Comment un texte de jeu de rôle participe à la didactique du manuel ?
Mes réponses aux questions de Meredith Davoust pour son mémoire Donjons & Didactique
Demander à un auteur underground son avis sur la didactique… Quelle étrange idée !
(temps de lecture : 7 min)
Cela ne vous a peut-être pas échappé que Meredith Davoust a réalisé un mémoire intitulé Donjons & Didactique dans le cadre de son cursus à l’Atelier Didactique Visuelle à l’Haute école des arts du Rhin.
Le sous-titre est Le livre de Jeu de Rôle : modèle de didactique active et ludique ? L’étude de Meredith Davoust se propose de retracer quels sont les outils mobilisés par un livre de jeu de rôle en matière de didactique. Le point de vue principal concerne l’aspect graphique, mais l’autrice a également pris soin de se pencher sur la participation du texte à l’accessibilité d’un livre de jeu de rôle, qu’il soit autonome ou en articulation avec le graphisme.
Meredith Davoust a pour cela interviewé différentts autaires, dont votre serviteur.
Le mémoire est en tous points passionnant, tant par le fond que par la forme (puisqu’il est justement très graphique par rapport à ce qu’on se figure habituellement pour un mémoire), donc je vous invite à le consulter ou à vous procurer la version imprimée à la demande.
Mais ceci dit, avec la permission de Meredith Davoust, j’ai le plaisir de pouvoir vous reproduire ici le contenu de mon interview.
Avertissement : j’utilise les termes inclusifs MJ (sans déterminant) pour maître de jeu et jouaires pour joueurs, facilitataire pour facilitateur, autaire pour auteur.
En tant que créateur, ressentez-vous des différences entre écriture et game design ? Si oui, lesquelles ? Existent-ils des similitudes entre les deux ?
Il y a des différences entre écriture littéraire et game design et il y a un rapport d’inclusion entre écriture textuelle et game design [je considère qu’a chaque fois que je parle ici, je parle de game design de jeu de rôle].
Il y a de grandes différences entre écriture littéraire et l’écriture de texte pour le jeu de rôle. Les genres du roman, de la nouvelle ou du théâtre n’ont pas les mêmes focales que le jeu de rôle. L’écriture littéraire va par exemple détailler la vie intérieure ou les dialogues des protagonistes, choses qui vont au contraire être laissée a l’interprétation des jouaires en jeu de rôle. L’interprétation est certes un espace de liberté existant en littérature mais il est beaucoup plus vaste en jeu de rôle même si on peut trouver des mécaniques qui émulent la vie intérieure des protagonistes ou leurs dialogues (Dying Earth proposant des répliques toutes écrites dont l’usage est mécaniquement récompense ou plus étrange, Sens Mort qui présente un texte théâtral entre PJ et PNJ, suggérant qu’il se reproduira tel quel dans le jeu, tout en n’encourageant pas spécialement cela par la mécanique car le jeu est une réflexion sur le déterminisme et donc les dialogues ne seront reproduits que si MJ pousse à fond le « jeu » du déterminisme.
L’autre différence est que l’écriture rôliste laisse moins de place aux effets de style que l’écriture littéraire pour lui préférer une écriture plus pragmatique, ceci pour plusieurs raisons : limiter la charge cognitive pour les MJ ou facilitataires, laisser une part de créativité, d’improvisation et d’oralité aux jouaires, atténuer l’aspect artistique au profit du ludique, privilégier une parcimonie stylistiques pour laisser plus de place aux accroches scénaristiques, dans une approche de haut potentiel ludique.
Il y a cependant des exceptions : présence de placards de descriptions riches à lire à haute voix durant la partie, liste de champs lexicaux, formules rituelles rythmant la partie, voire guide pour improviser des effets de style à l’oral comme dans La Tourbe et la Paupière, un jeu de rôle poétique et chamanique.
L’écriture rôliste est incluse dans le game design en ce sens qu’elle est une partie de la base (terme désignant le support de jeu, le plus souvent un livre mais pouvant se présenter sous un autre support : appli, site web, audio, vidéo, jeu de cartes, jeu de plateau, transmission orale pure…) qui se combine avec les mécaniques illustrations, la maquette, et dans le cas des supports atypiques avec d’autres éléments (programme informatique, figurines, audio, etc).
