PREMIER ÉTÉ DANS LE VENTRE DE MEJGORIÉ
Une séance enfantine intimiste qui se colore de plus en plus en sombre. Un récit et un enregistrement de partie par Claude Féry.
(temps de lecture : 9 min / temps d’écoute : 48 min)
Joué en présentiel le 14/06/2020
Le jeu : Trois étés à Bonneville, un jeu de rôle intimiste, aventureux et plein d’espoir, par Chestel
L’univers : La forêt de Millevaux
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Farhad Sadykov, cc-by
Toutes les photos suivantes sont de Claude Féry (par courtoisie).
L’histoire :
Voici une petite réflexion sur ma démarche ludique.
À chaque nouvelle session je m’efforce de proposer différentes tonalités pour envisager les suites de notre campagne.
Régulièrement j’ai proposé trois jeux différents afin que nous obtenions lors de la mise en jeu l’atmosphère et l’intensité d’émotions attendues.
Récemment, dans le cadre de ma préparation non préparation, je me suis contenté de proposer un nouveau jeu, plutôt destiné à une unique partie que je m’efforce de faire dialoguer avec la seconde partie de la session.
Dans notre dernière session, je ne suis pas parvenu à établir un lien avec le contenu fictionnel de notre partie de Le cueilleur d’arbres.
Quoique la seconde partie de la session ait été l’occasion de moucher une nouvelle bougie et poursuivre notre exploration de Mejgorié, je n’étais pas en mesure de tisser des liens comme je l’avais fait avec Lillipousse.
Xavier joue Helio
J’ai donc parcouru ma ludothèque et me suis arrêté sur Mahamoth de John Grümph qui pourrait offrir un retour vers le Spomenik et les enfants de la Lumière Noire : Germaine, Apo850 et Héli.
J’ai ensuite songé à Skyrealms Of Jorune, l’épisode d’exploration de planète devant initialement aboutir à une scène de chasse Ramian lors du « Rurvi Tchorko ».
Entre temps chacune des joueuses m’a communiqué ses centres d’intérêts du moment, Xavier en me narrant une histoire rocambolesque d’un enquêteur avec gourdin plutôt que fusil de chasse, Alexa en me livrant une série de dessins où son avatar récurrent destiné à sa chaîne YouTube devient une Katsune plutôt qu’une vampire et Gabrielle m’a évoqué une nouvelle dystopie.
Et moi, profitant d’ un arrêt maladie pour laisser vagabonder mes oreilles vers divers podcasts, j’ai découvert au travers d’un souvenir rôliste 3 étés à Bonneville du bon Docteur Chestel.
Je l’ai lu et succombé, aux appels de gamins farceurs dans la montagne. Immédiatement ce sont des échos de jeux enfantins dans la forêt des Vosges qui ont tinté à mes esgourdes.
Puis j’ai écouté le dernier témoignage audio d’une partie de La clé des songes jouée par kF et Eugénie, une pure pépite de poésie,
un peu de neige salie de Bernard Gunter, transposée au jeu de rôle…
Enfin, j’ai lu le hors série 5 de Sombre de Johan Scipion, ou plutôt ses articles sur sa démarche créative afin d’obtenir « la peur comme au cinéma ».
Et je constate alors que ce que je tente de convoquer à ma table c’est un « cinéma pour l’oreille », (tagline déjà mobilisée par Jérôme Noetinger pour son excellente production sur Metamkine).
В утробе Межгорья V utrobe Mezhgor’ya Первое лето Pervoye leto
Avec Gabrielle, Alex et Xavier nous jouerons demain après-midi les suites de notre exploration du Ventre de Mejgorié, sous un autre angle toutefois. « Avec notre œil, nous arrangeons les réalités. » Georges Aperghis.
Vivre dans le ventre de Mejgorié rend la vallée au dehors un havre désirable où bâtir notre refuge loin du regard inquisiteur de nos aînés…
Manuel en cyriloc, comme toutes les instructions dans l’hypogée
Belle session de trois heures, beaucoup plus sombre que ce que propose initialement 3 étés à Bonneville. Nous avons convenu de jouer le second été sur le thème des transformations subies par nos personnages au contact du bois.
A la suite d’un dysfonctionnement d’une clé USB de transfert ne subsistent que les 2 premières minutes des trois premières étapes du plan 1 sur les presque deux heures jouées. Les étapes 4 et 5 ainsi que le bilan ont été épargné. Ce moignon sonore, à défaut d’autre chose, vous fournira une idée de l’ambiance à la table, loin du riant été savoyard.

Nous avons joué en détail notre échappée. Kwolia émet l’idée de voler un bidon d’acide à l’octroi. Vassily est d’accord mais se dégonfle tandis que Elisheba débite des sornettes au vieil Alan sur des écureuils retors qui dévorent la câblerie au risque d’interrompre l’alimentation électrique de la salle des Dormeurs pour l’éloigner. Helio et Elisheba enferment le dupe dans un réduit, pendant que Kwolia s’empare du bidon convoité, château branlant sur un vieil escabot. Et il chute, comprime le bidon et s’éclabousse les mains d’acide. Elisheba et Vassily l’enjoignent à se laver les mains à l’eau froide. Ça picote ! Ça picote ! Geint le voleur. Vassily et Helio grattent les murs dont ils ont la charge d’entretien à l’acide, pendant que le blessé et Elisheba se rendent à l’infirmerie.

