[Dans le mufle des Vosges] 19. On se couche avec ses morts

ON SE COUCHE AVEC SES MORTS

Au lendemain du combat avec la Mère Truie, on compte les retombées.

Joué / écrit le 25 & 26/03/2020 et le 02 & 03/04/2020

Jeu principal utilisé : aucun pour cette session

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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Andrew Huff, cc-by-nc, sur flickr

Contenu sensible : handicap, dépendance

Passage précédent :

18. Le martyre
Suite et fin de l’épouvantable combat contre la Mère Truie !

L’histoire :

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Symballein, par Troum, l’ambient drone d’un monde spectral, ou voix, atmosphères, terre et mer se confondent dans un flou lointain.

Pour le Père Houillon, l’aube, bien que déchirant les ténèbres de ses branches, n’apporta que confusion. Revenant d’une expédition nocturne qu’on lui avait tu, les exorcistes arrivaient avec un mort, un estropié et deux nouveaux-venus.

Dès lors, le Père Benoît avait littéralement fait de lui sa bonne du curé. Il avait dû aménager un grabat pour la Soeur Marie-des-Eaux, faire la toilette mortuaire de Champo, fournir au Père Benoît des béquilles qui lui servaient pour ses crises de goutte.

Rouge de fatigue et d’incompréhension, il s’attela au plus dur. Madeleine Soubise sentait très fort le lait, la bouse, la bauge et le pus. Le petiot sentait le charbon. « Voici ma bassine, la pompe à bras est ici, les pierres chaudes là… Et l’essentiel est… ici ! » Il montra le gros morceau de savon de lichen. Il leur pria de conserver par devers eux leurs objets précieux, et jeta leurs robes de nuit au feu, puis leur dénicha des habits de ferme dans la réserve dédiée aux indigents.

Il se dandina ensuite vers le cellier. Une lampée de kirsch lui remettrait les idées en place. Il trouva le Père Benoît en train de descendre sa bouteille.

Pour le repas du midi, le Père Houillon, qui n’avait jamais de si grandes tablées, bricola une salade de pissenlits aux croûtons arrosée d’une meurotte et accompagnée de lardons que le Père Benoît mit de son côté, lui qui pourtant aimait tant la charcuterie. Tous mangèrent en silence, agglutinés autour du founet, qui prodiguait une chaleur bienvenue dans les vieilles pierres du presbytère. Le regard halluciné de la Sœur Jacqueline, tapisserie des horreurs du monde, était impossible à soutenir.

Après le repas, la Madeleine demanda au Père Benoît la permission de faire une sortie rapide. Tout préoccupé qu’il était par d’autres sujets, il lui donna sa bénédiction à condition qu’elle se fît discrète, ce qu’elle jura ses grands Vieux.

Puis il sortit à son tour avec le père Houillon. Il lui prit les clés du presbytère, qu’il ferma à double tour. Une expédition punitive des Soubise était à craindre, malgré l’état dans lequel ils les avaient laissé.

Ils se rendirent dans la chapelle des indigents, au cœur du cimetière, afin que le Père Benoît puisse examiner le corps de l’homme tombé du ciel, à la flamme des bougies. Il étudia longuement ses fractures de chute, mais aussi la texture singulière de son oeil.
Le père Houillon s’épongea le front. « Je ne vois pas pourquoi vous voulez voir ce malheureux… Quel rapport avec votre affaire ? Les enterrements relèvent de mon domaine…
– Et la diablerie relève du mien. Il semble que nous n’en avons pas fini. Par ailleurs, j’ai besoin de vos conseils. Il nous faut mettre Madeleine Soubise et son enfant à l’abri hors des Voivres. Dans quel village pourraient-ils trouver refuge ?
– Si vous voulez les mettre assez loin, que ça soit difficile d’aller les y chercher, je dirais de monter jusqu’à Xertigny.
– Et comment peut-on s’y rendre ?
– Là, c’est le problème. Champo aurait connu le chemin. Mais voilà… Ou sinon, il y a les bohémiens, mais je leur ferais pas confiance. »

Quand ils sortirent de la crypte, le ciel était devenu une chape de suie.
« Moôn, ça annonce du beau ! »

Peu après leur retour, la Madeleine frappa à la porte du presbytère. Elle avait tenu sa promesse de faire court, espérons qu’elle ait été également discrète. Le père Houillon trouva la Sœur Jacqueline assise au chevet de la Sœur Marie-des-Eaux. Cela lui fit l’impression qu’elles se veillaient mutuellement, il trouva ça touchant. Puis il constata que la doyenne s’était pissé dessus.