Dans ce cadre, l’écriture rôliste est souvent pragmatique, à l’os, intégrée aux autres parties.
Même les passages les plus littéraires se doivent d’être liés au plus près à des formes fictionnelles susceptibles d’émerger en partie. On peut y compter les placards de textes d’ambiance à lire à haute voix, les artefacts intradiégétiques (lettres, coupures de journaux), les descriptions d’univers immersives (par exemple, dans le jeu Hellywood, la ville éponyme est décrite par un narrateur dans le bagout propre au genre du polar. Le texte n’est pas récitable tout à fait en l’état par MJ à moins de simuler une voix off, mais en revanche sous le vernis stylistique, il se borne à lister des informations directement exploitables en jeu) ou encore les nouvelles d’ambiance qui doivent retranscrire ce qui pourrait réellement se passer dans une partie, ou être des retranscriptions de parties réellement jouées, avec ou sans inserts techniques. Ainsi, la nouvelle d’ambiance assez viscérale qui introduit le supplément Purgatoire pour Kult pourrait être reproduite en partie en combinant des rituels, objets magiques et créatures que le supplément décrit.
Cette réponse traduit bien sûr mes aspirations personnelles et on peut trouver des bases où l’écriture littéraire est déconnectée du ludique. On peut imaginer par exemple des cas où des textes évoquent des fictions qui ne sont ni permises facilitées par le jeu : récits cosmogoniques portant sur des périodes qui ne seront ni jouées ni même explorées par des actes archéologiques, récits épiques alors que les personnages jouables sont de bas niveau. On peut aussi rencontrer des textes qui sont reproductibles en jeu mais peu représentatifs, comme des récits à protagoniste unique alors que les jeux de rôles prévoient plus souvent de multiples jouaires. Ou enfin des récits qui déplacent la focale, par exemple avec des narrations du point de vue d’un PNJ.
Cependant, on constate même dans les formes littéraires adossées a des jeux de rôles mais en même temps assez émancipées (démarche trans-media) que les structures narratives restent largement inspirées de leur fondement ludique. C’est ce qu’Anne Besson décrit pour le cycle de romans Dragonlance inspirés d’un univers de campagne pour Donjons et Dragons
Pour aller plus loin :
[Conférence] Anne Besson, Les romans de fantasy ludique chez TSR, colloque universitaire 50 ans de jeu de rôle
L’écriture ergodique s’oppose a l’écriture de fiction linéaire en ce sens qu’elle est une littérature ergodique : le récit a focale unique ou chorale fait place à un récit fragmenté en de très nombreuses focales, un récit en germe, potentiel, très ouvert à l’interprétation.
La dernière différence entre littérature classique et littérature rôliste réside dans le rapport à l’hermétisme : pour créer une tension et de l’engagement, le récit linéaire retarde volontairement la délivrance d’informations cruciales.
Le manuel de jeu de rôle procède au contraire d’une herméneutique : il est censé délivrer à l’avance les informations cruciales au lectorat (MJ ou facilitataire). Par exemple, il est souvent précisé dès l’introduction d’un scénario d’enquête qui est le coupable et quelles actions il va entreprendre. Le retour à l’hermétisme se fait dans un second temps, les informations devant être distillées de façon déconstruites aux jouaires. On trouve cependant des jeux qui proposent un hermétisme même pour le lectorat : qu’il s’agisse de jeux de cartes/applis à prompts comme The Zone ou de jeux comme Biomasse adoptant une structure arborescente inspirées des livres-aventures.
Pour aller plus loin :
[Livre] Raphaël Baroni, La tension narrative : Suspense, curiosité et surprise
[Podcast] La Cellule,L’Herméneutique, un autre regard sur le jeu de rôle !
Comment se déroule votre travail de game designer ? Avez-vous des buts, des envies ?
J’ai bien sûr des buts et des envies mais je dois prendre en considération que je ne suis pas l’auteur unique de l’œuvre finale qu’est la partie ou la campagne de jeu de rôle. Je suis seulement le premier maillon d’une chaîne auctoriale qui se compose des autres autaires de la base (co-écrivain.e.s, illustrataires, éditaires, maquettistes, programattaires, imprimaires, etc)
mais aussi des MJ, facilitataires et jouaires. Je dois négocier des compromis avec les co-autaires de la base et je dois ménager, à l’attention des rôlistes (MJ, facilitataires, jouaires) des contraintes et des libertés, des incitations et des découragements, des règles fermes et des règles facultatives.
