Glossôs_Extraits

[Extraits] Glossôs, mon recueil de nouvelles de science-fiction rurale

illustration : Claire Munier, par courtoisie

« La tisane est brûlante, de ce tilleul avec son goût unique qui a séché tout l’hiver dans cette remise avec des sacs de coquilles d’escargots, des cartons d’œufs et sa robe de première communiante, c’est la même tisane qu’elle faisait pour son arrière-grand-mère malade, des linges chauds et la rigueur du froid dans ce février de fin des temps, de cette fin des temps où le temps s’éteint sans un bruit juste parce qu’il n’a plus nulle part où aller. Son arrière-grand-mère et son visage un continent d’histoires et les lutins de maison juchés sur son épaule pour lui apporter leur dernière offrande, une feuille de laurier, un sucre, des herbes médicinales et tous les boutons de chemise que les chats avaient envoyés sous les buffets cette année-là. »

« Les profondeurs de ce monde aquatique étendaient leurs eaux vertes à perte de vue. Des lamelles de lumière filtraient de la surface lointaine et jouaient sur la peau translucide de Janvier. Janvier était un Moissonneur, de la quatorzième génération, membre de la Colonie venue conquérir ce territoire. Comme tous ces congénères, il était de forme ovoïde. Une couronne de fins tentacules cerclait son corps mou, grâce auxquels il se déplaçait avec une extraordinaire célérité. A travers sa peau on voyait ses organes se mouvoir lentement. »

« Il avait des flashs de son métier précédent de fermier. Grâce à l’effort psychique de toute la cité, la Mère les propulsait dans les airs, il volait jusqu’aux champs continentaux à des centaines de kilomètres de là, euphorique comme si trop d’oxygène envahissait ses poumons ! Tout lui revenait, les odeurs des céréales en expansion, le toucher insolite des lichens, l’immense étendue où s’allongeaient leurs frères les végétaux. La symbiose sacrée durait depuis des éternités. Les humains de la Grange fournissaient aux plantes tous les nutriments physiques et psychiques utiles. En retour, celles-ci les approvisionnaient en énergie issue de la photosynthèse et de la psychosynthèse. Les végétaux puisaient dans l’égrégore, la force mentale, en particulier les rêves. Au réveil, le souvenir de vos songes était toujours dissipé, car leur densité avait été absorbée. Cette union était juste. »

« Les condamnés, qui font face à la mort près du tremplin, pleurent d’extase.
La musique des bijoux sur les robes des princesses se mêle à l’harmonie dorée de leurs sourires, pour noyer les esprits de tempête.
Leurs danses piétinent les tombeaux où gémissent en silence les amants qui se font poussière et boue. »

« Toute sa vie, il avait été trop curieux. Trop malchanceux et maladif pour des émotions trop fortes.  Toujours, toujours, il s’était lancé à la recherche de ces anciennes légendes qu’on trouvait dans les parties cachées de l’Université, il avait rencontré ses personnages fantasques qui rôdent dans les corridors de certains immeubles. Ils lui avaient révélé de lourds secrets. Certains de ses voyages physiques ou mentaux l’avaient mené trop loin. Et pourtant, il en avait voulu plus ! »

« Les règles sont simples. Nous sommes lâchés dans la cité. Il faut courir jusqu’à un monument. Il y a un unique gagnant, celui qui arrive en premier. Il sera affranchi, les autres participants retourneront aux mines. « 

« Des terres la brume était montée en respirant. C’était dans cette mer que nous sombrions. Parfois l’on s’arrêtait à une gare, un havre. Des gens descendaient dans le flou des réverbères, d’autres montaient. Des histoires débutaient et d’autres trouvaient leur point final. Une grand-mère revoit sa petite fille. Elles ne se parleront pas. Mais à cet instant, leurs yeux ont dit ce qu’il y avait à dire. »