« Ah, le chameau ! »

Le cœur au bord des lèvres, il fit venir une lavandière et lui lâcha un sou avec pour mission de laver ce sale linge humain. Elle s’acquitta de sa tâche en chantant. Elle prit soin de la doyenne comme d’un nourrisson. Le crépuscule tout zébré de branchages jetait sur elles les feux d’un tableau irréel.

Le Père Benoît tendit au curé un message écrit de son calame personnel.
« Un courrier à envoyer d’urgence au diocèse, par un de vos pigeons voyageurs.
– Je ne veux plus envoyer de pigeons ! Les corbeaux les zoquent !
– Puisque c’est comme ça, je vais vous faire plusieurs copies, vous en enverrez une par jour, même après mon départ.
– Mais tout mon colombarium va y passer !
– Alors c’est que le Vieux veut. Il lui déplaît peut-être que vous ayez laissé des pigeons nicher dans votre clocher. »

La nouvelle avait couru qu’en tant que nouveau chrétien, Champo aurait droit à une veillée funèbre au presbytère, et quelques personnes se rendirent, qui avec sa quenouille, qui avec son livre, qui avec son morceau de bois, son ciseau et sa gouge, au chevet du sherpa. La Mélie Tieûtieû, encore une fois venue par prodige à pied de Gremifontaine sans encombre, le Sybille Henriquet, tout contrit, étreignant sa casquette, la Bernadette, qui avait fait des beignets de pomme de terre râpées, Sœur Joseph, la maîtresse d’école : « Comment je vais faire maintenant ? Je vais devoir aller chercher les piots toute seule. »

La visite la plus surprenante fut celle d’Augure, qui ne lâcha pas un mot de la soirée, se contentant de fixer tout le monde d’un regard ardent.

La Sœur Marie-des-Eaux fut portée en brancard, le tableau rappelait tragiquement la précédente veillée, qui les avait réunis autour du corps de Basile le cordelier.

La Madeleine et l’Hippolyte restèrent confinés dans le cellier, leur présence devait rester secrète.

« Je peux plus filer, dit la Mélie Tieûtieû, j’ai les yeux qui yoyottent. »

La Sœur Jacqueline était posée en équilibre instable sur sa chaise, elle bavait que c’en était gênant. La Bernadette lui tint la main toute la soirée, elle prétexta le chagrin du décès pour laisser couler ses larmes.

Champo, allongé, nettoyé, apprêté, avait l’air serein, mais les bougies lui donnaient un air très vieux.

Le père Vauthier arriva un peu tard. Ses habits jaunes étaient sales et apparemment, il s’était bien fourré la culotte. Mais quand il sortit une bouteille de liqueur de poire et proposa de trinquer à la santé du disparu, personne ne se fit prier.

La nuit passa, entrecoupée de cauchemars pour ceux qui dorment et d’angoisses pour les éveillés. Ce fut la première nuit où la Sœur Marie-des-Eaux délaisser son carnet mémographique et ses récitations de l’Apocalypse. Cette nuit avait un goût de rien ne pouvait être pire. Mais c’était faux. Et pendant ce temps, quelqu’un observait, qui savait tout.

Lexique :

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.

Préparation :

A. À la fin de l’épisode précédent, j’ai posé cette question au public : Qui va guider les exorcistes à travers la forêt pour l’exil de Madeleine et Hippolyte ? La mystérieuse Augure, le roué Nono Elie, le candide menuisier Sibylle Henriquet, ou quelqu’un d’autre ?

J’ai eu cette réponse de Damien Lagauzère : « Est-ce que ce serait envisageable de faire intervenir un nouveau personnage? Celui sortirait des bois pour jouer ce rôle de guide et expliquerait qu’il observerait les autres depuis un moment. Pourquoi, comment? Pourquoi n’est-il pas intervenu avant? Vers où compte-t-il les guider? Est-il vraiment fiable? En tout cas, il saurait ce qui vient de leur arriver alors qu’il n’était pas sur les lieux. »

Je ne m’attendais pas à ce que Damien propose un nouveau personnage, mais ça me convient, je vais faire avec. En fait, j’ai fusionné son concept avec un autre qui me trottait en tête et je commence à déjà bien visualiser mon futur guide, la chiffonnière Euphrasie Pierron.

B. Pas d’exercice d’écriture de Draftquest ce jour car pendant le confinement, mes conditions d’écriture sont sous-optimales, et aussi j’ai prévu un gros travail de pré-écriture avec la rédaction des feuilles de personnages de Père Benoît et de Madeleine Soubise, donc j’économise du temps là-dessus.