L’infirmerie ici se confond avec le sas de déconfinement, l’avant poste de l’hypogée, son regard sur le monde. Le lieu est à circulation restreinte. Aussi les deux gamins inventent la présence d’un nuage toxique de pollens qu’il conviendrait de circonvenir avant qu’il n’atteigne les conduits d’aération. Pendant qu’ Elisheba distrait L’aîné de faction par son verbiage et l’entraîne au dehors, Kwolia inspecte la pharmacie. Trois types de produits dans des fioles s’offrent à lui : un translucide, un vert et un bleuté. Les inscriptions en cyriloc lui sont d’aucune utilité. Indécis il s’en remet à la sagacité de son amie, le vert s’est l’espoir… Elisheba se charge de l’injection et c’est atroce, ça brûle encore plus ! Alors hop ! une injection de la solution bleutée qui étend le gamin au sol, pris de convulsions. Il se redresse bientôt, les lèvres bleues, claquant des dents, mais ça marche !

Tout à changé. Elisheba aussi. Il lui voit sous la paupière gauche un signe 24. Elle est une dormeuse. C’est un signe. Lui a un 6. Il lui injecte la solution bleue, froide, glacée puis qui bientôt l’inonde d’une vive chaleur. Désormais ils sont des Dormeurs et sont condamnés à veiller leur pairs s’ils restent ici. Ils se promettent donc de se bâtir un refuge et de ne jamais revenir. Les deux autres s’en émeuvent et Kwolia leur offre une injection. Helio est 17 et Vassily 21 pour les autres et 3 selon lui. Ils grimpent dans le conduit d’aération et s’échappent après avoir saboté le sas technique.
Gabrielle joue Vassily
Ils émergent dans une hêtraie bruissante de vie. Ils s’éloignent heureux de quitter la cité oppressante, même si Elisheba et Helio sont un peu soucieux. Tout est nouveau et jamais plus ils ne formeront de dessins dans la moisissure qui ronge les coursives avec leurs brosses. Autour d’eux des milliers de fragrances se mêlent dans l’air. Le soleil perce au travers des houppiers touffus et dessine la la lumière sur leurs visages. Dans la vallée en contrebas, l’eau cascade sur la roche. Des oiseaux chantent et Kwolia pousse un cri tonitruant en se suspendant à une liane pour franchir le ravin. Il atterrit cul par dessus tête, très fier, de l’autre côté. Même pas mal ! Même pas peur ! Il avertit qu’un truc horrible fait hou hou derrière Helio. Mais non. C’est une farce !

