Le droit à la créativité

Si l’on reconnaît que l’être humain dispose du droit d’expression, que l’expression est nécessaire à son bonheur, alors le droit à la créativité découle de ce droit d’expression.

 

Nous avons intérêt à laisser nos contemporains s’exprimer, quand bien même leurs idées nous paraîtraient stupides ou dangereuses. Même les personnes racistes devraient avoir le droit de s’exprimer. Ainsi, elles font part au monde de leur haine, et peut-être alors peut-on initier un dialogue avec elles, pour apaiser cette haine, peu à peu. Et quand bien même ces personnes ne changeraient jamais d’avis, au moins nous savons à quoi nous en tenir par rapport à elles.

Nous avons vu qu’une personne peut créer même dans des conditions extrêmes de privation de liberté. Pour autant, si l’on souhaite s’épanouir complètement dans la créativité, il nous faut d’abord satisfaire nos besoins primaires (nutrition, logement, sécurité), et il nous faut aussi du temps. Si les ressources nécessaires à assouvir nos besoins primaires nous proviennent d’une activité non-créatrice, si cette activité prend beaucoup de temps, alors il ne nous reste plus assez de temps pour créer. Si au contraire, nous consacrons beaucoup de temps à la créativité, mais que celle-ci est incapable de satisfaire à nos besoins primaires, alors les conditions ne sont plus réunies pour s’exprimer en toute liberté.

En cela, le droit à la créativité est lié au droit à la dignité.

Tout être humain devrait disposer des ressources vitales, sans qu’il lui soit pour cela demandé aucune condition. Donc tout être humain devrait avoir accès à un revenu inconditionnel de base.

Dans certains pays, les personnes sans emploi bénéficient d’allocations qui leur permettent de satisfaire leurs besoins primaires, mais elles sont conditionnelles. La personne doit par exemple prouver qu’elle est à la recherche d’un emploi (que celui-ci soit créatif ou non), qu’elle vit avec un handicap ou une maladie, ou qu’elle prépare un projet artistique. Ces allocations sont loin d’avoir le même effet libérateur que le revenu inconditionnel de base. Les personnes qui bénéficient de ces allocations conditionnelles disposent certes d’un temps libre pour créer, mais l’État qui verse ces allocations est loin de rendre cette activité légitime : en quelque sorte, quand nous profitons de notre temps libre pour créer alors qu’on perçoit ces allocations conditionnelles, nous avons le sentiment d’être un usurpateur. Je l’ai personnellement vécu quand j’étais demandeur d’emploi, et je me suis beaucoup interdit de créer pendant ces périodes.

Si un État versait à chaque citoyen un revenu inconditionnel de base, il autoriserait implicitement chaque personne à disposer de son temps comme elle l’entend, pour être créative ou non.

La créativité est un droit et non un devoir.

Une allocation conditionnée à une activité créative est loin de répondre au droit à la créativité. Quand l’État nous verse une allocation parce que nous avons un projet artistique, il nous impose de maintenir un cap, il peut nous demander des comptes sur notre activité artistique, il peut nous demander des « preuves », et par conséquent nous pousser à nous entêter dans des projets qui ne nous correspondent plus, ce qui revient à ne plus s’exprimer.

En finançant le temps artistique, l’État est loin de financer le temps créatif. Une activité peut être artistique sans être créative, une activité peut être créative sans être artistique.

Supposons que L’État reconnaisse tout type d’œuvres comme fruit de la créativité, du bricolage à la musique, d’élever ses enfants à construire des ponts. Supposons qu’il alloue une allocation conditionnée à une activité créative, comment apporter des preuves de ce qui est par essence une activité hautement subjective et personnelle ? Si l’on passe un mois à chercher l’inspiration sans produire aucune œuvre, méritera-t-on son allocation ?

En supprimant la notion de contrôle, le revenu inconditionnel de base rend ces questions caduques.

Mais serait-il juste de laisser des personnes bénéficiaires du revenu inconditionnel de base être non-créatives ? Mérite-t-on de toucher le revenu inconditionnel de base si l’on passe tout son temps à boire des bières ?

Quatre réponses à cela :

1° La notion de créativité est tellement subjective qu’il est impossible à une personne extérieure de juger de la créativité d’autrui.

Tout le monde est créatif.

3° Même une personne dans le coma participe au monde et à l’humanité, par sa dépendance, par le courage et les questions morales qu’elle nous oblige à déployer.

4° Le revenu inconditionnel de base propose de disposer de son droit à la créativité sans imposer d’être créatif.

La créativité est un droit et non un devoir. Le revenu inconditionnel de base est avant tout un respect du droit à la dignité. Il propose à chaque personne de pratiquer l’activité de son choix car il la libère de la nécessité de dégager du temps et des ressources pour subvenir à ses besoins primaires. En cela, le revenu inconditionnel de base laisse à chaque personne le pouvoir de choisir de mener une activité créative.

En l’absence du revenu inconditionnel de base, à chaque personne de voir comment subvenir à ses besoins primaires tout en pratiquant une activité créative :

+ On peut choisir de pratiquer une activité non-créative à temps partiel qui permettrait de financer ses besoins primaires.

+ On peut choisir de pratiquer une activité créative qui finance ses besoins primaires.

+ On peut choisir de subvenir à ses besoins primaires sans dépenser d’argent, par échange de service sans dépenser d’argent, par échange de service ou en faisant appel à la générosité d’un proche ou d’un mécène.

A chacun de nous d’utiliser notre créativité pour trouver une solution. Et pour garantir le droit à la créativité des autres, abstenons-nous de juger la façon dont ils occupent leur temps.