Je sais que pour respecter la nécessaire liberté des rôlistes et aussi pour des enjeux de charge cognitive, je dois me restreindre dans ce que je veux transmettre (mes buts et mes envies) : je dois trouver quel est mon sacré et tâcher de le transmettre de mon mieux.
Pour aller plus loin : Thomas Munier, Jeu de rôle : la transmission, le sacré et ce qui va de soi, sur Outsider
En fonction des projets, je tente soit de contrôler la fiction (univers prescrit, scénarios, personnages scriptés) ce qui est le cas avec Millevaux Sombre ou soit de laisser une grande marge d’appropriation fictionnelles tout en gardant la main sur la direction artistique, ce qui est le cas avec Les Sentes.
Si vous travaillez ou avez travaillez en équipe, comment satisfaire son besoin d’identité dans le métier ? On peut reconnaître un auteur à son style d’écriture, un illustrateur à son trait ou ses couleurs, mais qu’en est-il pour un concepteur de jeu ?
J’ai la double casquette d’écrivain rôliste et de concepteur de mécanique (ce qui n’est pas toujours le cas en jeu de rôle, on trouve des bases où ce sont des personnes différentes qui écrivent les textes et les mécaniques). Je suis assez souvent aussi illustrateur et maquettiste, mais j’ai également fait des collaborations, la plus complète étant Marchebranche.
La collaboration se fait dans le dialogue et c’est finalement une chose assez naturelle puisque vous devez déjà dialoguer à distance avec les rôlistes au bout de la chaîne. Mon rapport avec le collectif qui produit la base est assez proche. Je dois déterminer mon sacré et laisser à l’équipe le soin de s’approprier l’univers et aussi de le sublimer. Par exemple, pour Marchebranche, je tenais beaucoup à ce que la maquettiste Laure Afchain conserve les pictogrammes qui étaient pour moi vecteurs de didactisme et d’immersion, mais c’est elle qui a proposé une maquette tricolore (les exemples sont ainsi écrits en rouge) ou qui a proposé des marges colorées qui permettent d’identifier les trois sections du livre en regardant sa tranche. L’illustratrice Evlyn Moreau a lu le livre et a proposé un premier lot d’illustrations internes qui s’en inspiraient. En quelque sorte, c’était notre première joueuse. Et nous avions demandé sa contribution en partie parce qu’elle est elle-même joueuse et conceptrice de jeux de rôles appartenant à l’école OSR comme Marchebranche. En quelque sorte, je conserve ma sensibilité en faisant appel à des personnes ayant une sensibilité proche ou complémentaire. Nous avons parfois proposé une approche plus directive, avec notamment la couverture qui devait être une sorte de donjon forestier. Mais là encore il s’agit de mariage de sensibilités parce que nous lui avons proposé de développer des motifs (donjons forestiers, créatures animistes) qu’elle employait déjà par le passé.
Concernant la patte d’un concepteur de mécaniques (système de résolution, structure, conseils), je considère qu’elle est assez prégnante et même plutôt évidente pour les rôlistes. Par exemple, dans mon jeu Inflorenza, les maths du système de résolution ont un fort impact sur la fiction. En émulant l’engagement des personnages (possibilité lors d’un conflit de lancer un nombre de dés égal au nombre de traits liés à la situation ou au contraire de limiter les risques en lançant moins de dés, probabilités de résultats oscillant entre défaite, réussite et réussite sacrificielle, conséquences narratives des dés avec l’ajout ou la suppression de traits). Cette mécanique contribue grandement à la promesse narrative du jeu (incarner des héros, des salauds et des martyrs) et aussi à sa poésie (la mécanique faisant qu’on peut tuer avec un mot d’amour, que des roses peuvent pousser de nos blessures, etc).
Pour aller plus loin : Thomas Munier, Inflorenza (article descriptif du jeu), sur Outsider
Comment travaillez-vous avec l’incomplétude inhérente au JdR ? Comment jaugez-vous l’asymétrie qui peut être présente avec une meneuse ?
