[Dans le mufle des Vosges] 7. Absolution

ABSOLUTION

Quand les villageois montrent leur vrai visage, les choses sont bouleversées.

Joué / écrit le 25/11/2019

Jeu principal utilisé : L’Empreinte, de Thomas Munier, survivre à une transformation qui nous submerge

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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Christophe Surman, cc-by-nc-nd, sur flickr

Contenu sensible : cruauté sur les animaux, érotisme, abus sexuel

Passage précédent :

6. Le Vieux nous voit
Emportées par la folie ambiante au sein du village et par leurs vieux démons mémoriels, les deux nonnes exorcistes partent en quenouille.

L’histoire :

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Aokigahara, par Flowers for Bodysnatchers, dark ambient forestier à pianos fragiles.

« Pourquoi vous entêtez-vous à accompagner les exorcistes ?, risqua La Bernadette.
– Avant, répondit-il sans que la présence de la Soeur Jacqueline, je le faisais parce qu’elles agissaient pour nous protéger. Maintenant, je reste avec elle pour les empêcher de nous faire du mal. »

La Soeur Marie-des-Eaux sortait par l’écurie. Il avait tout son paquetage sur le dos, ce qui n’était pas une chose rare, il était conditionné à agir comme s’il fallait toujours être prêt à décamper. Il caressa le museau de Maurice pour se calmer un peu. C’est ça, il avait besoin de se calmer.

« Où allez-vous ?, lui demanda la Bernadette.
– Je dois aller me confesser. Le Père Houillon me l’a demandé et je pense que ça va m’aider à y voir plus clair.
– Vous voudriez bien me rendre un service ?
– ça dépend…
– Oh pas grand-chose… J’aurais juste voulu que vous me rameniez un morceau de bois du confessionnal.
– Bernadette… Je vais le faire parce que je sens que vous pourriez nous être utile, mais ce que vous me demandez ne me plaît pas. Je vous garde à l’oeil. Je vous garde à l’oeil de près. »

« C’est çà, mon petit. Garde-moi à l’oeil », soupira la Bernadette une fois que la Soeur Marie-des-Eaux s’était allé vers l’église en passant par les taillis, comme un écolier fautif.

Le novice passa par le presbytère, évitant la grand-porte. Il pesta quand il vit qu’il y avait quelqu’un d’autre dans la nef en plus du père Houillon. Le Sybille Henriquet achevait la statue du Jésus-Cuit en bois qu’on lui avait commandé. L’ouvrage était rustique mais exhalait une simplicité bienvenue, à l’image du sculpteur, un petit gars qui avait l’air de toujours sourire, histoire de montrer ses quenottes noircies par les cigarettes de foin et la rude bouffe locale. Il sentait la colle à bois, la sciure et le tabac froid, et il avait une petite boucle d’oreille, ce qui était la seule excentricité de ce gars en salopette. Il s’éclipsa, comprenant qu’il était de trop.

« Ainsi donc vous nous faites l’honneur de votre présence, ironisa l’abbé Houillon.
– Finissons-en. »

L’intérieur du confessionnal était obscur, comme on pouvait s’y attendre, et empestait le moisi et l’odeur de pieds. On y respirait avec peine, des spores vous rentraient dans la bouche et les narines. Tout le bois était mou, et il fut impossible de trouver une partie sèche de banc pour s’assoir.

Elle ne voyait pas le prêtre mais sa présence derrière le vantail était palpable, et son souffle asthmatique remplissait tout l’espace.

« Bénissez-moi mon Père, car j’ai péché.
– Je te bénis. Parle en toute confiance. Le Vieux est avec nous et t’écoute.
– …
– Tu peux parler. Alors, comment qu’c’est ?
– Vous savez, ce diable qu’était dans le Jésus-Cuit. Y vous barattait le lait de la tête pour s’en goinfrer.
– Oui, c’est possible. Il faudra ouâr ce qu’en dira le diocèse.
– Qui qu’c’est-y qui m’fait croire que vous faites pas la même chose ? Que vous vous bâfrez pas de nos confessions ? Et si je ressortais d’ici vidé de mes souvenirs ?
– Whoit donc, on se calme, vous êtes pas un poulet et je vais pas vous vider. Dites ce que vous avez sur le coeur, si vous voulez l’absolution.
– Je m’en suis déjà confessé pendant l’exorcisme.
– Je ne suis pas sûr que ça soit régulier. Confessez-vous ici. Au pire, dites-vous que c’est juste une couârie.
– Pfff… Bon. Avec mon opinel, des fois je ressens le besoin de trancher des choses. »

Il en profita pour découper un bout de confessionnal, faisant mine d’illustrer sa parole par du bruit.

