Les origines du jargon rôliste
Cet article a été initialement publié sur le défunt forum des Ateliers Imaginaires
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Will Taylor, cc-by-nc-nd
À mon sens, la priorité en théorie, c’est de faire des concepts.
Après, il faut les transmettre par le langage, et c’est là où les choses se compliquent. Les théoriciens ont plusieurs options sémantiques, quand il s’agit de nommer leurs concepts :
+ prendre un terme issu d’un autre média que le jeu de rôle (scénario,histoire…) pour désigner un concept qui diffère parce qu’on est dans un média différent (un scénario de jeu de rôle, c’est très différent d’un scénario de cinéma, parce que le premier prend en compte l’émergence et non le second, chose pour laquelle certains théoriciens refusent d’employer le terme « scénario »).
+ prendre un terme de langage courant (ambiance, aventure, factions, immersion, morale/tactique…) et l’utiliser pour désigner la même chose : à mon sens c’est la meilleure position parce que tu te peux te faire comprendre de la majorité, même si des fois tu es obligé de redécouper (immersion ça reste très large comme concept, il faut redécouper)
+ prendre un terme de langage courant (synesthésie, maelstrom) et l’utiliser dans un sens différent. C’est casse-gueule parce que tu introduis un contresens (la synesthésie en jeu de rôle telle que théorisée par Frédéric Sintes, ça n’est pas la synesthésie biologique, il aurait fallu lui préférer le terme synchresthésie, mais qui est encore moins courant que synesthésie ;).
+ prendre les termes des copains et les assembler pour le besoin de ses concepts : c’est plus ou moins ce que je fais dans les deux derniers podcasts. L’inconvénient, c’est que si les termes des copains sont flous, l’assemblage est flou, et que si toi-même tu assembles des concepts en les comprenant différemment que l’auteur qui les a énoncés, c’est ultra-casse-gueule : tu pars d’une volonté d’être consensuel et finalement plus personne te comprend (et des fois, je me casse la gueule, surtout que comme je suis un gros prétentieux, il m’arrive d’aller trouver les théoriciens pour leur expliquer qu’ils n’ont pas compris leur propre concept).
+ prendre des termes techniques du langage courant rôliste et les manipuler dans ces concept (roleplay, scénario, immersion…). Le défaut : ces termes seraient galvaudés ou trop larges.
+ créer des néologismes en prenant un terme qui pourrait définir toutes les pratiques de jeu de rôle mais qui en fait s’applique à une pratique extrême (narration partagée pour dire « jeux à partage large des responsabilités », jeu de rôle social pour dire « jeux de rôles qui mettent l’accent sur la relation sociale entre joueurs). C’est une pratique risquée car elle est confusante et clivante :
Pour aller plus loin :
Paul Imert, Que peut-on partager ?, sur Rolistologie
+ créer des néologismes qui sont des assemblages de termes courants, de telle sorte à ce que le mot contienne sa propre définition : « schémas d’évolutivité narrative » pour dire « scénario », « jeux à partage large des responsabilités » pour dire « jeux sans MJ », « contenu fictionnel malléable » pour dire « imaginaire partagé »… Le problème, c’est que ça sonne pédant, et c’est difficile à manipuler.
+ créer des néologismes qui sont des mots-valises. Narrativiste, c’est un mot-valise, plus ou moins. Le problème c’est que ça induit des confusions avec les mots de mêmes racines (jeu narrativiste = confusion avec jeu narratif (dans le sens jeu où on crée de l’imaginaire), lui-même confondu avec le jeu en freeform structuré, cad le jeu avec peu de chiffres, de règles, de hasard.
+ créer de purs néologismes, c’est-à-dire des mots inventés ex-nihilo (jeepform pour désigner le GN expérimental).
Dans l’absolu, pour moi on est toujours dans une impasse : le langage des mots a pour mérite de pouvoir couvrir l’ensemble du réel et de l’imaginaire, il a pour défaut d’être soumis à l’interprétation, donc par conséquent rendre l’expérience intime ineffable (même si j’ai pointé à mon sens, deux solutions préférables : prendre des termes du langage courant, et des termes du langage courant rôliste), le dialogue théorique reste alors réservé à des élites suffisamment instruites et bienveillantes pour pouvoir communiquer entre elles et manipuler un langage commun (et c’est chaud, parce que certains théoriciens se boudent entre eux et refusent d’utiliser les termes des autres, donc même entre théoriciens on arrive souvent à des dialogues de sourds).
Quelque part, devrait-on employer un langage mathématique ? Il a l’avantage d’être bien moins soumis à l’interprétation, et le défaut quand on l’emploie pour chercher à définir des concepts, de nous renvoyer vers une modélisation à outrance.
