[Millevaux] Une lecture du jeu de rôle Summerland à l’attention des personnes qui explorent Millevaux

[Millevaux] Une lecture du jeu de rôle Summerland à l’attention des personnes qui explorent Millevaux

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Summerland de Greg Saunders est un jeu de rôle publié en anglais en 2008, puis traduit et publié en français en 2010 par les éditions Icare.

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Ce que j’ai aimé :

+ La rédaction à l’intention des débutants : Ce livre semble s’adresse en premier lieu à une personne qui n’a jamais expérimenté le jeu de rôle. Toutes les subtilités de ce qu’est mener le jeu d’un côté, et incarner un personnage de l’autre, sont abordées avec pédagogie. Les personnes plus aguerries privilégieront une lecture en diagonale.

Le système freeform structuré : La feuille de personnage s’articule autour de quatre caractéristiques chiffrées (et ça s’arrête là pour la partie chiffrée) dont lesquelles dépendent des compétences libres. Moi-même amateur de fluidité et de liberté dans le jeu de rôle, j’apprécie de pouvoir créer un personnage tel que je me l’imagine, sans me référer à une liste fermée de compétences qui pourraient restreindre mon concept et allonger le temps de création de personnage.

Le vide fertile : C’est peut-être hors-sujet de ma part de parler de vide fertile pour un jeu de 2008, cependant la lecture du jeu donne une vraie impression que l’auteur est proche de la Forge et de l’article Le système est important. Je me suis déjà étendu sur le risque de formalisme que peut engendrer la lecture de Le système est important. Mais le concept de vide fertile, c’est une application vertueuse du système important, dans le sens où les règles de jeu proposent au lieu de forcer, piègent au lieu de montrer, interrogent au lieu de dire. Le vide fertile de Summerland, c’est : les personnages sont des désaxés, des Errants. Par leurs traumas mêmes, ils sont les seuls capables d’explorer la forêt sans céder à son appel surnaturel. Mais ils rêvent de revenir à une vie normale, au sein d’une communauté qui leur serve de famille. En raison de leurs traumas, les communautés se méfient d’eux, mais en raison de leur pouvoir, elles fait appel à eux pour rendre des services, elles leurs confient leurs missions. Et en réalisant des missions, ils expriment leurs traumatismes (pour obtenir des bonus aux jets de dés réclamés par la mission). En exprimant leurs traumatismes, ils les apaisent. Ils gagnent alors en stress, mais ce stress peut être baissé en passant un temps d’échanges humains au sein d’une communauté, et c’est pourquoi les personnages se font souvent payer de leurs services par un temps de repos et d’échange au sein de la communauté. Bref, le système, sans dire explicitement au joueur qu’il est là pour vivre la rédemption du personnage, son retour dans la sphère humaine, l’encourage en douce à le faire. Avec la menace d’accepter que son personnage devienne alors plus vulnérable à l’appel : balance qui maintient le personnage dans cet entre-deux, à la lisière de la forêt et des communautés, jusqu’à que l’errant fasse enfin son choix.

Ce qu’on peut en retirer pour Millevaux :

Summerland est tout à fait autonome, mais l’on peut aussi vouloir le désosser, en retenir certains principes pour l’univers de Millevaux, qu’on l’explore dans une logique d’écriture ou dans une logique de jeu. Voici les éléments qui m’ont le plus marqués et qui peuvent être transposés dans Millevaux. Une association mutuellement bénéfique :

+ L’Appel de la Forêt :
Dans Summerland, la Forêt est une menace, comme dans Millevaux. Mais elle exerce aussi une fascination sur les êtres, fascination dont ils sont conscients et dont ils essayent de se prémunir : c’est une excellente façon de traduire le phénomène de l’emprise qu’on connaît dans Millevaux. Le revers de la médaille, c’est que les personnes cloîtrées dans les communautés pour maintenir leurs liens entre eux et ainsi se prémunir de l’Appel de la Forêt, développent des psychoses. Une autre forme d’emprise, à n’en pas douter. Cela renforce la dualité de l’emprise.

+ Les Égarés et les Sauvages :
Quand une personne répond à l’Appel de la Forêt, elle commence par quitter sa communauté pour vivre dans la nature. Ensuite, elle perd ses souvenirs, et peu à peu son identité et sa raison, elle est alors un Égaré. Quand ce processus atteint son terme, elle devient un Sauvage ; une personne qui n’a plus d’humain que d’apparence, une bête humaine. Si le processus rappelle hélas un fléau que trop d’entre nous ne connaissent que trop bien, pour en être affectés en personne où connaître un être cher qui l’est,  j’ai nommé la Maladie d’Alzheimer, en faire un traitement ludique, c’est une façon d’en parler. Et si on reporte ce cycle dans Millevaux, on crée une connexion entre deux facteurs de cet univers : l’oubli et l’emprise, ici vue comme une aliénation suivie d’un ensauvagement.

+ Les personnages pré-tirés :
Pouvant faire à la fois office de personnages ou de figurants, les prétirés de Summerland sont écrits en quelques lignes fortes qui les rend intéressants et ambigus. Ils forment ensemble un canevas de destins liés.

+ Les communautés :
Les enclaves de Summerland peuvent être facilement reprises telles quelles pour Millevaux. Elles dépeignent un lieu, ses protagonistes principaux et des amorces de situations qui peuvent en partir.

+ Le système de création aléatoire de communautés :
Summerland construit là où les livres consacrés à Millevaux sont assez muets : ce qui compose une enclave forestière post-apocalyptique. Et le jeu le fait bien, avec une procédure de création avec des entrées numérotées de 1 à 6, qui peut être utilisée à la fois comme un questionnaire ou comme une table aléatoire.