idée de là où il peut se trouver.
    « Celui que je n’ai pas vu depuis si longtemps… » et je dois y être à la prochaine lune rouge. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai d’abord pensé que « Celui que je n’ai pas vu depuis si longtemps… » était quelqu’un, peut-être moi-même d’ailleurs. Ce « Moi » que j’avais pas vu depuis que le Glitch m’avait choisi pour trouver son Nom. Mais, finalement, plus simplement, il s’agit peut-être plus simplement d’un lieu que je n’ai pas vu depuis si longtemps.
    Et je repense à la Lyre qui réunit les amis et les amants. Où sont mes amis ? Ceux que je n’ai pas vu depuis si longtemps. Et qui sont-ils ? Je ne sais plus. J’erre seul depuis si longtemps. Mes seules vraies amies sont… mes pensées.
    Et j’ai peur car je repense à cette fois où, dans le miroir, je n’ai vu que le vide. Mon crâne est-il vide ? Mes pensées ne sont-elles que du vide ? Ai-je tort de croire que je pense ? Je pense donc je suis, parait-il. Mais si mes pensées ne sont qu’illusion, mon sentiment d’être n’est qu’illusion aussi.
    Et soudain, je regarde autour de moi. Une Brume recouvre le sol. Je suis maintenant dans des marais. L’air est chargé d’Égrégore. Je suis sur le terrain d’un Horla. J’ai peur. Il y a du bruit autour de moi. Quelque chose s’approche. La brume devient plus dense. Quelque chose me frôle. Je distingue une ombre dans la brume. C’est une de ces plantes carnivores énormes qu’on rencontre parfois. Elle passe à côté de moi sans m’accorder la moindre attention. Je n’existe pas pour elle. Mais alors, pour qui j’existe ?
    J’étais pourtant certain d’être vivant ! Est-ce l’effet de la Brume ? Un des pouvoirs du Horla qui me donne cette impression de ne plus être. Est-ce un moyen de me tromper, de me piéger ? Pourquoi ne pas me dévorer tout simplement ? Peut-être que ce Horla se nourrit de mes pensées justement ? De mes peurs, de mes tourments ?
    Et je me rend compte que je suis immobile, les pieds dans la boue. Je tente de reprendre la maîtrise du cours de mes pensées et de mettre un pied devant l’autre. Je tente de me convaincre que je suis vivant. J’avance et la brume se dissipe. J’aperçois une série de petites bornes en pierre grossièrement taillée. Certaines sont coiffées de couronnes en écorces et branchages tressés. Je reconnais certains des symboles gravés sur ces bornes. Oui, j’ai bien traversé le territoire d’un Horla. Ceux qui vivent ici, ou qui vivaient ici, ont construit ces bornes pour en marquer les limites. Ils en ont fait un lieu sacré. Un lieu qui se distingue du profane. Un lieu où on n’entre pas. Mais je suis le Glitch. Ces distinctions ne me concernent pas, pas vraiment.
    « Celui que je n’ai pas vu depuis si longtemps… » Et si cet endroit était tout simplement le lieu d’où je viens ? Là où il y a des gens, pas des Antigens, des hommes et des femmes. Là où je ne suis pas seul avec mes pensées. Et si je rentrais chez moi ? Pas le chez moi d’où je viens, celui que j’ai oublié. Mais le chez moi qui est celui de tout homme, une communauté, un groupe, une famille, un clan.
    Je dois retrouver le Clan des Arbres avant que la lune ne soit rouge !

XxXxX

    Nous sommes le 2 Marche,

« Je suis un nomade, je ne laisse pas de trace. Je vis au jour le jour. Demain, je serai peut-être mort.
Nul ne se souviendra de mon passage. »

    Demain… Mais peut-être que je serais mort dès aujourd’hui. Et nul ne se souviendra de mon passage. Ce serait dommage…
    J’ai marché toute la journée pour retrouver le Clan des Arbres. Pour retrouver des gens, des humains. Ceux que je n’ai pas vu depuis si longtemps. Mais, alors que la lune rouge apparaît, je suis seul. Désespérément seul. Il va pourtant falloir que j’interroge les Yeux de la Forêt, et ce même si je ne suis pas au bon endroit. Mais après tout, je n’ai aucune véritable idée de ce qu’est ce bon endroit. Et il est peut-être partout…
    Je me sens mal car je doute. Que va-t-il arriver si je ne trouve pas le nom du Glitch ? Et que va-t-il arriver si je le trouve ?
    Je suis seul.
    Je ferme les yeux.
    J’écoute les Yeux de la Forêt. Je dis :

    « Je suis le Glitch !
    Ici et maintenant, je m’assois dans la boue et je souris pour montrer qu’il y a du bon en moi !
    Je suis le Glitch ! »

    Et les Yeux de la Forêt disent :

    « Glitch ! Tu dois utiliser l’immobilité et sacrifier un compagnon !
    Glitch ! Tu dois accepter le destin de la fille… »

    Je crois que je comprends. Alors, je reste assis là, immobile. Je ne bouge plus. Je ne bougerai plus. Jamais. Je continues de sourire et accepte que la fille, mon double lumineux ?, soit morte. J’accepte aussi de ne plus jamais avoir de compagnon. Je vais rester là. Peut-être que d’autres viendront et me verront. Mais ils ne seront pas mes compagnons. Ils s’assoiront autour de moi. Ils parleront. Ils prieront. Ils feront des vœux. Mais ils ne seront pas mes compagnons. Mais je serai le leur. Je dis :