En revanche il y a un essaim d’abeilles forestières mécontentes… Il est très vite rejoint par son copain Helio qui récupère la corde du plus prudent Vassily, qu’il hisse vers eux. Elisheba suit les deux garçons mais la liane trop sollicitée, cède. Elle est retenue dans chute par Vassily que tractent les deux compères. Kwolia passe la corde au pied d’un arbre solide à l’invite d’Helio et tout le monde remonte sain et sauf. Kwolia est tout ébranlé cependant. Contre la rugosité de l’arbre il perçoit une présence, hostile, avide.
Ce n’est pas son corset de branches
Ni ses cheveux de feuilles
Ni ses lèvres d’insectes
Qui lui font peur
C’est qu’elle n’a pas de cœur
(Almanach)
Maintenant ils se tiennent près du vieux panneau rouillé signalant le risque de montée des eaux. Ils ont franchi la frontière.
La cavée aux goupils
Depuis le couvert de la chênaie, Elisheba lance un premier écho vers le versant qu’ils viennent de quitter. Un jeu de cris s’ensuit qui dissipe dans un premier temps leur trouble. Mais bientôt ce sont des échos du passé qui les assaillent. Les temps se mêlent. Kwolia s’englue dans la poussée d’un réacteur tokamak et vit un combat confus dans Mejgorié où un marchand d’esclave et un croyant l’abandonnent à son sort pour protéger son amie, prise d’oubli. Helio entend des coups de feu qui s’éternisent…
Le temps fuit de toute part et ils s’éloignent dans la chênaie pour mieux s’y perdre en cherchant à éviter la menace des bûcherons cannibales. La nuit les saisit dans une clairière sans refuge et tout le bois glané perdu. Ils s’installent dans le creux d’un arbre à trois troncs que Helio aménage sommairement.
Kwolia rêve de danser à la cime des nuages, perd ses jambes, se drape dans la nue et sombre, proie d’une atroce douleur.
J’habite une blessure sacrée
j’habite des ancêtres imaginaires
j’habite un vouloir obscur
j’habite un long silence
j’habite une soif irrémédiable
j’habite un voyage de mille ans
j’habite une guerre de trois cent ans
j’habite un culte désaffecté entre bulbe et caïeu
j’habite l’espace inexploité
j’habite du basalte non une coulée
mais de la lave le mascaret
qui remonte la valleuse à toute allure
et brûle toutes les mosquées
je m’accommode de mon mieux de cet avatar
d’une version du paradis absurdement ratée
– c’est bien pire qu’un enfer –
j’habite de temps en temps une de mes plaies
chaque minute je change d’appartement
et toute paix m’effraie.
Aimé Césaire, Le Calendrier Lagunaire
La cavée aux goupils
A presque-aube quatre cocons de toiles pendent dans la clairière.
D’immenses cannes chitineuses pareilles aux troncs des arbres descendant de ce ceux-ci.
Vassily se libère du sien et arrache celui de Kwolia qui retombe au sol, blême, frissonnant.
Le cocon qui enserre Helio est immobile, linceul pudique jeté sur un corps frappé par la foudre de l’orage sec que la nuit a convié.
Vassily libère partiellement Elisheba alors qu’un visage familier salive au dessus de leurs têtes. Alors Kwolia se redresse, sa bouche s’ouvre immense sur un cri silencieux qui ébranle la terre, souffle feuilles et soies et bientôt ils sont enfin seuls. Ils bâtissent une cabane rudimentaire à la lisière et s’échangent promesses et serments solennels. Kwolia ne dit rien de ses dents et sa langue pourries par la sepsie de Pandora. Il étreint leurs mains et pleure l’abandon qu’ils lui ont promis.
Nous avions tous présent à l’esprit la vidéo de présentation de Degenesis
dont le lien suit lorsque j’ai évoqué la réaction de Kwolia face à Visage Familier… Les sonorités de Wromb étaient de circonstances et cette scène était assez intense.
La cavée aux goupils
Manifestement Kwolia est celui qui a pris une balle à l’entrée de Mejgorié et Elisheba serait Liberté avant l’alcôve… Lapin serait un Dormeur qui s’ignore… Une très belle session !
N. B. : Notre errance forestière était illustrée par le diaporama de la cavée aux goupils que j’ai posté en inspiration.
La cavée aux goupils
Commentaires de Thomas :
Merci beaucoup pour ce nouveau retour de partie !
A. Les photos de fougères et de plantes sont de toi ?
B. C’est quoi le Recombination Group ?
C. A quoi penses-tu que la revisitation très sombre de l’ambiance légère de 3 étés à Bonneville est due ?
La cavée aux goupils
A. Oui
B. C’est une organisation secrète qui au moyen de manipulations génétiques, de conditionnements et de moyens financiers et matériels colossaux à organisé la survivance, (sa survivance) à l’effondrement de la civilisation.
C. Au ton spontanément adopté par les joueuses, qui quoique le caractère léger ait été affirmé en amont on creusé un sillon très sombre. Les dangers évoqués devenaient de réels enjeux et j’ai joué pour ma part ma feuille de personnage. Pour le final j’ai annoncé ma crainte et positionné ma noisette sur à sauver, sans secours la situation s’est encore aggravée. Parallèlement Xavier s’est mis hors jeu avec la foudre… Ce n’était pas le ton initialement attendu, mais le résultat m’a vraiment plu, ainsi qu’aux autres. Gabrielle a joué en Théâtre de l’esprit et n’a pas vraiment suivi les injonctions du jeu.

C bis. Je souhaitais à titre personnel explorer un lieu au travers des souvenirs que se sont forgés de jeunes gamins. A cet égard cela a pleinement fonctionné. Les mécaniques et le plan 1 ont été scrupuleusement respectés. Ils ont soutenu note récit et produit comme escompté les trois heures de fiction attendue. Alex et Xavier ont joué avec leurs voix d’enfant et Gabrielle a joué les enfantillages avec naturel. Simplement notre cadre Millevalien a profondément contaminé la tonalité guillerette initiale du jeu.
Indubitablement ! Xavier en fin de session nous a indiqué que si celle-ci lui avait plu, certains moments l’avaient effrayés (mais il n’a pas désigné le D ou le X sur sa feuille de personnage) et que la musique faisait peeuuur. Sur la partie non couverte par le témoignage audio la source sonore consistait en une série d’improvisations de Bertrand Gauget au saxophone et la deuxième partie d’une composition de musique concrète de Lionel Marchetti intitulée Chasser. Cette dernière est particulièrement inquiétante, mais le glissement de tonalité était amorcé dès la première étape.
La cavée aux goupils
Thomas :
C’est quoi le D sur la feuille de personnage ?
Claude :
Je me suite trompé. D désigne une demande d’arbitrage J’aurais du dire V droit de veto, une revisitation selon la règle
Thomas :
C’est intéressant ces codes-lettres de sécurité émotionnelle sur la feuille de perso ! Que veut dire A ?

Gabrielle joue Vassily

Alex joue Elisheba


Alex joue Elisheba

Gabrielle joue Vassily
L’ampleur des retours de partie de Claude est toujours assez dingue. J’espère que vous prenez plaisir à les consulter 🙂
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