Pourquoi je ne fais plus de débriefing

Soucieux de provoquer, il énonce une opinion impopulaire : en fait les débriefings sont une nuisance pour le bon déroulé d’une partie de jeu de rôle.

(temps de lecture : 3 min)

Mike Mahaffie, cc-by-nc-nd

J’aimerais vous confier mon interrogation du moment. Je voudrais parler de l’exercice du débriefing oral de fin de partie.

C’est une pratique qu’on considère généralement comme vertueuse, vue un peu comme le miroir du contrat de table.

J’en fais depuis au moins que je me considère comme « auteur » avec des scénars ou des jeux à playtester.

Et c’est une pratique que j’ai généralisée au moins quand c’est moi le MJ ou le facilitateur.

Et bien j’envisage très sérieusement de ne plus en faire.

Après dix ans de pratique de cet exercice, je trouve qu’il a plusieurs défauts :

+ le principal c’est que bien souvent quand un problème se présente durant la partie, les joueuses attendent le débriefing pour en faire part, c’est très frustrant car il serait préférable que le problème soit évoqué en cours de partie. Supprimer le débriefing oral permettrait à mon avis de résoudre ça.

+ J’ai l’impression qu’il augmente la posture de consommatrice de certaines joueuses, puisque à la fin de la partie elles vont pouvoir mettre des étoiles ou pas.

+ Corollaire, ça met les joueuses en posture de juger MJ, sans se remettre en question personnellement ou s’impliquer dans la partie.

+ Le bon souvenir d’une partie peut être ruinée par une anecdote négative

+ C’est du temps perdu pour jouer ; or mes créneaux de jeu sont courts

J’envisage pour autant de conserver la possibilité de retours, positifs comme négatifs, mais en textuel à froid seulement.

Ah, je réalise que j’ai omis de préciser un paradigme qui est important pour comprendre ma position. Je joue essentiellement en one-shot. Dans ces conditions particulières, signaler un problème seulement quand la partie est terminée me semble plus problématique qu’en campagne.

Ceci dit, en campagne, c’est également délétère de se bloquer X heures de jeu non stop où personne ne songe à interrompre la fiction pour signaler quelque problème. On a des outils comme la carte X mais je suis conscient qu’il y a toujours une forte pression sociale à ne pas l’utiliser, quand bien même l’outil est présenté en intro de partie. Et la carte X n’est censé que couvrir les problèmes graves ou au moins de la stricte sécurité émotionnelle (alors que les problèmes rencontrés peuvent être tout autre : gestion du rythme, du temps de parole, des thématiques, etc), donc on laisse s’accumuler les petites frustrations qui se transforment en torrent de bile lors du débrief.

Je me rappelle avoir tenté à quelques reprises de faire des parties avec plus de pauses internes, ou a minima de régulières questions du type « est-ce que ça va ? » ou au moins des signes gestuels de type OK check-in. Je crois avoir arrêté parce que je sentais une injonction au jeu continu pour l’immersion mais j’envisage assez sérieusement de supprimer mon quart d’heure habituel de débriefing au profit de trois débriefs intermédiaires de 5 minutes.

Personnellement, j’ai un peu cessé de croire en la capacité du contrat de table / briefing à être suffisant pour nous calibrer en termes d’attentes. Tout simplement pour des raisons cognitives : nous ne sommes pas infiniment paramétrables (d’autant plus quand l’ambition est de tout paramétrer d’un coup).

Par ailleurs, je pense qu’une partie qui s’est bien déroulée du point de vue de la sécurité émotionnelle peut être mal vécue sous tout un tas d’autres angles : ceux qu’on a cités, mais aussi un manque d’accroche avec le gameplay, le fait de ne pas comprendre les règles / le jeu, l’incapacité à s’harmoniser avec les autres joueuses, le niveau de difficulté trop élevé / trop faible, un manque de liberté d’action des personnages ou au contraire la sensation de manquer d’objectifs, un manque d’intercréativité ou au contraire le stress ressenti à se voir confier des responsabilités narratives, etc, etc. Toutes ces frustrations accumulées peuvent aboutir à une frustration / malaise équivalent à ce que provoquerait un échec de la sécurité émotionnelle, et de fait si on ne gère pas ces soucis de façon incrémentielle en cours de partie et qu’il ne reste que la possibilité de s’en décharger à la fin, force m’est de constater que ça ne fonctionne pas.