    « Je suis la Pierre !
    J’ai été fait par la force des Yeux de la Forêt.
    La permanence de la pensée est en moi.
    J’ai enduré un long voyage. J’ai croisé des Horlas, des monstres. J’ai été traqué par les Antigens. J’ai été brûlé…
    Je suis la Pierre.
    Ici et maintenant, pour assurer la stabilité et l’enracinement, je renonce…
    Je suis la Pierre ! »

Feuille de personnage :

Destin Fatal : Après une longue absence, des personnes se retrouvent. Elles croient se reconnaître mais il s’agit de souvenirs implantés ou d’identités usurpées.
La Chasse: Je suis traqué par ces Horlas qu’on appelle les Antigens. Moi, je chasse… mon nom, mon vrai nom, le nom du Glitch.
Une question et une Certitude : Que se passera-t-il quand j’aurai retrouvé mon nom, le nom du Glitch ? Je suis sûr que cela changera le monde !
Une Croyance : le Glitch est un Dieu. Pas un Créateur, pas un Ancien, mais un Dieu quand même. Et il est en moi.
Une vertu et un vice : la Justice mais aussi… l’Envie !
Un souvenir qui te hante : Un jour, j’ai vu mon reflet dans un miroir. Je n’y ai pas vu mon visage. J’ai vu les ténèbres, le vide, les étoiles. Les miroirs et les étoiles me font peur…
Ma quête : me rendre dans les Trois Lieux consacrés et y accomplir les rituels afin de découvrir le nom du Glitch.
Mes deux symboles : La Lyre qui réunit les amis et les amants. La Brume qui cache les mythes.
Ce qui m’accompagne : Je suis, pour l’heure, au sein d’une enclave réduite.

Commentaires de Thomas :

B. « Des fois, comme maintenant, je reste quelque temps au sein d’un groupe sédentaire. Ils s’appellent le Clan des Arbres » D’entrée de jeu, on s’inscrit dans la continuité des précédentes campagnes Millevaux, là où Nihill marquait un break.

C. Jouer les voyages entre les lieux avec Bois-Saule, c’est malin.

D. « Pourtant, les racines qui s’y sont plongées ont des formes étranges, torturées. Je remarque alors que ces racines courent justement des cuves jusqu’aux murs. Là, certaines s’enfoncent dans la terre et d’autres grimpent jusqu’au plafond.  » D’emblée, on est sur du décor résolument forestier, contrairement à ton habitude. On sent bien là l’effet Bois-Saule

E. « Les mouvements sous ma peau cessent. Je porte mes mains à mon visage. Quelque chose a changé. Je me saisis d’un sac plastique. Je l’enfile sur ma tête. Je perce deux trous au niveau des yeux. Un autre au niveau de la bouche et un dernier au niveau du nez. Comme ça, je peux regarder mon visage.  » : J’adore l’image.

F. « Ça me gratte sous le sac plastique. Ça fait mal. Je me gratte. Me gratter me soulage mais la sensation qui suit est horrible. Je regarde mes mains. Elles sont pleines de vers, de larves et d’asticots. Je hurle à la lune. Je hurle à la mort. Je me gratte jusqu’au sang, sans pour autant retirer le sac en plastique. Je n’ose pas l’enlever. Je ne veux pas savoir ce qu’il y en dessous. Je veux juste que ça s’arrête. Je pleure… des vers, de la vermine ! » : Je sais pas du tout si c’est la conséquence d’une procédure de Bois-Saule, mais à nouveau, l’image est forte 🙂

G. « Je soulève le couvercle du cercueil. À l’intérieur, une petite fille vêtue de blanc dévore le cadavre d’un vieil homme. » Trop cool…

H. « Je devrais atteindre la Capitale de la Douleur d’ici quatre jours. » Comment as-tu déterminé la durée des voyages ?

I. « Pas avec cet énorme chat au pelage vert qui s’approche. Il est gros comme un poney ou un petit ours. Son poil est vert car il se nourrit entre autre de la lumière du soleil. C’est rare d’en voir la nuit d’ailleurs. Son flanc gauche est déchiré d’une sinistre bouche humaine arborant un non moins sinistre rictus. » Est-ce que c’est Herbodoudiab ?

Réponse de Damien :

B, le Clan des Arbres fait partie des éléments récurrents dans mes scenar. ces éléments n’aurant pas forcément toujours la même signification d’un scenar ou d’une campagne à l’autre mais ils seront là. ça inclut le Clan des Arbres, NoAnde, le Thanatrauma etc.

C-c’était ce que je voulais tester justement: une partie de The Name of God mais Bois-Saule pour les trajets.

D-oui, j’ai ce réflexe d’utiliser Millevaux comme un monde parallèle qui est avant tout une menace planant sur le nôtre. j’aime bien cette idée. mais j’aime bien aussi quand même jouer dedans parfois ^^ là, c’était l’occasion. dans mes récents Chtulhu, j’utilise Millevaux comme Contrée des Rêves notamment.

E-Merci, ça fait typiquement partie des trucs qui ne m’arrivent qu’en solo. pas prévu du tout. ça s’impose!

F-franchement, je ne sais plus trop mais là aussi… ça s’est imposé ^^

G-oh, ça sent le tirage de cartes Muses et Oracles ou un truc dans le genre ça 

H-au D6 ^^

I-je ne sais pas si c’est lui mais… c’est un de la même espèce en tout cas ^^ le célèbre chat millevalien XD

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