Ne tuez pas mes PNJ

Et si les MJ avaient aussi droit à se vulnérabiliser et à se protéger ?

(temps de lecture : 2 mn)

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Jamie MacDonald, cc-by-nc

J’ai le sentiment que nous avons un problème avec l’engagement émotionnel des MJ.

La notion de plaisir de MJ est suspecte. On l’assimile au plaisir sadique de piéger les joueuses, au plaisir égoïste de tartiner de la description ou de l’intrigue au détriment de l’interactivité, etc.

Les conseils pour MJ tendent à prôner une figure de MJ au service de l’expérience des joueuses, ce qui impliquerait de mettre en quelque sorte un mouchoir sur ses propres désirs. On serait progressivement passé de la figure de MJ-Dieu à celle de MJ-martyre.

« Joue tes PNJ comme des voitures volées » conseille le jeu Apocalypse World et ses nombreux rejetons. Autrement dit, les figurants, au même titre que le décor et l’intrigue sont avant tout au service de l’expérience des joueuses. Ils sont parfois les faire-valoir, parfois les souffre-douleurs des PJ. En tout cas, ils ne sauraient bénéficier d’une immunité narrative, que les MJ à l’ancienne accordaient jadis à leurs PNJ préférés, qu’ils soient des antagonistes et des adjuvants, du moment qu’ils étaient leurs Mary-Sue, leurs PNJ-chouchous.

Jouer ses PNJ comme des voitures volées, c’est les jouer à cent à l’heure et les envoyer dans le mur. Les mettre en danger, et permettre qu’ils meurent facilement sous les armes des PJ ou celles de l’adversité.

J’ai le sentiment, que d’une façon implicite ce conseil dit aussi aux MJ de ne pas trop s’impliquer émotionnellement dans ces figurants. Ce ne sont que des fonctions au service de l’expérience.

On parle souvent d’engagement émotionnel, d’immersion, de bleed, de sécurité émotionnelle, mais assez souvent ces concepts ne semblent s’adresser qu’aux joueuses.

Pourtant je ne pense pas être le seul, quand je suis MJ, à mettre beaucoup de moi dans mes figurants. À ressentir du bleed quand je les incarne. À me mettre en vulnérabilité quand je les incarne. Je ne suis pas sûr de chercher à les sauver, je consens encore bien souvent à leur faire du mal pour le bien de l’intrigue, ou à laisser les PJ leur faire du mal, mais j’admets que ça me fait quelque chose. Je ne repousse pas pour autant cette émotion. Car le sentiment de perte est également une récompense, il fait partie de la palette émotionnelle.

Je ne pense pas être le seul à plaider le fait que MJ est une joueuse comme les autres. Certes, il peut y avoir des asymétries, asymétrie de narration, asymétrie de préparation, asymétrie de règles, mais après tout un paquet de jeux nous prouvent que cette asymétrie peut être dans l’autre sens, comme La sanglante quête du barbare où c’est la joueuse du barbare qui guide le jeu et non MJ, qui ne fait que réagir.

Mais je plaide pour une symétrie émotionnelle. MJ a le droit de s’engager émotionnellement. MJ a le droit de s’immerger. MJ a le droit de chercher aussi son plaisir. Et le corollaire de cela est que MJ n’est pas responsable de la réussite de la partie, tout le monde en est responsable.

Cela veut aussi dire que MJ a aussi le droit de demander de la sécurité émotionnelle. MJ a le droit de se protéger et de X-carder. MJ a le droit de demander à une joueuse : « S’il te plaît, ne tues pas ce figurant. Je ne serais pas en mesure de le gérer émotionnellement. » La liberté des joueuses, qu’on a bien fait progresser, ne devrait pas être totale.

Je suis en recherche de cette façon de partager l’expérience où nous sommes moins en responsabilité et plus en vulnérabilité, moins au service et plus dans le partage.

MJ est une joueuse comme les autres, et ses PNJ sont des PJ comme les autres.

Pour aller plus loin :

[Article] Thomas Munier, Les PNJ sont morts, vivent les figurants !, sur Outsider

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