« Et j’aurais bien tranché la gueule de ceux qui font du mal aux bêtes aux Voivres. Je peux pas supporter ceux qui font ça.
– Bien, c’est bien. Et c’est tout ?
– C’est tout.
– Eprouves-tu du repentir ?
– Oui.
– Sans mentir ?
– …
– Au nom du Vieux, de Jésus-Cuit et de l’Esprit-Chou, je te donne l’absolution. Tu réciteras un Notre père qui êtes si vieux. »

Quand la Bernadette revint dans le restaurant, ce fut pour trouver la Soeur Jacqueline au plus mal. Elle ne tenait plus sur ses jambes et la Bernadette dut l’aider à monter l’escalier pour qu’elle aille s’allonger. La nonne cumulait le trouble qui jouait avec son corps depuis l’avant-veille et le traumatisme d’un choc mental reçu au moment où elle avait écrasé le ganglion central de la chose qui vivait dans la statue de Jésus-Cuit. Tuer fait beaucoup de mal. Il fait du mal à celui qui tue. Le choc mental est comme une violente décharge électrique qui résonne dans vos os et vos organes des jours et des jours durant. Et il y a le flachebacque, ce souvenir de l’être qu’on tue et qui vous saute à la gueule et s’imprime sur votre vision et dans vos sens comme un filtre persistant.

Il y a d’abord l’abominable sensation d’être dans le corps d’un horla, de respirer par ses sphuncters, de remuer par ses pseudopodes, de sentir l’hémolymphe circuler dans ses vaisseaux, d’être enfermé dans une statue-galerie, et puis ce mélange de délice et d’horreur à consommer l’énergie mentale des humains massés dans l’église, et de percevoir par là-même des grappes de souvenirs, de prières, de bonnes et de mauvaises pensées, à peine digérées.

La chose n’avait pas à proprement parler de perception du temps, aussi sa compréhension des choses n’était pas nette. Mais ce qui marqua la Soeur Jacqueline, ce fut une sensation. La sensation d’être en concurrence. Il y avait au moins deux forces qui disputaient les vapeurs mentales à la chose enkystée dans le Jésus-Cuit. L’une était massive et complexe, l’autre était multiple et faible, mais déterminée.

Quand la Soeur Jacqueline reprit ses esprits, ce fut avec un haut-le-coeur à la fois dû à la réincorpation et à l’effroyable découverte qui était la sienne. Plus moyen de se voiler la face. Elle était allongée dans des draps, il eut fait froid si le corps de la cuisinière, penché sur le sien, n’irradiait pas autant de chaleur. Elle se sentait molle et comme pesant des tonnes. Elle avait une barre de migraine sur le front et son odorat exacerbé captait la moindre des nuances, les fumets de graisse et d’hormones émanant de la Bernadette, les chaleurs paillées de l’écurie et le lisier qui schlingue charrié par le vent en provenance de la ferme Soubise.

La fenêtre était fermée par un volet, si bien qu’en plein jour il fallait la bougie pour y voir. Mais ça ne manquait pas, les vomissures de cire recouvraient l’endroit comme les fientes dans un poulailler. Il y avait des coqs sans têtes pendus à sécher sur les poutres, et des colliers de coquilles d’escargots remplis d’humus et d’autres matières. Sur la table de nuit, un petit tabernacle peut-être volé dans une chapelle, qui contenait Le Vieux sait quoi, et un livre entouré de ficelles et d’hameçons, ouvert sur une page calée par un bougeoir fait avec une serre de corbeau, et sur les pages tannées une écriture ondoyante certainement effectuée sous auto-hypnose, à faire passer les pattes de mouches des mémographes pour des merveilles de calligraphie. On ne pouvait rien y reconnaître sauf des symboles que la Soeur Bernadette avait appris à identifier lors de sa formation d’exorciste : caractères hébreus et pentacles. Des lichens et des vers couvraient l’ouvrage qui leur faisait office d’habitat naturel. Le Petit Albert.

