Hors de la Chair_Extraits

[Extraits] Hors de la Chair, un roman-triptyque de terrorisme spectral

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Partie 1 : Les Etoiles du Triangle

« Le petit Mark respirait avec peine, la tête enfouie sous ses draps. Il n’osait pas remonter à la surface pour respirer. Il craignait trop ce qui se cachait dans l’ombre. Ne faire ni un geste ni un bruit. Tel était le secret pour ne pas offenser les entités nocturnes. Les mains qui se saisiraient de ses chevilles s’il descendait du lit, les choses qui faisaient du bruit dans les coins de la chambre. Mark surmonta son angoisse. Il jeta un regard par-dessus les couvertures. En face de lui, le lit dessinait ses contours de bois dans l’obscurité. Encore plus immense que de jour. En haut, l’unique fenêtre ouvrait un vaste panorama sur le ciel étoilé. »

« Par la fenêtre, les sapins mordaient de noir l’air moite. En haut, trois étoiles transperçaient le puits du firmament, trois gouttes qui lui tombaient dessus, avec une lenteur infinie, trois poignées de lueur égarées dans le vent, des cailloux froids isolés des feux-follets hagards, grosses boules de coma qui murmuraient… « 

« Le dernier roman de Susan Weldings, Les Particules Ignorées, explorait des rivages où la littérature et la philosophie occidentales ne s’étaient encore jamais aventurées. « 

« … mais nous réfutons totalement ce type d’interprétation. C’est une dérive de la psychologie qui tend à la superstition. »

« H.D sait que son âme, son cœur, ses entrailles sont passés en revue. Voilà ce qui les a séduits. Pas un critère physique ou mental. Juste cet attrait sensoriel, ces répercutions qui circulent en H.D et qui partent nourrir leur intelligence impie, la seule sensation éprouvable par un humain à son plus haut degré de pureté :
La peur »

Partie 2 : Voyage(s) Blanc(s)

« Pensez-vous pour autant qu’il s’agit d’un au-delà ? Il y a de la vie, mais les habitants n’appartiennent plus au monde des vivants. La plupart sont des mendiants. Mais la mendicité n’existe pas, nous affirme le Centre Démographique. En effet, personne là-bas n’a assez d’argent pour leur faire l’aumône. A part les dealers et les trafiquants qui, par nature, n’ont pas l’âme charitable. »

« Autant de questions qui demeureront à jamais sans réponse. D’ailleurs, il est même impossible de se poser de telles questions. Beaucoup disent que ces hélices n’existent pas, donc elles ne seraient pas dignes d’étude. J’affirme qu’elles existent, puisqu’elles sont l’existence même, en même temps qu’elles sont l’inexistence. »

« Un homme au crâne rasé était assis au comptoir. Plutôt grand, sa forte carrure s’était amoindrie au fil des jeûnes forcés, déjà ses joues se creusaient comme des tombes. Ses yeux étaient entrouverts, mais fermés aux réalités extérieures. La bière forte qu’il buvait ne lui envoyait aucune décharge. L’autre ivresse qui le hantait était si supérieure à l’ivresse alcoolique, cette dernière n’avait plus aucun effet. »

« Le parcours de cette drogue ne s’arrête pas là. Au fil des siècles suivants, dans de nombreux états d’Europe, certains tueurs fous arrêtés par la police déclarent avoir consommé à plusieurs reprises des drogues puissantes. »

« Le cœur de Susan s’arracha dans sa poitrine et faillit bondir plus haut que la silhouette de Mengan, en une délicate et précise gerbe de sang. Elle explosait d’un rire intérieur qui se déliait sur son sourire. Son cerveau bouillonnait d’un triomphe nouveau. Ses recherches n’avaient pas été vaines ! »

« En fait, je n’ai pas de visions à proprement parler, commença-t-il.
Elle enclencha son dictaphone de poche. Le ronronnement régulier des bandes accompagna le monologue de Steve : Une fois que j’ai bu mon millilitre, je peux tout à fait rester éveillé. Le monde m’apparaît tel qu’il est dans la réalité. Du moins, rien n’y est soustrait. Mais par contre, je vois, je sens d’autres choses en plus.« 