C. Retrouvez ici mon système d’écriture. Je le mettrai à jour au fur et à mesure.

D. Je complète mes feuilles de personnages avec quatre caractéristiques inspirées du livre L’anatomie du scénario par John Truby :
+ Son désir conscient
+ Son besoin inconscient
+ Sa faiblesse psychologique (qui pousse le personnage à faire du mal aux autres)
+ Sa faiblesse physique (dont souffre le personnage)

E. J’ai profité de l’offre gratuite du deck de cardes de base de The Story Engine et je m’en suis servi pour créer l’arc narratif d’Euphrasie Pierron, qui sera la guide pour l’exil de Madeleine et Hippolyte.

F. J’ai étoffé deux personnages, Père Benoît et Madeleine Soubise, via une feuille de personnage assez complète proposée par Jérémy Baltac pour créer des personnages de roman. Cette feuille de personnage peut par ailleurs diablement vous intéresser si vous voulez faire des personnages de jeu de rôle particulièrement détaillés !
Fiche du père Benoît
Fiche de Madeleine Soubise

G. Beaucoup de préparation pour cet épisode de transition, à laquelle je consacre mes trois heures d’écriture hebdomadaire. Je l’ai donc fusionné avec la session d’écriture suivante, ce qui m’a fait sauter une semaine de publication dans le planning !

H. Entretemps, j’ai parcouru le livre Les Vosges pittoresques et historiques écrit au 19ème siècle par Charles Charton. La couverture avait tout pour me plaire ! Mais in fine le contenu est peu exploitable. Le style littéraire, en mode Petit Futé du 19ème siècle ultra fan des Vosges, est inénarrable. Je me suis contenté de lire les chapitres concernés à la région de Bains et Xertigny (où se trouvent les Voivres) et à celle de Darney.

I. J’ai modifié mon système d’écriture. Désormais (en m’inspirant d’une technique d’Alban Paladin), les PNJ ne peuvent pas avancer sur leur objectif sans impliquer un PJ.

J. Je n’ai pas utilisé de jeu de rôle pour cette session de transition. Il y a un certain nombre de choses à mettre en place avant de commencer l’exil vers Xertigny, qui sera joué avec Oriente.

Bilan :

A. Au train où vont les choses, je pense que la prochaine session sera également jouée sans système principal. Le guide n’a pas encore été recruté et il me reste pas mal de choses à écrire avant le départ !

B. Seulement 1088 mots de récit pour cette session ! Les fiches de Jérémy Baltac ont clairement grévé ma production, mais je le dois aussi à l’écriture en temps fractionné, j’ai dû faire environ 6 sessions d’une heure pour cet épisode. J’ai beaucoup hésité à carrément arrêter Dans le mufle des Vosges durant le confinement, mais j’ignore combien de temps ça va durer, et j’ai peur de salement perdre la main entre temps. Du coup, je vois cette avancée, même à pas d’escargot, comme une forme de résistance.

Aides de jeu utilisées :
Nervure (pour la question au public)

Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet épisode : 1088
Total :  39554

Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

Voir cet article

Modifications : ajout d’un objectif pour la Sœur Joseph

Question au public :

Voici la question qui fait suite à cet épisode :

Un des personnages principaux (la Sœur Marie-des-Eaux, Père Benoîte, Madeleine ou Hippolyte) a scellé un pacte avec un souvenir précieux en gage. Lequel ? Pouvez-vous en dire plus sur la nature du pacte et du souvenir laissé en gage ?

Épisode suivant :

20. La confession
Quand la peur rampe dans les cœurs et que l’amour se fraye un chemin.

5 commentaires sur “[Dans le mufle des Vosges] 19. On se couche avec ses morts

  1. Je ne sais pas si ça répond vraiment à la question mais… est-il possible que le Père Benoit ait passé un pacte précisément pour « oublier » le « souvenir » qu’il a laissé en gage? Par exemple, il aurait pu commettre un crime ou juste mener une vie luxurieuse avant d’entrer dans les ordres et le Horla (pourquoi pas? ^^) qui garderait ce souvenir l’en aurait libéré tout en s’en délectant. Mais, peut-être que dans cette vie il aurait acquis des connaissances qui pourraient lui être utile dans son combat actuel. Aussi, il voudrait malgré tout récupérer ses souvenirs. Ou alors, quelqu’un de cette époque le reconnaitrait? Pourquoi pas ce guide à venir?
    Sinon, je ne vois pas pourquoi le confinement devrait t’empêcher d’écrire ou de faire quoi que ce soit (à part sortir ^^). Qu’un chapitre soit court n’a aucune importance. Ce qui importe, c’est que l’histoire avance et, surtout, que tu prennes du plaisir à la jouer et l’écrire.

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    1. Merci pour cette suggestion, c’est assez intéressant vu le côté sainte-nitouche du personnage ! Concernant le confinement, c’est le fait que mon fils soit à la maison qui limite mes temps d’écriture. mais dans l’ensemble, tu as raison, le plaisir d’écrire doit plus compter que le résultat !

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