« Vous ne m’avez pas remontée dans ma chambre.
– Non, ce n’est pas votre chambre, c’est la mienne.
– Vous, vous êtes…
– Une sorcière, je suppose. Mais si je vous ai entraînée ici, c’est pour vous manifester ma confiance en vous et mon désir de vous soutenir.
– Votre désir…
– La sorcellerie, ce n’est pas ce qu’on vous raconte à l’église ou au diocèse. Pratiquer la magie ne fait pas de tous des servants du diable. Ce sont deux choses distinctes à vrai dire. Et vous avez de puissants ennemis, et moi, je peux être votre amie…
– Mon amie…
– Je sens que vous êtes souffrante et je peux vous soulager.
– Me soulager…
– Laissez-vous faire et vous irez mieux et vous aurez fait de moi votre alliée.
– Me laisser faire… »

La Bernadette approcha sa tête sur la tête de la Soeur Jacqueline. Son haleine sentait l’ail et le persil. Elle écarta les paupières de la nonne et lui lécha la cornée. Elle lui enleva son voile et passa ses doigts gonflés dans la poisse de ses cheveux gris en sueur. Elle avait des ongles longs qui griffaient les habits de la nonne, sauf ses annulaires qui étaient coupés courts. Elle s’en servit pour lui explorer les canaux auditifs. C’était vraiment étrange cette sensation à la fois d’être comblée et de servir de marionnette, de s’abandonner. La Soeur Jacqueline était incapable de déterminer si elle consentait ou non à ce qui était en train de se produire. Commettait-elle alors un péché ?

La Bernadette lui prit la main et l’apposa sur son opulente poitrine. « Sens mon coeur ». Celui-ci battait comme celui d’un boeuf et en même temps la nonne sentit que le sien était comme planté d’épines. Elle décida qu’elle était victime d’un sort, qu’elle était prise, oui c’est ça, qu’elle était sous l’emprise de la cuisinière, comment appeler autrement ce sentiment de manque et de dépendance qui l’abritait, et ses inclinations ô combien contraires à ce qu’on lui avait enseigné au couvent ?

Si elle était sous l’emprise, oui comme un enfant coincé sous des draps trop chauds, alors elle n’était pas responsable de ce qui suivrait, elle ne commettait pas de péché, elle n’aurait rien à confesser. Si elle couvrait son ventre de baisers, c’était en dehors de sa volonté. Si elle mordait la chair tout autour du grain de beauté de la Jacqueline, c’était dans un état second. Si elle la laissait la malaxer comme une glaise fertile, c’était comme dans un rêve.

Elle oublia le froid d’automne qui traverse les murs comme du beurre, elle n’était plus qu’une fournaise et seule la Bernadette avait le pouvoir de l’accompagner alors qu’elle se sentait littéralement fondre. Elle la laissa retirer sa robe et ses jupons, en fait elle l’aurait aidée si ses mouvements n’avaient pas été si gauches. La cuisinière sortit un bocal de terrinne de la commode, elle en tartina les chairs de la doyenne, et en mit dans sa bouche pour qu’elle l’avalât avec langueur, alors qu’ensuite de sa tête elle se frottait à son araignée intime.

L’expérience qui s’ensuivit rappella à la Soeur Jacqueline l’auto-médication de la vieille, mais en cent fois plus ardent, en cent fois plus réel. Elle avait le sentiment de procéder là à quelque rite inédit dont seul son corps avait le souvenir, une réminiscence païenne que visiblement on avait tenté, l’oubli aidant, de lui enlever au couvent, mais c’eut été comme déraciner un chardon, on ne peut jamais couper tout le rhizome, et là c’était en train de repousser, le feu dans son ventre et le moyen de le satisfaire, par l’entremise de la Bernadette, elles étaient deux femmes dans la fleur de l’âge et leurs corps sinon leurs esprits savaient quoi faire. La Soeur Jacqueline se fit plus entreprenante, elle enleva chaque bouton de la chemise de la cuisinière comme s’il était lourd comme du plomb, elle délivra les mystères gras et ridés qui avaient auparavant peuplé sa nuit, elle parcourut chaque varice avec avidité, elle lécha là où s’était salé, là où c’était mou, là où c’était humide. Alors que la Bernadette allait de son côté droit au but, la Soeur Jacqueline sentit monter en elle des vagissements que seules ses années de couvent purent l’aider à contenir.