J’ai déjà esquissé comment je traitais l’incomplétude dans mes précédentes questions (plutôt en l’acceptant et en l’accompagnant) mais je vais un peu développer. Donc cette incomplétude on peut l’accompagner.
Je suis très friand de questions orientées. En m’inspirant de jeux comme Pour la Reine, j’écris beaucoup de questions orientées qui me permettent de cadrer une situation introductrice à la question tout en laissant au final la main aux jouaires en leur posant une question tout en contrôlant un peu ce qui justement est questionné.
Par ailleurs, j’aime aussi, notamment dans les tables aléatoires, proposer des textes courts à haut potentiel ludique ouverts à l’interprétation.
Je donne aussi de très nombreuses options (par exemple Les Sentes propose plus de trois cent archétypes de personnages différents), ce qui permet aux jouaires d’explorer ce qui leur fait vraiment envie alors même que je garde la main sur la direction artistique et les thématiques.
Enfin, dans Marchebranche, je propose tout un chapitre sur comment maîtriser « en souplesse », c’est-à-dire comment utiliser les règles, avec quelles variantes, comment s’en affranchir et comment les détourner.
Quant à l’asymétrie qui est présente avec MJ : je considère que MJ est la courroie de transmission et il faut faire œuvre de didactisme d’autant plus que les bases de jeux de rôle sont souvent très ambitieuses et réservées aux hardcore gamers.
Pour aller plus loin : Indie games are missing target par Alessandro Piroddi sur (Un)Playable Games
On peut faire des jeux de rôles très très courts mais au risque que ça devienne des objets limites comme par exemple Pour la Reine, pas considérés par toustes comme des jeux de rôles du fait de leur design simple et direct.
L’enjeu est d’autant plus complexe que les MJ facilitataires peuvent prendre énormément de libertés du fait de l’impossibilité de retranscrire l’esprit d’une base de façon littérale, mais aussi que des MJ facilitataires prennent parfois délibérément d’immenses libertés (changer les mécaniques, jouer sans mécaniques, fusionner avec d’autres univers…)
Pour aller plus loin : Thomas Munier, Toute partie de jeu de rôle est une trahison, sur Outsider
On peut retrouver davantage de contrôle en faisant transiter davantage d’informations vers les jouaires. Ainsi, Pour la Reine supprime le rôle de facilitataire avec un set de règles très court à lire à voix haute en alternance entre chaque jouaire. Les jeux propulsés par l’Apocalypse font reposer beaucoup l’expérience de jeu sur les feuilles de personnages avec des moves de PJ extrêmement générateurs de péripéties. J’ai conçu une aide de jeu, L’Ensourcellement, spécialement dédiée aux jouaires. Ces cartes questions laissées à leur disposition leurs permettent d’ajouter de la fiction par le biais de leurs personnages, et quelque part cela peut « redresser » une partie vers mes intentions quand MJ ou facilitataires s’en écartent.
Mais quelque part, il faut écrire les jeux pour les personnes qui souhaitent y jouer de bonne volonté. C’est elle qu’il faut guider en lui indiquant les orthodoxies tout en lui suggérant des transgressions. Mais je ne pense pas mon écriture pour les personnes qui dès le départ ont prévu de n’en faire qu’à leur tête. Elles vont utiliser 10% du jeu donc je ne m’appuie pas sur elles pour décider mes choix rédactionnels.
Lors du processus de création, utilisez-vous des images ? Et comment ? (Pour expliquer, réfléchir, concevoir autrement ?)
J’utilise des images de façon conventionnelle pour limiter la charge cognitive de la table et aussi pour favoriser l’immersion. Ainsi, le jeu/aide de jeu Nervure est sous forme de jeu de cartes et chaque verso est un portrait de personnage. Cette galerie de gueules permet une rapidité de jeu (on peut tirer un portrait et cela suffit pour dire « ceci est mon PJ / mon PNJ), chaque image raconte une histoire (pourquoi ce personnage est masqué ? à quoi pense ce paumé qui marche fixant le sol ?), et on peut disposer les images sur la table, ce qui permet de mémoriser plus facilement une partie de la diégèse.
Asa Hagström, cc-by

numbdog, cc-by-sa & kurafire, cc-by-nc
J’utilise également énormément les pictogrammes car cela permet d’identifier d’un simple coup d’œil les thématiques, ce qui est d’autant plus important dans mes jeux où il y a du gameplay émotionnel et des possibilités de choisir des thématiques dans une liste.
