Le nerf de la guerre

Où je m’explique sur les moyens que je choisis pour gagner ma vie, et sur leurs implications éthiques.

(temps de lecture : 3 min)

José María Mateos, cc-by, sur flickr

L’actualité m’oblige quelque peu à sortir d’une réserve que je souhaitais conserver encore quelques temps.

Je fais partie des créateurices de contenus qui ont un compte sur Tipeee. En l’occurence, le mien me permet de gagner un peu plus de 100 € par mois, en échange de la simple promesse que je crée du contenu gratuit et accessible à toustes.

Vous n’êtes peut-être pas sans savoir que les dirigeants de Tipeee ont fait récemment quelques déclarations controversées pour justifier une politique éditoriale qui inclut le soutien à des contenus complotistes ou antisémites.

Ce n’est pas une nouvelle que j’ai accueillie avec plaisir, parce que de fil en aiguille, j’ai dû m’interroger sur la pertinence de rester sur cette plateforme.

Avant de vous livrer ma décision, j’aimerais attirer votre attention sur le rôle que vous jouez en tant que public. Je suppose qu’il est facile quand on est consommateurice de contenu, d’appeler au boycott d’une plateforme de financement dont la politique éditoriale nous disconvient, et d’appeler les créateurices de contenu à migrer vers d’autres plateformes censément plus éthiques.

Mais de l’autre côté, les créateurices de contenu sont dans une situation précaire et cette migration n’est pas sans conséquence. Pour prendre mon cas particulier, comme j’ai fait le choix du bénévolat, les 100 € mensuels de mon compte Tipeee sont ma principale source de revenu (en plus de quelques autres, listées ici). Si je migre vers Utip, Patreon ou/et Liberapay, je dois m’attendre à perdre de l’argent dans le processus, le temps que mes soutiens migrent à leur tour, le temps de recouvrer une visibilité sur la nouvelle plateforme, etc.

Nous sommes tous et toutes dépendantes de solutions techniques qui ne sont pas politiquement neutres, qu’il s’agisse de notre banque, de paypal, des réseaux sociaux, des GAFAM, etc. Migrer vers des solutions plus éthiques n’est pas sans coût : perte de visibilité, de fonctionnalité, de revenus, etc.

Il faut sans doute quand même le faire, mais tout ça demande du temps. Je vous remercie donc à l’avance pour votre compréhension.

En ce qui me concerne, j’ai donc mesuré tout le poids que représentait, en tant que personne vivant sous le seuil de pauvreté, de faire cette migration. Je me suis aussi projeté dans le futur, au vu de mes projets établis par ailleurs.

J’ai donc décidé de rester sur Tipeee encore un an.

Il se trouve qu’avant que le scandale Tipeee prenne de l’ampleur, j’avais décidé de cesser mon activité bénévole à partir de septembre 2022. Pour diverses raisons, je dois pouvoir être à nouveau en mesure d’apporter une contribution financière substantielle à mon foyer. Sept ans d’autorat bénévole auront bien suffi.

A compter de septembre 2022, je vais dans un premier temps essayer de vivre de ma plume, essentiellement en faisant éditer des livres et en auto-éditant par financement participatif. Dans ces conditions, mon compte Tipeee perdra sa raison d’être puisque je ne pourrai plus demander le financement de contenus gratuits, et quelque part, sans jeter la pierre à personne, il apparaît, au vu du faible montant de ce compte, que la demande pour financer du contenu gratuit pour tous était faible.

Dans ces conditions, vu que mon précédent modèle économique est voué à disparaître dans un an, je ne veux pas prendre la peine de migrer de plateforme entretemps.

Voilà, c’était un billet d’humeur pour vous expliquer que mon maintien sur Tipeee ne correspond pas à une validation de leur politique éditoriale, mais plutôt à un calcul, un peu douloureux je l’avoue, fait en volonté de maintenir un peu de revenu et de limiter ma charge cognitive.

J’espère aussi avoir pu vous amener à faire montre d’un peu d’indulgence envers d’autres créateurices de contenu qui feraient le choix de se maintenir sur des plateformes dont vous contestez peut-être l’éthique.

Les artistes, hormis une minorité, font partie des perdants des luttes sociales, et sont contraints à toutes sortes de compromis difficiles.

5 commentaires sur “Le nerf de la guerre

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