Ainsi donc, c’était cela d’être prise dans les sorts.

Et à ce moment-là, la Bernadette sentit en elle quelque chose qu’elle pressentait à peine, et elle se garda bien de faire des remarques à ce sujet pour le moment.

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Static Tensions, par Kylesa, metal, hardcore, punk, stoner, sludge, héroïque et vengeur, l’album de fer et de plomb pour la dernière des expéditions punitives

La Soeur Marie-des-Eaux sortit encore de l’eglise par le presbytère. Il ne comprennait pas cette honte qu’il avait d’aller à confesse. Quelque chose clochait.

Derrière le presbytère, c’était des ronces et des orties, et une masse de chênes aux racines couvertes de glandaies. On était à deux pas de la grand-rue et pourtant en terre étrangère. Et personne n’allait entendre ce qui allait se passer, la main qui bloque d’un rondin la porte du presbytère et les deux paysans qui sortent des fourrés. Y’avait le fils Fournier avec son pif de travers, et aussi celui que le novice identifia comme le fils Fréchin, vu l’air de famille avec le maire. Il était plus jeune et portait fièrement l’habit traditionnel, chemise blanche, gilet noir et sabots. Il avait un peu la gueule de son père mais en plus ovale et il était encore plus grand que lui, avec un grand sourire de petit con. Ils avaient tous les deux des fléaux et pourtant la moisson était passée depuis un temps…

L’opinel du Novice était déjà sorti, mais le gars derrière lui dévissa le poignet et la lame roula dans les fourrés.

Pour une fois, la Soeur Marie-des-Eaux freina ses réflexes de survie et prit une seconde pour analyser la situation. Le gars derrière elle avait disparu. Les deux fils à papa avait pas tout à fait l’air dans leur état normal. On aurait dit des clébards enragés.

Pour le novice, ce fut l’hésitation de trop. Le fils Fournier était petit et pas costaud mais il frappa aussi fort qu’il était bête et lui brisa l’épaule net. Le fléau du fils Fréchin s’écrasa sur ses vertèbres et le cloua au sol.

Lexique :

schlinguer : puer
couârie : discussion

Notes liées aux règles de L’Empreinte :

Menace : une Déité Horla (la Mère Truie)
Lieu de départ : Les Voivres
Avancement :
Acte I – Introspection + Tentation + Agression
Acte II – Introspection + Tentation + Agression (en cours)

Bilan :

Toujours dans l’idée de varier les inspirations aléatoires, j’ai fait deux tirages de Nervure (le prototype, qui comporte juste une centaine de questions orientées à la For The Queen) lors de la création du passé de Champo avec Session Zéro.
Parmi les inspis aléatoires également utilisées : AlmanachOriente

Une session difficile car j’étais fatigué, j’avais franchement envie de dormir, mais j’essaye de fixer ma session d’écriture à la première après-midi entièrement vacante de la semaine, donc pas question de déroger pour manque d’énergie. Il vaut mieux que je fasse des sessions difficiles plutôt que de trouver des prétextes pour reporter toujours d’un ou plusieurs jours, et finalement louper une semaine, voire ajourner totalement le projet.

Feuilles de personnage :

Les feuilles de personnages sont maintenant centralisées et mises à jour sur cet article

Nouveauté par rapport à la fois précédente :
1 empreinte de plus pour Soeur Jacqueline.
Un passé oublié pour Champo (tiré avec Session Zéro)

La suite :

8. La veillée
Un épisode entre le recueillement et la fureur, où les liens entre les exorcistes se resserrent sous la menace grandissante.

3 commentaires sur “[Dans le mufle des Vosges] 7. Absolution

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