Cultive le non-agir

C’est une phrase de Lao-Tseu dans le Tao-Te-King, répétée à plusieurs reprises dans le livre.

Pour moi qui travaille en continu, cette phrase peut paraître inintelligible. Je vais néanmoins essayer de voir les enseignements que je peux en tirer, et comment la mettre en pratique. C’est une question à qui il faudra toute l’histoire de l’humanité pour répondre. Mais dans la mesure où c’est une question à laquelle chacun devrait s’atteler, je suis aussi légitime qu’un autre pour y répondre à mon échelle. En l’occurrence, pour vous être utile, j’aimerais surtout la traiter sous l’angle de la créativité. Non pas en tant qu’activité ponctuelle mais en tant que mode de vie permanent. Nous avons vu comment et pourquoi cesser d’agir inutilement, nous allons voir quand, comment et pourquoi cesser d’agir tout court.

M’arrive-t-il de pratiquer le non-agir ? Quels en sont alors les bénéfices ? Inventaire.

+ Méditer. Je l’ai pratiqué de 5 à 30 minutes par jour pendant 6 mois. En position du lotus, dans le silence. J’en ai mesuré les bénéfices quand, quelques mois après avoir arrêté, j’ai vu mon stress et ma crispation physique retrouver le niveau qu’ils avaient avant de commencer la méditation.
+ Dormir. J’ai arrêté ma demi-heure quotidienne de sieste à peu près en même temps que la méditation, et je suis passé de 8-9 H de sommeil à 8 H de sommeil. Je constate aussi que cette réduction du temps de sommeil m’a permis de gagner un peu en productivité et de perdre beaucoup en énergie. Je crois que dormir peu permet d’être fonctionnel. Dormir bien permet d’avoir de l’énergie. Dormir beaucoup permet d’être serein.
+ Conduire, prendre sa douche, marcher, faire du vélo d’appartement, faire le ménage. Tout un tas d’actions qui semblent un gaspillage de temps. J’essaye maintenant de le faire en pleine conscience, sans trop occuper mon esprit par de la musique ou de la lecture. Ceci me permet de découvrir de minuscules détails dans mon environnement auxquels je n’avais jamais prêté attention, de diminuer mon rythme cardiaque, et de faire remonter de nouvelles idées à la surface. Je suis persuadé que la plupart de nos idées surviennent dans ces moments d’actions neutres, des actions qu’on peut faire en pilote automatique et qui laissent notre pensée libre.
+ Se relaxer. Autant j’ai arrêté la méditation classique, autant je m’applique, dès que je suis inactif (passager en voiture, dans une salle d’attente, en réunion, chez des amis…), à détendre chacun de mes muscles jusqu’à devenir littéralement tout mou. Cinq minutes dans cet état suffisent à ressentir du bien-être.
+ Écouter. En tant qu’auteur, j’ai tout le temps envie de parler, et surtout de mes créations. J’évite de céder à ce désir, maintenant. Quand j’y parviens, je parle le moins possible, j’écoute mes vis-à-vis en faisant consciemment l’effort de leur sourire, de prêter attention à ce qu’ils disent, et de montrer mon empathie par des signes d’acquiescement, des paraphrases de reformulation, des questions. J’ai découvert très récemment que ça m’était bénéfique même si le sujet de la conversation ne m’intéressait pas. En tant qu’auteur, recueillir une gamme d’expériences sur tous les sujets finit toujours par être utile. Je n’ai pas assez de place ici pour vous parler des bénéfices humains.
+ Lâcher prise. Le principe de l’action permanente est pervers au point que je tâchais de remplir chaque seconde de mon emploi du temps. Cela allait de combler chaque minute de « temps blanc » avec un livre, à zapper d’un logiciel à l’autre sur mon ordinateur dès qu’il y avait du temps de calcul, à prendre des notes sur mon téléphone entre deux phrases de mon interlocuteur, à consulter internet partout, tout le temps. Je suis heureux de vous dire que j’ai fait beaucoup de progrès en la matière. Je ne trouve plus insupportable l’idée d’être inactif pendant une minute. Je la prends comme une chance pour observer mon environnement, développer mes réflexions, respirer et mieux irriguer mon cerveau, agir moins vite, faire baisser mon niveau de stress.
+ Agir moins vite. Je me lève un peu plus tôt pour ne pas prendre mon petit-déjeuner en trombe. J’ai perdu deux kilos en deux semaines depuis que je mange un peu plus lentement et consciemment. Mon esprit fonctionne mieux pendant ces moments-là qui étaient des moments perdus auparavant. Je travaille moins vite.
+ Mettre un projet en stand-by. J’ai souvent travaillé sur 5 ou 6 projets de front. J’ai essayé de me limiter à trois. J’essaye maintenant de me limiter à 1 ou 2.
+ Vivre sans objectif. Je me suis longtemps basé sur des objectifs chiffrés ou des deadline ou des déclencheurs. Vendre tant d’exemplaire par mois, publier un livre par mois, passer à temps plein à partir de telle somme épargnée ou à partir de tel évènement… J’ai arrêté car ça m’empêche d’être heureux, ça m’interdit d’être épanoui dans mon activité d’auteur, ça m’empêche d’être ouvert au changement.
+ Limiter sa communication. Je ne suis plus aussi attaché qu’avant à l’idée de mettre une news par jour sur Outsider Daily, ou à cumuler les articles invités. Je me laisse porter par l’idée que si je produis du grand contenu, on finira par s’intéresser à mon travail sans que j’ai besoin de crier mon existence sur tous les toits. C’est exactement ce qui se produit.
+ Limiter ses engagements. Se retirer d’engagements si les conditions nécessaires au bien agir ne sont pas remplies. Ne pas solliciter toutes les personnes qu’on aime pour travailler avec elle. Ne pas cumuler les engagements avec soi-même en remplissant sa liste d’actions de tâche sans portée et sans importance.

