Le jeu de rôle, art de l’éloquence : bullshit ou non ?

~ Thomas Munier

Alors que l’astre est à son nadir, viennent depuis les caches des collines et les ventres des gouffres une horde d’êtres bramant du mufle, labourant la terre, porteurs de fer et porteurs de haine, les ennemis ancestraux de ton engeance, fruits d’une insolente hérédité. Sonne le tocsin, bientôt sonnera le glas ! Que feras-tu, toi dont cette geste conte la valeur, alors qu’un frisson glacial te parcourt l’échine, que ton cœur bat la cadence dont sont faites les épopées, et que ta cervelle enchaîne maints calculs ? Audentes fortuna iuvat ! Fourbiras-tu le glaive ou fourbiras-tu le verbe ? De quelle plume écriras-tu ta légende ?

(temps de visionnage : 19 min) / (temps de lecture : 2 min)

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Johan Huizinga dans son ouvrage Homo Ludens (1938) définit le jeu comme une activité qui est :

  • Libre (volontaire),
  • Séparée (en dehors de la vie courante, dans un espace-temps défini),
  • Régie par des règles propres,
  • Non productive (ne crée pas directement de richesse ou de bien matériel),
  • Accompagnée d’un sentiment d’adhésion et de plaisir,
  • Et qui n’a pas de conséquences directes dans le monde réel.

Crédits :
Le petit bonhomme en plâtre est une photo de Thomas Hawk, cc-by-nc

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Le script de la vidéo

Ce sujet de vidéo est une mention à la chaîne youtube d’actual play Ultima Verba et à l’ethos de son protagoniste principal, Olivier Larue, qui place l’éloquence comme valeur première de sa posture de MJ.

Je précise que je vais parler de l’éloquence en jdr pour poursuivre ce cycle entamé sur les échanges entre jdr et théâtre et non pas émettre un jugement sur sa chaîne. J’avoue que je n’ai fait que parcourir ses émissions, donc je manque de matière. J’ai en revanche vu sa conférence donnée à Octogones et elle me semble assez fournie et équilibrée, je vous la conseille.

Je vais commencer par distinguer les deux définitions du terme éloquence.

L’éloquence, c’est d’abord l’art du verbe. On peut l’appliquer en jdr par de belles descriptions, par l’immersion, par le roleplay. Je vous renvoie à ma vidéo sur le roleplay théâtral.

L’éloquence, c’est aussi une forme de rhétorique, c’est l’art de persuader. On peut l’appliquer en jdr par du player skill (cf aussi vidéo sur le sujet) pour les PJ, mais aussi pour le MJ. On peut aussi l’utiliser dans du jeu moral, où les discours des uns et des autres peuvent émouvoir ou faire basculer les convictions.

Problème : dans la plupart des jeux de rôle, on est sur du tactico-mécanique, avec beaucoup de commentaires méta. Est-ce possible de faire de l’éloquence ?

On devrait privilégier des jeux de rôles avec des ambiances qui s’y prêtent mieux, et si possible en freeform, avec une posture immersionniste.

Attention également au surjeu, par exemple des personnes qui parlent de façon théâtrale ou romanesque, bref pas comme le feraient des personnes dans la vraie vie. Pas la peine non plus de crier ou de murmurer, on peut simuler ces modulations en posant sa voix, pareil on peut remplacer les accents par de plus légères modulations. La question est aussi de savoir si on se donne un ethos de MJ/jouaire de l’éloquence un peu premier degré, au risque d’être risible comme Hugo Jacomet ou le jouer au second degré comme Monsieur Pof. Ceci nous rappelle, pour reboucler sur la dimension théâtrale, qu’en jeu de rôle, on joue deux rôles, celui de son (ses) personnage(s), et celui de jouaire/MJ.

Quels sont les arguments contre la pratique de l’éloquence en jdr ?

Qui doit faire preuve d’éloquence ?

  • Si une seule personne le fait, on parle de performance unilatérale. Problème : l’accaparation du temps de parole, la sensation de malaise ou de décalage, le risque de burn-out rôliste
    À nouveau, ça peut intéresser une fraction du public, le jdr devenant une forme de conte interactif.
  • Si tout le monde est OK, si c’est dans le contrat de table, on peut envisager la performance collective. Problème : débriefings acrimonieux avec des remarques du genre : « j’ai pas réussi à me hisser à votre niveau » ou « tu as cabotiné et tu n’as pas respecté la vibration commune. »
    Cf vidéo sur les attentes + article pourquoi je ne fais plus de debriefing

Ici encore, risque de rupture avec la légèreté radicale : c’est donc important que les choses soient bien négociées au sein du groupe, il faudrait presque un manifeste de groupe avec le niveau d’effort recherché, quelques règles de savoir-jouer, une promesse de pardon collectif. On peut opposer à la légèreté radicale une forme d’amateurisme radical : i.e. on peut faire de l’éloquence / du RP théâtral / du voice acting même si on n’a pas fait le Cours Florent parce que justement on veut avoir une pratique artistique de loisir, autotélique, hors des standards de l’art marchandisé et sur-produit.

5 commentaires sur “Le jeu de rôle, art de l’éloquence : bullshit ou non ?”

  2. Ping: Jeu de rôle et théâtre : si proches et pourtant si lointains – Outsider
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