Je crois que ma position particulière (essentiellement proposer des playtests, et également être assez peu sélectif sur les personnes à l’entrée) entraîne peut-être des parties plus dysfonctionnelles que la moyenne. Également dans cette configuration, le débrief est souvent présenté ou vu comme l’occasion de tirer à boulets rouges sur l’expérience. Ce qui fait que j’ai quand même régulièrement des retours négatifs, que ce soit sur ce que j’ai apporté, ou sur le collectif.

Pour aller plus loin :

[Article] Thomas Munier, Je veux que vos parties soient meilleures que les miennes, sur Outsider

Ma lassitude envers les débriefs doit sans doute venir que je ne conçois plus de nouveaux jeux. Je teste encore des trucs en cours d’écriture mais c’est à la marge, le gameplay est calé. Et au bout d’un moment je suis capable d’identifier les problèmes (notamment d’ergonomie) sans qu’on me les fasse remonter et au bout de dix ans je suis un peu fatigué des retours en mode « Je vais t’expliquer comment tu aurais du faire parce qu’en vrai j’avais totalement un autre type de jeu en tête / tu devrais plutôt faire un PBTA, etc… ». Au final j’en ai également assez d’être la nounou des joueuses. Je préfère nettement une pratique du jeu collective ou chacun.e est co-responsable de la réussite de la partie, et surtout responsable de sa propre expérience, dans une optique de participation radicale.

Bref. Voilà déjà une demi-douzaine de séances que j’ai faites sans débriefing et le bilan est pour l’instant positif. Supprimer le débriefing ne sera certainement pas la martingale de la partie parfaite, mais j’ai néanmoins l’intuition forte que cet aménagement crée une toute nouvelle dynamique, surtout si je prends le temps de la justifier en début de partie. Une dynamique où tout le monde se responsabilise davantage et énonce les problèmes avant qu’il ne soit trop tard.

5 commentaires sur “Pourquoi je ne fais plus de débriefing

  1. en te lisant je comprends pourquoi tu ne veux plus en faire et ce que tu leur reproche, mais moi qui joue essentiellement avec mon groupe d’ami·es proche, et beaucoup sur une campagne que je maitrise, j’adore les débriefings, pour différentes raisons :
    – C’est mon moment « descente de la partie/retour sur terre ».
    – Nous on fait toujours un débrif étoiles et souhaits, donc sauf si il y a besoin spécifique on ne dit jamais de négatif
    – En tant que MJ sur une campagne ça m’intéresse de savoir quels éléments ont attiré l’attention de mes joueureuses, quels PNJ iels ont adoré etc. pour pouvoir les ramener plus tard (et je suis très souvent surpris)
    – globalement j’adore reparler d’une partie de jdr et dire « c’était trop bien quand ton perso a fait ça », et comme je n’ai pas de mémoire / pas de moment particulier pour en discuter après, le mieux c’est de le dire au débrief

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  2. Je suis assez fan de l’approche « organique » du débrief. Cela rajoute certes une surcouche de vigilance pour les participantes à la tables, que l’automatisation des techniques et outils soulage, mais justement, à l’heure ou on délègue de plus en plus la bonne tenue des problématiques de sécurité émotionnelles (négatives comme positives, genre si on veut booster l’intensité par exemple) à des méthodes, techniques et outils très cadrés (session 0, X card, temps de débrief formel…). Cela remet un peu d’écoute, d’instinct et d’adaptation dans le débat. L’approche qui arrive à équilibrer l’usage d’outils formatés et d’écoute de la vibe de sa table et de ses joueuses me semblant de toutes façon la plus vertueuse (mais j’ai bien conscience que c’est une panacée relativement impossible à atteindre sur chacune de ses tables. Pour autant, c’est une bonne chose que de la viser et de ne pas s’en vouloir de ne pas l’atteindre à chaque fois).

    Comme toujours, s’appuyer sur les travaux des autres, sur l’universel, le technique et l’abstrait, toucher à l’empirisme, au personnel, au sensible et au concret.

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