La soif de résoudre des problèmes

Se donner des problèmes à résoudre, c’est pour ainsi dire une définition de la créativité. En quoi cela nous donne-t-il un sens, et en quoi cela peut-il nous aliéner ?

Une bonne partie de nos centres d’intérêt consiste à rechercher des problèmes à résoudre, et nous absorber dans cette résolution. C’est en tout cas le nœud de l’activité créatrice. Qu’il s’agisse de fabriquer une table qui tient debout, d’aboutir une œuvre d’art, ou de procéder à une innovation. C’est un défi lancé à notre technique, notre coordination, notre intellect, notre sensibilité, notre personnalité, notre humanité. C’est toute la part du jeu dans la créativité.

Nous ressentons un tel plaisir à résoudre ces problèmes que nous en recherchons sans cesse, des plus en plus nouveaux, des plus en plus rapides. C’est compatible avec l’idée de faire de l’œuvre de notre vie une succession spontanée de nouvelles œuvres, en flux tendu, en objectif zéro.

C’est en revanche beaucoup moins compatible avec l’idée de consacrer sa vie à une succession de grands-œuvres, de projets de longue haleine. Nous allons être très enthousiastes sur l’idée fondatrice de chaque nouveau grand-œuvre, sur l’obstacle majeur qu’il représente, qui est de faire tenir debout un concept au départ tout nouveau pour nous. Une fois que nous avons surmonté cette obstacle majeur, il reste parfois un long parcours de haies : les tests, les finitions, la livraison au public. Et entre temps, de nouveaux problèmes, de nouvelles idées de grand-œuvres, ou simplement des micro-œuvres, des entraînements, des défoulements, s’offrent à nous. Et nous y cédons parce que ces problèmes sont nouveaux, intenses. Résoudre l’obstacle principal qu’ils représentent nous promet plus d’apprentissage et de gratification immédiate que les longues phases de tests, de finition et de livraison au public dont a besoin notre précédent grand-œuvre pour être abouti selon nous. Tests, finitions et livraison sont riches en problèmes et en enseignements, mais c’est moins visible, et surtout moins immédiat.

Encore une fois, nous pouvons nous contenter d’une succession de micro-œuvres, qui ne nécessitent que quelques heures ou quelques jours de l’idée à la livraison, elles peuvent largement suffire à donner un sens à notre vie. Nous pouvons aussi considérer que ce sont des friandises qui nous écartent de ce que nous considérons comme nos œuvres majeures.

Pour parer à cela, nous pourrions nous abstenir d’avoir de nouvelles idées. Mission impossible ?

Nous pourrions aussi fusionner nos nouvelles idées avec le grand-œuvre précédent.

Nous pouvons aussi réserver certaines plages de temps dans la semaine à nos grand-œuvres en cours, et d’autres plages de temps à nos petites œuvres ou au début de nouveaux grand-œuvres, une respiration dans la longue apnée des grand-œuvres.

Se fixer des règles est une plus grande joie que de se fixer des objectifs. Si nous nous fixons des objectifs, tels que livrer telle grand-œuvre à telle date, nous nous fermons aux opportunités, nous esquivons une nécessaire respiration, nous nous exposons à bâcler notre grand-œuvre ou nous nous écrasons nous-même sous le stress. Se fixer des règles est plus simple. Il s’agit juste de respecter un horaire. Et l’échec d’une journée n’a aucune incidence sur la réussite du lendemain. Bien entendu, on pourrait dire qu’un esprit fort objecterait : « Si l’on se fixe une règle, alors on ne doit jamais faire exception, car l’exception tue la règle. », mais ce serait ignorer que nous sommes faillibles par essence, que nous sommes parfois en basse énergie, et que toute règle a besoin d’un temps pour se mettre en place. Tâchons de nous fixer des règles qui nous semblent assez justes pour que nous ayons envie de les respecter. Faisons un premier pas, essayons la nouvelle règle pour un jour, et si nous la respectons, prorogeons-là sur une semaine, puis sur un mois. Quand enfin la règle semble acquise, peut-être alors nous est-il temps de nous dire : « Aucune exception ». À condition de garder en tête pourquoi la règle fut édictée, et de la remettre en cause si elle dépassée.

Fixer des règles pour consacrer du temps à ces grand-œuvres n’a rien à voir avec se fixer des objectifs.

Il s’agit de se fixer une vision.

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