N.B : Cet article avait été initialement publié sur Le Site de l’Elfe Noir
J’apprécie énormément la théorie rôliste. Sans des sites francophones tels que Limbic Systems, Du bruit derrière le paravent ou Places to go, people to be, je n’aurais pas été capable d’écrire des jeux.
Il me semble que pour bien utiliser la théorie rôliste, il faut prendre garde à ne pas suivre certains énoncés au pied de la lettre.
Ainsi, l’application irréfléchie du « system does matter » de Ron Edwards, pilier de la théorie, peut prêter à certains abus.
Penser que le système est important, c’est penser que la façon dont on écrit un jeu influe sur sa pratique. Ergo, si on formule un propos pour son jeu et un système qui le soutienne, on s’assure que le propos soit présent à chaque séance de son jeu.
On étudie alors chaque élément du système pour servir le propos du jeu. Le risque est de sacraliser son propos au point d’accumuler les mécaniques qui le soutiennent. Cela peut engendrer des usines à gaz ou restreindre les libertés de choix du joueur jusqu’à créer des problèmes de positionnement.
On risque également de standardiser les séances de jeu au point que toutes se ressemblent et que le jeu perde en rejouabilité.
Trop blinder son système, c’est enfin manquer de confiance en les joueurs. Contrairement à un jeu de plateau, un jeu de rôle est incomplet par nature, comme l’explique Olivier Caïra dans Les Forges de la Fiction. Le livre de jeu de rôle dit un potentiel de fiction, ce sont les joueurs qui disent la fiction. Ils la bâtissent dans les trous que laisse le livre. Un système trop précis ne laisse plus assez de trous pour laisser s’exprimer les joueurs.
Quand on applique le system does matter au pied de la lettre, on peut aussi vouloir inciter les joueurs à pratiquer le jeu by the book, c’est-à-dire en respectant chaque règle à la lettre. C’est penser que les joueurs sont incapables de modifier un jeu de rôle sans en respecter le propos. C’est penser que les joueurs n’ont pas le droit d’utiliser une partie du jeu en se débarrassant du propos. C’est s’interdire soi-même de proposer des variantes à son jeu, qui proposeraient de servir le même propos en s’adressant à des publics différents. C’est enfin croire qu’un jeu se limite à la fiction et à la mécanique, et ignorer l’interpersonnel qui met de l’huile dans les rouages.
Je suis d’accord qu’en phase d’écriture d’un jeu, playtester by the book est crucial. J’apprécie qu’un auteur me dise qu’il a mesuré ainsi la fiabilité de ses règles. J’apprécie qu’il me mette en garde contre telle ou telle adaptation. Mais j’apprécie aussi qu’il me fasse confiance pour m’approprier son propos et son système.
Créer des liens faibles entre son système et son propos aboutit à un jeu élégant, organique. Créer des liens forts aboutit à un jeu lourd, dictatorial.
Je ne prétends pas que le système n’est pas important. Je prétends que cet axiome ne doit pas pousser un auteur de jeu à sacrifier la fluidité.
