Le bronze et le mandala

Quelle trace notre créativité doit-elle laisser sur le monde ? Combien de temps nos créations doivent-elle durer ? Doivent-elles nous survivre ?

Doit-on sculpter du bronze – une des créations humaines les plus pérennes dans le temps – ou dessiner des mandalas – des dessins de sable qu’on détruit sitôt terminés – ?

Que doit-on faire de nos créations ? Doit-on les exposer chez soi ou les diffuser à travers le monde ?

Ce sont deux questions en une.

La première est : à quel point voulons-nous peser sur le monde ? Combien de temps notre création sera-t-elle un bienfait et combien de temps sera-t-elle un déchet ?*

La deuxième est la suivante : qu’est-ce qui importe pour nous ? Notre créativité ou notre création ?

Le mandala propose de se plonger corps et âme dans l’acte de créativité. C’est une expérience de pleine conscience, un moment où l’on vit dans la réalité de l’instant présent. Dans le mandala, l’acte final n’a aucune importance. Ce qui importe, c’est l’acte de créer, de s’exprimer, d’être soi-même et d’être inclus dans le monde.

Ce mandala nous apprend que le but peut être ailleurs que dans la création. La fin est loin de toujours justifier les moyens. Doit-on s’acharner à obtenir une œuvre si l’acte de créativité est non-conforme à nos valeurs, si l’acte de créativité n’est qu’une longue série de souffrances ?

Quand l’architecte Antoni Gaudi travaille à la conception de la Basilique de la Sagrada Familia, alors que les fonds viennent à manquer, il prend deux décisions : renoncer à son salaire et consacrer le restant de ses jours à la Basilique. Mais à ce moment-là, il ne peut être concentré sur la fin : il pense que les travaux ne seront achevés que deux-cent ans après sa mort. Il choisit de se consacrer corps et âme à une activité dont il ne verra jamais l’achèvement, mais qui correspond totalement à ses valeurs.

Qu’on dessine un mandala ou qu’on sculpte du bronze, on peut toujours entrer en pleine conscience, on peut toujours faire le choix de se concentrer sur les moyens et non sur la fin.

Une fois notre création achevée, nous pouvons avoir quelques scrupules à la détruire comme l’on fait d’un mandala. Dans notre programme personnel de transformation du monde, il est peut-être prévu que cette création perdure. Dans ce cas-là, c’est à nous de voir quelles mesures nous allons prendre pour la conserver : allons-nous la figer ou permettre sa modification ultérieure par nous-même ou les autres ? Allons-nous la garder comme un trésor secret ou là faire connaître au plus grand nombre ?

Mais une chose est à retenir : nous ne sommes pas nos créations.

Créer, et aboutir des créations engendrent un sentiment de fierté légitime : nous gagnons tous à être fiers de nous exprimer et d’être fiers de nous-même. Mais évitons de croire que nos réalisations et nos mérites passés puissent nous satisfaire bien longtemps. Une fois abouties, nos créations ne font plus partie de nous. Nous ne les possédons plus et elles ne nous définissent plus.

Les gratifications réelles sont différentes. Elles consistent à apprécier la transformation que nous avons opérée sur le monde. Comme une nouvelle expérience. Et recommencer à créer.

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