Je pense que c’est également très important d’utiliser des schémas illustrés pour expliquer les mécaniques, je l’ai hélas assez peu fait, par contre j’aime beaucoup concevoir des plateaux de jeu illustrés comme cette piste de dés pour L’Empreinte qui remplit à la fois un rôle didactique et immersif.

graphisme : (C) Thibault Boube
Je tiens également à utiliser les images comme support à la narration, et par exemple j’ai conçu un cadre de campagne qui est seulement composé d’hexagones avec très peu de texte et surtout des dessins.
Je trouve également que l’image est un très bon support pour huiler la transmission d’un scénario et donc j’illustre mes scénarios en arborescence à la manière de plans de donjons même que sont des aventures très différentes de donjon, considérant qu’on peut faire communiquer entre elles pas uniquement des scènes reliées topographiquement mais aussi des scènes reliées causalement.

Avec Biomasse, je propose des scénarios très atypiques puisque que ce sont des éventails de situations et non des scènes qui sont reliées entre elles par des liens causaux. Je peux résumer cette arborescence par un schéma ou une table des matières, mais il est bien plus facile de se représenter l’éventail des possibles avec un résumé illustré, surtout quand on joue sans MJ (une des options de Biomasse).
Le rôle de l’image est également de transmettre ce qui est ineffable par le texte, c’est notamment ainsi que je pense mes photomontages pour mes jeux. Ces collages oniriques ne cherchent pas à reproduire ce que le texte décrit déjà, mais à transmettre une ambiance, au même titre que le ferait une musique.
Portez-vous un intérêt à la mise en page, à la typographie et/ou à l’illustration ? Comment envisagez-vous ces aspects du livre ? Avez-vous déjà travaillé la mise en page, la typographie ou l’illustration en même temps de la conception du jeu ? Comment ?
[J’ai fusionné les questions 6 et 7]
Pas trop parce que souvent l’illustration et la mise en page viennent après.
Ceci dit, j’ai souvent prêté un soin à la typographie qui intervient assez tôt dans le processus d’écriture, dès l’étape du deuxième jet. C’est avec Marchebranche qu’elle trouve son expression la plus aboutie, avec un jeu sur le choix des polices (les polices de titres étant reprises dans le corps de texte lors des nombreux renvois à des chapitres ou des sections) et de leur taille, des pictogrammes, l’emploi de puces illustrées (des petites feuilles dans le cas de Marchebranche, qui ont été souvent remplacées par des petits dessins dans la maquette finale).
Dans Marchebranche et a fortiori dans Inflorenza, j’ai aussi travaillé certains textes de conseils ou d’ambiance pour qu’ils tiennent en une seule page, ce qui permet une certaine élégance.
Enfin, je privilégie autant que possible le format A5, en évitant les colonnes et les encadrés, des procédés qui à mes yeux fractionnent la lecture et donc nuisent à la fluidité.
Pour améliorer le didactisme de Marchebranche, je me suis inspiré de la méthode Cornell. Il s’agit d’un système de prise de notes pour les cours. Dans la marge de gauche, vous rajoutez des exercices pour tester votre mémorisation. Dans le pied de page, vous résumez les idées fortes de la page. Dans Marchebranche, il y a un exemple par règle (dans une couleur différente) et à la fin de chaque chapitre, il y a « les trois lois du monde », ce qui résume les trois idées fortes du chapitre.
Comment envisagez-vous la nécessité de matériel ludique (pions, cartes, dés etc.) ? La nécessité d’un livre est-elle discutée ?
Parfois la présence de matériel découle de contraintes de design : par exemple j’ai créé le jeu S’échapper des Faubourgs en participant au concours Game Chef 2013 qui consistait à utiliser des icônes et je m’en suis notamment resservi pour créer un plateau et des pions sur lesquels on peut écrire car ils représentent des choses différentes selon les tables. J’avais aussi utilisé un morceau d’une icône pour créer une rose des vents pliable qui servait à suivre l’éventail des actions possibles en fonction de l’usure des PJ.