« Susan était presque belle sous le vent qui fouettait ses lèvres et entraînait ses cheveux. Steve, Steve avec ses doigts difformes accrochés au bord, ses yeux ambigus, la régularité de sa tête rasée, peut-être à cause du reste d’Outway qu’il avait dans les veines, ne savait plus d’où venait la rotation, du carrousel, du monde ou de sa poitrine. « 

« J’me drogue pour pouvoir regarder les gens en face et me sentir aussi riche qu’eux. J’me drogue parce que je suis plus un nom de Dieu d’être humain. J’me drogue pour disparaître ! « 

Partie 3 : La mort n’est plus une issue

« Un autre voyageur empoigna sa valise. Un blouson de cuir noir, un pantalon ample de la même non-couleur. Un vaste dos aux larges épaules de lutteur. »

« Plus que trois quarts d’heure.
A passer au milieu de l’horreur. Il sentait leur présence oxyder chaque molécule d’air à l’intérieur du wagon. Ces vides denses entre les gens abritaient l’innommable menace qui le paralysait.
Des choses faites d’une terreur plus vaste que la vie elle-même. Il les imaginait tapis sous le front de la fille en face. Oui, celle dont le visage s’empourprait d’amour pour son voisin excentrique, accueillait en elle, dans la gelée qui joignait ses cellules, dans l’électricité qui filait de neurone en neurone, dans les milliards de connections effrénées, la plus perfide abjection de la Terre, le mal grouillant… »

« – C’est bien, mon chéri. Il n’y a pas eu de retard ?
– Non, comme tu vois.
– Et le voyage s’est bien passé ?
– Euh… Oui, très bien.
– Quand même, tu pourrais passer plus de temps à la maison. »

« – Bon, attends… Gabriel, dis-moi… Ces derniers temps, tu as eu des absences ? Du genre, tu t’rappelles plus c’que t’as fait à telle heure de la journée, ou alors un copain prétend t’avoir vu à tel endroit alors que t’es sûr de ne pas y être allé ? Ou du somnambulisme ? Des pertes de mémoire ? Des sautes d’humeur ?
– Non, j’vous jure, gémit Hollandson. J’vois pas où vous voulez en venir.
– Chef, s’enquit Bonnicio. Vous comptez quand même pas le… ?
– Est-ce qu’on a le choix, bordel ? Gabriel, tu vois la bâche plastique, par terre ? Bon, tu t’allonges dessus… Relax… « 

« Consuella… Il le faut… Pour la Cause !
– La Cause, la Cause ! A quoi ça sert ?
– Tu aimes ta mère, Consuella ? Tu aimes tes amis, tu aimes leurs rires ? Tu aimes… j’sais pas, des trucs… Quand le soleil se couche à ta fenêtre ? Tu aimes la vie qui grandit en toi ? Tu aimes tout ça ? »

« La main de Sidney. Sur l’atelier devant elle, une canette de Coca-Cola dont le couvercle avait été enlevé. Elle avait percé un trou dans ce couvercle, sous le sommet de la poignée qui sert d’habitude à ouvrir la canette. Un étrange attirail avait été fourré à l’intérieur de la boîte de Coca. Elle en retira précautionneusement l’extrémité d’un fil de fer qu’elle passa dans le trou qu’elle avait foré à travers le couvercle. Puis elle noua ce fil de fer à la poignée d’ouverture. Enfin, elle saisit un fer à souder de sa main droite et attrapa un fil d’étain entre ses dents, pour recoller le couvercle de façon presque invisible.

« Tout à coup, l’extrémité de sa cigarette s’embrasa. Au bout de cette cigarette, sa main frémissante et La Cité froide qui les entourait, Hetter et lui, alors qu’ils traversaient les allées bétonnées de Salvation Avenue. »

« Il se cachait auprès d’elle comme un enfant, se noyait dans ce réconfort, tentant d’y asphyxier son désespoir. Alors qu’elle était de nouveau fourvoyée dans ses songes, il lui murmura quelques mots qu’il tenait beaucoup à dire mais elle ne les entendit pas. »