C’est tout pour aujourd’hui. Je suis à peu près certain d’avoir des progrès à faire. Je suis également certain d’en avoir déjà fait.

Cultiver le non-agir ne s’intègre pas dans le principe de l’action en continu, mais pourrait bien s’intégrer dans le principe de la créativité en continu. Vouloir créer en continu expose à la frustration quand justement on n’est pas en train de créer. Comprendre les bénéfices du non-agir sur la créativité et sur le bonheur, c’est accepter les temps d’inaction et même les rechercher pour leurs bénéfices. C’est espérer qu’il soit possible d’être épanoui quelque soit notre degré d’action.

6 commentaires sur “Cultive le non-agir

  1. merci pour tes articles Thomas, je t’assure qu’ils apportent des informations précieuses pour s’épanouir véritablement et faire la paix avec soi même, quand on a le sentiment de ne pas être assez « productif » ou d’être submerger par les choses que l’on veut réaliser. Merci encore

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    1. Merci ! Aucun moment n’a de valeur en soi, c’est à nous de définir la valeur qu’on lui donne. En attribuant la même valeur aux moments d’action et aux moments d’inaction, on se donne les moyens d’être serein. Je ne prétends pas que ça soit simple, ça impose notamment de se débarrasser de ses acquis culturels.

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  2. Bonsoir
    le non agir.
    Je le cultive 10 à 20 mns par jour.C’est ma façon de mediter.
    J’observe les images, les visages qui se forment dans mon cortex et surtout je laisse faire.Pas de jugement (bien/mal,bon/mauvais),donc aucune « reaction » pour corriger quoique ce soit.
    Je suis dans le courant de mon mental et c’est tout.j’observe et j’accepte tout ce qui se presente
    dans le moment present.

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    1. Super ! Alex, Merci de ton témoignage. en ce moment, j’essaye d’observer le monde extérieur sans jugement et sans trop prêter attention à mon mental. Ce que tu fais semble un peu l’inverse. Mais au final, j’imagine que çà participe de la même démarche. Peux-tu nous dire quels sont les bénéfices que tu as observés ?

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