Un petit manuel pour mélanger les réalités et interagir avec dans vos jeux de rôles préférés !
(temps de lecture : 4 minutes)

« Dans les jeux de rôle sur table (qu’ils soient avec ou sans meneur de jeu, mais aussi sur table virtuelle ou par écrit, et moyennant quelques adaptations, dans les jeux de rôle grandeur nature), le vertige logique désigne des moments de jeu (et l’effet ressenti à ces moments) où plusieurs réalités communiquent et s’influencent. Les personnages interagissent avec ces réalités et les réalités interagissent avec les personnages.
L’objectif de cet essai est de présenter cette façon de jouer, si vous voulez l’intégrer dans votre pratique. Il vous serait possible d’utiliser cet essai comme une base pour créer un jeu, mais vous devriez alors réfléchir vous-même sur la manière d’automatiser le vertige logique par des règles :
+ choix des techniques ;
+ mécaniques de résolution ;
+ cartes d’événements ;
+ tables aléatoires ;
+ description des différentes réalités de l’univers de jeu.
Je montrerai de quels jeux et pratiques je suis parti pour échafauder mes propres techniques de vertige logique. J’expliquerai où réside l’intérêt de ces techniques, et sur quelle base je les teste et les présente. J’énumérerai ensuite mes techniques, en les regroupant par le type de brique élémentaire sur lesquelles elles s’appuient :
+ l’espace ;
+ le temps :
+ le récit ;
+ la perception ;
+ ou les possibles.
Je donnerai ensuite un aperçu global de l’intérêt de ces techniques suivant quatre grandes façons de jouer : tactique, morale, esthétique ou sociale.
Je pourrai enfin vous expliquer comment mettre en place ces techniques dans une partie de jeu de rôle.
Je ferai alors une conclusion générale avant de vous laisser avec une fiche pratique et un jeu de cartes qui récapitulent le tout. »
« 2.1.1. Un exemple de vertige logique
En débarrassant le grenier poussiéreux de sa maison natale, une femme découvre une porte dont elle ignorait l’existence. Elle en franchit le seuil et arrive dans une version plus propre du même grenier : elle comprend qu’elle vient d’atterrir dans le passé. Elle descend dans les étages inférieurs et rencontre son père, décédé depuis. Après d’émouvantes retrouvailles, elle entraîne son père dans le présent pour lui montrer ce que sa vie est devenue. «
« On pourrait extrapoler la notion de vertige logique à tout le domaine artistique (des tableaux d’Escher ou de Magritte aux films cités plus loin), mais par commodité, je restreindrai ici le terme de vertige logique au seul domaine du jeu de rôle. »
« 2.3. Intérêt du vertige logique
On emploie le vertige logique à la fois pour la beauté du geste et aussi pour atteindre ou valoriser certains effets :
+ Mettre en jeu l’ironie dramatique ;
+ Transformer une cinématique en espace jouable (on joue au lieu de raconter) ;
+ Magnifier une simple action, décision ou pensée en y consacrant une scène entière ;
+ Donner à voir le monde intérieur des personnages ;
+ Valoriser le fait qu’un univers de jeu soit décomposé en multiples mondes, en les faisant dialoguer ;
+ Créer une étrangeté d’autant plus grisante qu’elle est participative. »
« 3.2.4. Des mondes en cascade
Définition :
Il y a plusieurs réalités, réparties en étages. On ne peut voyager de l’une vers l’autre que dans un sens précis.
Mise en jeu :
+ Pour retrouver sa réalité de départ, il faut revenir en arrière, à moins que le chemin forme une boucle.
+ Parfois, il est possible de dialoguer avec des personnes présentes dans d’autres niveaux.
+ Parfois, il est possible de s’affranchir du sens de trajet et de parcourir les niveaux de réalité à son gré, au risque de confondre le vrai et le faux. »
« Dans Cuisine aux Orgones / Green Void / Le Château des Possibles (Inflorenza, TE), les personnages forment un commando dans une mégalopole cyberpunk asiatique. Ils ont affaire à un homme qui porte un masque d’insecte : un motif issu du monde à venir. Ils s’infiltrent dans le temple d’une secte, où on leur fait franchir un rideau magique. Une fois passés de l’autre côté, ils se retrouvent dans un lointain futur, habitants d’un vaisseau-monde à la dérive. Leurs corps portent des mutations insectoïdes. On joue ensuite une scène de flashback (voir 3.3.1. Flashbacks dynamiques), qui se passe aussi dans ce décor spatial, ce qui montre que le passé même des personnages a été altéré. Un personnage franchit un sas, et cette fois-ci, tout le décor et les personnages basculent dans un contexte médiéval-fantastique. Au final, les personnages ont vécu une seule et même aventure, mais le contexte de jeu et le look des personnages ont changé deux fois en cours de route. »
« 3.4.1. Mélanger passé et présent, récit et réel
Définition :
+ Quand une personne raconte un récit, on peut l’explorer comme lorsqu’on espionne le passé.
+ Il arrive alors qu’on y agisse, voire qu’on y joue son propre rôle, en possédant son alter ego dans le récit. »
« 4.2.1. Quels prérequis pour jouer du vertige logique ?
Dans une scène de vertige logique, les lois habituelles de la causalité sont transgressées.
La personne qui l’initie maximise la réussite de ses effets si :
+ Cette scène est crédible : elle produit du sens pour les joueuses, elle est compréhensible, elle est logique par rapport à l’univers du jeu.
+ Elle informe les autres joueuses des nouvelles lois (ou de l’absence de loi) qui ont cours, ou bien elle leur donne les moyens de les comprendre au fur et à mesure, ou encore elle les informe qu’il y aura des scènes à la logique étrange et les invite à accepter la surprise.
+ Elle les invite à interagir avec cet espace de vertige logique plutôt que d’en être simplement spectatrices. Cela suit une règle de courtoisie rôliste : les joueuses sont libres d’agir, avec la possibilité de faire des choix informés. Si les joueuses interagissent, il y a davantage de jeu, davantage de plaisir.
Le vertige logique peut surgir de façon impromptue si :
+ c’est crédible dans la situation présente ;
+ ou si on explique ce qui se passe durant la scène ;
+ ou si on demande aux joueuses de lâcher prise. »
« Répétitions
Au lieu de se limiter à une seule version d’une scène, on la joue dans plusieurs versions différentes. On passe à la scène suivante par un effet de montage qui s’affranchit de l’obligation de cohérence. L’intérêt est de jouer des versions sans les discriminer, ou au contraire de soumettre un choix de vie au personnage. »
« Agir sans agir
Un personnage est incapable d’agir mais peut explorer des vies possibles ou interagir avec les réalités par images mentales.
Pour faire agir son personnage, la joueuse n’a que des scènes de vertige logique pour recours. «
