Et si ?

Et si mon entourage m’avait encouragé à m’orienter tout de suite vers une carrière d’auteur ?

Et si je n’avais pas fait des études scientifiques ?

Et si j’avais trouvé un éditeur pour mon premier roman ?

Je me pose souvent ces questions. Ça a fait l’objet d’une révolte, d’une dépression, d’une thérapie. Vous êtes beaucoup à vous poser des questions similaires.

Jusqu’à présent, je ne cherchais pas à donner des réponses à ces questions. Je constatais juste que j’avais été mal orienté, que j’avais fait les pires choix possibles.

Je commence seulement à réaliser ma vocation d’auteur en seconde, première, date à laquelle j’écris mon premier roman. Cette vocation devient vraiment brûlante en terminale. Mais aucun éditeur n’a répondu à mes courriers. Mon entourage ne m’incite pas à sauter le pas. Et en bon petit soldat premier de ma classe, j’obtiens la mention très bien au Bac S. Je me tire une balle dans le pied en visant comme un pro.

Je choisis d’intégrer une classe préparatoire aux écoles d’ingénieur. Un choix de raison, que je maquille en choix du cœur pour tromper ma famille comme moi-même. Mais qu’aurais-je pu faire d’autre ? Les diplômes d’écriture créative ou de game design n’existaient pas à l’époque. Aurais-je dû faire des études littéraires comme telle était ma préférence ? Mais ça n’aurait pas favorisé ma carrière d’auteur. Tout au plus aurais-je fini prof ou documentaliste au lieu d’ingénieur. Aurais-je pu y faire des rencontres cruciales pour mon art ? Lors de mon cursus scientifique, j’ai continué à écrire et à faire des rencontres inspirantes. Mon écriture a seulement gagné un cachet différent. Cela a renforcé mon côté autodidacte de l’écriture, une valeur que je revendique aujourd’hui farouchement.

Si j’avais été édité dès le lycée ? Croyez-moi, ça a failli arriver, puisqu’un an après avoir reçu mon manuscrit, les éditions Nestiveqnen m’ont renvoyé un avis favorable sous réserve de réécriture. Je n’avais pas donné suite parce que j’étais passé à autre chose, et il faut bien le dire, je n’avais pas l’énergie pour un fastidieux travail de réécriture au beau milieu de ma classe prépa. Travail tellement fastidieux que je ne l’ai toujours pas entrepris à ce jour, laissant mon premier roman en friche. Si j’avais été édité, j’aurais fait quelques salons, touché 200 à 500 euros de droits d’auteur. Et alors ? Le boulot était loin d’être terminé ! À dix-huit ans, je n’avais ni la maturité ni l’acharnement pour durer dans le métier ingrat d’auteur édité. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avancer beaucoup plus vite en tant qu’auteur indépendant. Si je ne ferme pas la porte aux éditeurs pour certains projets en dehors du jeu de rôle, à un euro de droit d’auteur l’exemplaire, ce sera de la publicité, des rencontres, de l’argent de poche, mais ma source principale de revenu sera ailleurs.

Ce n’est pas tout. Si j’avais été romancier à plein temps, j’aurais peut-être rencontré l’ennui. Après tout, je n’écris quasiment plus que du jeu de rôle depuis sept ans. Si je remonte à mon enfance, j’ai été bien plus game designer qu’écrivain. Cette passion pour la conception de jeu de rôle, selon moi un art complet, il m’a fallu attendre l’âge de 24 ans pour la découvrir.

Et encore ? Qui sait si dans dix ans, j’aurai toujours envie d’écrire des jeux de rôle et des romans ? Je voudrai peut-être écrire sur d’autres supports, ou peut-être faire quelque chose de complètement différent.

Supposons qu’on m’ait donné à l’adolescence toute permission pour faire ce que je voulais ? Supposons même que la société m’ait attribué un revenu de base pour gagner ma vie malgré les difficultés économiques d’une activité d’auteur, est-ce que j’aurais persévéré ? Ne serait-ce pas devenu une routine tout aussi pénible que ma routine actuelle d’ingénieur agronome ? Plié toute la journée sur mon traitement de texte, n’aurais-je pas souffert d’une mortelle solitude ? Aujourd’hui, la personne que je suis serait comblée de créer à plein temps, tant que je peux échanger avec des gens. Mais celle que j’étais à 15 ans, à 20 ans, à 25 ans ? J’ai connu deux périodes de chômage d’un an. J’y ai été très peu productif sur le plan de l’écriture. Je me sentais déchiré entre ma vocation d’écrivain et mon rôle d’ingénieur au chômage, je me disais que mon état d’esprit aurait été différent avec un blanc-seing de la société pour écrire au lieu de rechercher un emploi, mais est-ce que ça excuse tout ? Je n’étais tout simplement pas capable de gérer ce don.

J’ai passé une bonne partie de ma vie à me lamenter sur le passé, à regretter d’avoir pris les mauvaises routes. La vérité ? Rien ne me prouve que ces routes étaient meilleures.

La vérité, c’est que le passé n’existe pas.

Tous ces mauvais choix font partie du passé. Aujourd’hui, ils n’existent plus. En ce moment précis, je suis en train de taper cet article, je suis en train de faire ce pourquoi je pense être venu au monde. J’échange avec vous. Je n’ai aucune raison de briser ce moment en ruminant des scénarios de vies meilleures qui n’arriveront plus jamais. Ce qui compte, c’est cette vie meilleure de maintenant, c’est la vie meilleure de demain que je construis aujourd’hui, en agissant là ou je peux agir, plutôt que de me morfondre à contempler des illusions.

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