(crédits des images source pour le matériel de S’échapper des Faubourgs : lorc, cc-by)
L’usage de matériel permet également d’augmenter l’impact de certaines interactions. Ainsi, dans Le Témoignage, on peut prendre un jeton d’une réserve commune et le donner à un PJ qui semble avoir progressé dans son parcours émotionnel.
Je n’ai jamais trop travaillé sur l’esthétique du matériel mais bien d’autres l’ont fait, comme La vie de l’absent qui mécanise l’émotion par un don de coquillages.
Je suis très favorable à l’emploi de cartes car c’est plus directement mobilisable par toute la table, contrairement à un livre ou une aide de jeu. C’est pour cela que mes jeux Nervure et L’Ensourcellement sont sous forme de jeu de cartes. Qu’on y joue avec ou sans MJ, il faut que chaque jouaire puisse piocher de façon fluide dans le jeu de cartes. Pareil avec les fiches inspirations pour L’Almanach et les fiches inspirations pour Little Hô Chi Minh Ville.
L’emploi de dés personnalisés a bien sûr aussi un rôle dans le didactisme et l’immersion comme par exemple avec la gamme Star Wars FFG parue en français chez Edge. J’avoue m’être assez peu penché sur la personnalisation, en revanche comme d’autres je réfléchis beaucoup au nombre de dés qu’on lance, à quelle fréquence, comment on les manipule, leur granularité…
Pour aller plus loin : [Article + Podcast] Thomas Munier, Ce qu’on ressent en lançant les dés, sur Outsider
Ces aides de jeu viennent souvent en complément du livre mais en effet l’emploi du livre est parfois questionné. Il n’a de pertinence que s’il est le meilleur support. Parfois, il représente une formule par défaut à laquelle d’autres peuvent se substituer : plusieurs de mes jeux sont présents aussi sous forme audio ou sous forme d’émulateurs de MJ numériques comme par exemple Les Forêts Limbiques.
Parfois le livre est un point de départ (après lecture, il est possible de transmettre Inflorenza Minima oralement après lecture, du moins ses fondamentaux).
Il faut noter que ces audaces en termes de support me sont essentiellement permises par le fait que je concède de ne gagner que peu ou pas d’argent sur les jeux évoqués.
Parfois le livre et le support alternatif. Ainsi le livre de Biomasse (en développement) propose de choisir dans des listes alors que sa version appli procède à des tirages aléatoires dans ces listes. La navigation hypertexte est cependant plus fluide dans l’appli et c’est pour ce genre de raisons (et pour d’autres) qu’on peut également préférer au livre le format PDF.
Quelles sont, pour vous, les meilleures associations de game design et de conception graphique en JdR ?
Je pense assez rapidement à Laborinthus qui est pour ainsi dire autant un jeu de rôle qu’un objet d’art, avec un format haut très atypique, papier broché, lettres d’or, une très belle matrice de résolution, un scénario émaillés de photogrammes que les jouaires doivent interpréter en introduction de chaque scène (avec des notes pour MJ au verso) et des cartes de monstres au dessin suggestif laissant encore une fois la part belle à l’interprétation.
Je ne suis pourtant pas tout à fait client, en tant que précaire et en tant que minimaliste. Laborinthus, à sa sortie, était un jeu très cher pour pouvoir jouer une seule partie. Je pense qu’on va voir apparaître de plus en plus de scénarios-jeux richement dotés en matériel, sur le modèle des escape games comme Unlock !
Alice is missing ou The Zone en sont de bons exemples : très beaux jeux, concept très abouti, mais d’une re-jouabilité assez faible.
Je m’oriente plutôt de mon côté sur des jeux de cartes illustrés qui placent la re-jouabilité au cœur de leur concept. Les portraits de personnages au recto ainsi que les prompts à haut potentiel ludique au verso ont une grande versatilité : chacun peut être rejoué et recombiné d’une façon et en choisissant de faire cohabiter jusqu’à 12 catégories de prompts par carte (sur le modèle de Muses et Oracles), je peux faire tenir un millier de prompts dans un paquet de 150 cartes, ce qui rend le jeu beaucoup plus re-jouable que par exemple un Pour la Reine qui compte moins de 50 prompts.










Bon, j’avais dit que je ne pondrais plus d’article de théorie, mais bon ce copieux entretien en fait un peu office… °:)
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