La créativité sert à :
+ exprimer un retour d’expérience
+ s’exprimer
+ vivre tel qu’on est. Autrement dit, si l’on omet de s’exprimer, si l’on s’adonne à des activités sans créativité, on vit la vie d’un autre.
Passé ce constat, faut-il penser la créativité en terme de coûts et de bénéfices ? Dans ce cas, nous le mesurerons à l’aulne de nos propres valeurs.
La bombe atomique est aux yeux de beaucoup une invention horrible. Pourtant, n’a-t-elle pas joué un rôle décisif dans la fin de la seconde guerre mondiale et dans le maintien de la paix entre les grandes puissances nucléaires ?
Pour chaque fruit de la créativité, le débat des coûts et des bénéfices est ouvert. C’est chacun de nous qui les mesurons, ces articles n’ont aucune prétention d’en décider à notre place.
Pourtant, à l’échelle globale, nous pouvons croire qu’il est préférable qu’une majorité d’êtres humains s’expriment tels qu’ils sont au lieu de vivre la vie d’un autre, emploient leur créativité à transformer le monde selon leurs valeurs, plutôt qu’à transformer le monde sans conscience, selon les valeurs d’autres personnes, sans se remettre en question.
La créativité à l’échelle de l’humanité représente sa capacité d’évolution.
Doit-on utiliser sa propre créativité pour contribuer à cette évolution ? Prenons l’exemple du tir à l’arc. L’exercice du tir à l’arc se décline selon de nombreux courants : arc avec ou sans poulie, survie ou loisir, chasse ou tir sur cible, tir en salle ou tir en campagne. Prenons deux courants : le tir sur cible à 80 m en compétition, et le kyūdō, art zen du tir à l’arc japonais.
Pour atteindre l’excellence, le tir en compétition est coûteux en matériel, exige un long entraînement, une longue documentation, de nombreux déplacements sur les lieux de compétition. C’est assurément un exercice où la créativité trouve à s’exprimer. Les bénéfices se comptent en terme de satisfaction personnelle, de gloire personnelle ou de gloire d’une équipe. Les coûts se comptent en terme de bilan carbone.
Pour atteindre l’excellence, l’art du kyūdō exige aussi un long entraînement. Mais au lieu de s’exercer à atteindre la cible, on s’exerce à devenir son arc, à devenir sa flèche, à devenir une cible. C’est un exercice de pleine conscience. Il demande beaucoup moins de matériel et n’implique aucun déplacement car il n’y a aucune compétition. Cet exercice ne requiert aucune créativité en apparence. Du moins, cette créativité s’applique seulement à se transformer soi-même par le non-agir. Les bénéfices sont l’atteinte de la pleine conscience, l’atteinte d’un accord avec le monde et avec soi-même. Les coûts sont presque nuls.
Laquelle de ces deux pratiques semble apporter le plus d’évolution ? Est-ce celle basée sur une création orientée sur la technique, la performance et la réputation, qui transforme le monde mais pèse aussi sur le monde, où est-ce celle basée sur une activité orientée vers l’intériorité, une créativité qui est légère sur le monde ?
Les possibilités de transformation par la créativité sont innombrables. Les plus visibles sont-elles les plus désirables ? À nous de faire le tri.
Qu’elle pèse ou non sur le monde, la créativité permet de contribuer au monde. Mais cette contribution est parfois invisible ici et maintenant.
Quand un chef décorateur imagine que les personnages de la série Star Trek utiliseraient une tablette tactile, il a dessine sans le savoir le visage que prendra l’informatique des décennies plus tard. La créativité permet de concevoir des innovations avant même que la technologie les rende possibles.
Quand Léonard de Vinci conçoit des machines volantes, certes il échoue à dépasser le stade du croquis car il lui manque la source d’énergie nécessaire et les financement pour faire fonctionner ses machines. Mais il fait naître dans le cœur des hommes l’idée qu’on puisse fabriquer des machines volantes. Sans Léonard de Vinci, aurait-on jamais inventé l’hélicoptère ? Car ses croquis font partie de la série d’expériences qui ont amené à créer l’hélicoptère.
En créant, on transforme forcément le monde. En transformant le monde, on transforme les expériences que peuvent percevoir les autres, on influence donc la créativité des autres, et l’avenir du monde en général.
En devenant non-violent, on crée un monde ou une personne de plus est non-violente, on participe à un monde moins violent. Une décision d’hygiène personnelle, un coup de pinceau sur une toile ou la construction d’un vaisseau spatial, toute créativité transforme le monde.
Si nous choisissons d’être non-créatif, nous renonçons à participer à l’avenir du monde. Sommes-nous prêt à faire ce choix ? Est-ce un choix d’éviter de peser sur le monde ou une tragique démission ?
Aussi, exercer sa créativité ne saurait avoir de but plus important que de s’exprimer, pour prendre part au monde.
La créativité serait l’art d’identifier les problèmes et de les résoudre. Mais cette approche consiste à privilégier la fin aux moyens. Elle est calamiteuse si les problèmes sont fictifs ou dissociés de nos propres valeurs. Lâcher prise de l’idée de résoudre un problème est moins risqué, plus naturel.
« Le coup parfait ne se produit pas au moment opportun parce que vous ne vous détachez pas de vous-même. Vous ne tendez pas vos forces vers l’accomplissement mais vous anticipez votre échec. »
Eugen Herrigel, Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc
Au lieu de se soucier d’atteindre une cible, soucions-nous d’exercer notre créativité. La fin est importante, mais si elle nous apparaît comme le seul bénéfice de la créativité, alors l’exercice même de la créativité sera un supplice, voire de la servitude consentie. Un tel supplice que nous échouerons à atteindre l’excellence et la sincérité que nous recherchons pour atteindre nos fins.
Enfin, se fixer un but, c’est borner arbitrairement sa créativité. C’est l’appauvrir.
« Vos flèches manquent de portée, fut la remarque du Maître, parce que spirituellement, vous ne portez pas assez loin. Comportez-vous comme si le but était l’infini. »
Eugen Herrigel, Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc
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