Faut-il faire les choses vite ou prendre son temps ? N’y a-t-il pas une voie médiane qui allie l’énergie de l’enthousiasme à la sérénité du temps long ?
L’enthousiasme est un moteur puissant. Quand un nouveau projet nous vient en tête, la motivation est à son pinacle.
Avec Making Things Fast, Leila Johnston préconise de mobiliser cette énergie tant qu’elle est encore là. Quand cette nouvelle idée émerge, on lâche ce qu’on est en train de faire, on se consacre à fond à la nouvelle idée jusqu’à ce que l’oeuvre soit aboutie. Cela implique de livrer des œuvres brutes, ou minimales, encore vibrantes de l’énergie qui leur a donné jour. Cela permet de cultiver les états de haute énergie, de travailler vite, de produire beaucoup.
The Cult of Done Manifesto va encore plus loin : si dans la semaine qui suit l’idée, on ne trouve pas l’occasion de la réaliser, alors il faut l’abandonner. Une sélection darwinienne, pour une créativité entièrement basée sur l’enthousiasme.
Faire ce que l’on aime est l’essence de la créativité. Cette approche a ses vertus. Mais elle implique de se garder libre de tout engagement, pour pouvoir lâcher tout projet en stagnation au profit d’un nouveau projet qui monopolise soudain notre enthousiasme. Ou de ménager des temps dédiés à ces projets qui sont des urgences de cœur. Ce n’est pas toujours possible : nous avons des obligations, et notre corps a ces limites ! Cette logique de « dernier arrivé, premier servi » peut conduire à une fuite avant. La beauté et le problème des idées : on ne peut pas programmer leur fréquence. Et si une nouvelle idée vient interrompre la réalisation de notre projet rapide ? Et si on se condamne à créer à toute vitesse, sans reprendre son souffle ? Et si ces nouvelles idées ne sont pas si géniales ? Ne perd-on pas son temps à se jeter corps et âme dans chaque nouvelle lubie ? Et si on se retrouve avec une armée d’œuvres mortes-nées ? Bien sûr, une œuvre n’est jamais terminée, mais est-on encore créatif si l’on est dans un perpétuel commencement ? Les carnets de croquis de Léonard de Vinci apportent une réponse. La patience de la Joconde également.
A l’opposé, se trouve la logique « premier arrivé, dernier servi ». Une méthode de bon élève qui consiste à finir ce qu’on a commencé avant de se mettre à autre chose. Cela relève du même esprit de précrastination que l’approche précédente ! Mais si la première approche est basée sur l’énergie, la deuxième est basée sur l’engagement. Quand on a une idée, on s’engage, envers soi ou envers un tiers, à la mener à bout, et on s’y tient. Cette approche nécessite (ou nourrit) une grande rigueur, elle implique également d’œuvrer à contre-courant de notre énergie, et met à mal notre motivation. Si nous nous interdisons de changer de projet quand celui en cours nous épuise, nous risquons fort de nous brûler, et l’arrêt forcé sera bien plus brutal que l’arrêt négocié. Et à trop respecter ses engagements, nous nous mettons au service de la personne que nous étions dans le passé, nous nous consacrons encore et toujours à des projets pour lesquels nous avons perdu tout intérêt depuis longtemps, et nous laissons sombrer toutes les idées fraîches dans l’oubli.
Il existe une voie médiane. Une voie à la fois basée sur l’énergie et l’engagement. Quand une nouvelle idée d’œuvre émerge, au lieu de nous consacrer aussitôt à sa réalisation, nous pouvons nous contenter de laisser cette idée se développer dans notre tête, dans toute sa variété, et de prendre des notes. Notons toutes les ramifications de l’idée, même les plus absurdes. Préparons la réalisation en notant des choses à faire, une foule de choses à faire, ou au minimum la première chose à faire. Prenons un engagement : celui de réaliser cette oeuvre, un jour, peut-être. Nous pouvons prendre un engagement plus solide. Il suffit de parler de notre projet autour de nous, ou de trouver un partenaire, ou de prendre un engagement public. En sachant toutefois que la somme de nos engagements dépassera toujours la somme du temps qui nous est imparti sur cette terre. Les engagements les plus fermes doivent être rares et prudents, et tous les autres doivent être ouverts à la renégociation.
La collecte des idées directrices représente 5% du temps de réalisation, mais en constitue bien 95% de l’essence. Prendre des notes, noter TOUTES nos idées, une à trois heures par semaine, fractionnées en petites fulgurances suffisent à poser les bases d’un empire créatif. La réalisation viendra en son temps. Elle est affaire de patience. Elle est affaire de lâcher prise, de s’immerger dans l’acte créatif, même quand il est monotone, que l’aboutissement peine à pointer le bout de son nez. C’est cette monotonie même, cette patience qui nous apportera nos vraies joies créatives. Savoir alterner les projets au gré des envies, mais ne pas tuer tous ses enfants. Se consacrer au métier, remettre de côté, archiver, relire ses notes, maturer, fusionner, transformer les projets, revenir à l’ouvrage, encore et encore.
Cette lenteur est la beauté et la vérité du métier.
Difficile de cerner le « bon moment » pour passer à la réalisation d’une idée, il y a toujours une part d’irrationnel dans la décision. Parfois, une idée peut se présenter « toute prête », elle est parfaite et sa réalisation s’impose comme une évidence, voire une urgence. D’autres idées sont plus complexes, elles ont besoin de mûrir, et, va savoir pourquoi, ça se sent. En tout cas, c’est ce qui m’arrive et j’ai mis du temps à me rendre compte de ça, le coup du « bon moment ». Cela m’a permis de relativiser ma frustration devant la lenteur de ma progression !
J’aimeJ’aime
C’est sans doute pour cela qu’on ne peut pas employer une des deux approches systématiquement. C’est important de suivre son cœur.
J’aimeJ’aime