Jeu de rôle : la transmission, le sacré et ce qui va de soi

Je réagis à l’excellent article de kF, Le projet Ristretto Revenants : constituer réflexivement une pratique de l’OSR, qui porte sur le développement et la transmission de ses pratiques old school renaissance

L’ensemble de l’article est passionnant, mais j’en citerai surtout la conclusion : « En somme, il s’agit d’écrire le guide de jeu que j’aurais rêvé d’avoir quand j’ai attaqué l’OSR. Quelque chose qui me donne tout à la fois le moyen de créer un cadre fictionnel dans lequel je suis à l’aise, des principes de jeu pour me guider à chaque instant et une technique pour transformer ma pratique en fonction de mon expérience. »

Newcastle Libraries, domaine public, sur flickr.com

Du coup, cela m’a donné envie d’échanger avec la communauté Discord des Courants Alternatifs sur le sujet de la transmission en jeu de rôle. J’ai demandé à la communauté ce qu’elle voulait qu’un livre de jeu, une meneuse ou une joueuse leur apprenne, ou ce qu’elle voulait elle-même transmettre. Quels étaient les savoirs qu’il lui semblait important d’apprendre (pour les appliquer ensuite stricto sensu ou les refaire à sa sauce) ? Pensait-elle que d’autres publics avaient besoin d’autre chose ? Attendu qu’on ne saurait TOUT transmettre, qu’est-ce qui était essentiel à transmettre ?

Suite à cet échange, voila ce qui fut ma synthèse : la discussion s’est focalisée sur la rédaction de livre de jeu, il en est ressorti que le public ne souhaitait pas forcément un point précis en particulier (même si d’aucuns ont déploré qu’il reste un large continent noir de la pratique d’un jeu de rôle qu’on ne transmet pas dans le livre) mais souhaitait surtout que l’auteurice transmette ce qui est important pour ielle : son sacré., Le sacré n’a ici aucune définition mystique. Le sacré, c’est la part de l’expérience que l’auteurice souhaite absolument transmettre à la table. Ceci s’oppose à la part la plus superflue de son propos. Exemple : mon sacré peut être que les joueuses doivent absolument incarner des teletubbies. Peut-être que le fait de savoir s’il y a un MJ ou non, des scénarios ou non, sont des questions superflues et qui peuvent être laissées à la discrétion de la table ou non expliquées. Mais on se heurte alors à certains défis. L’auteurice doit parvenir à concevoir et délimiter son sacré, ce qui implique de déterrer des mécanismes très souterrains dans sa propre pratique, et ce qui présente le risque de déformer ses intentions en forgeant un sacré qui en est en fait éloigné.

La transmission (et on a évoqué aussi les biais de réception) présente deux écueils possibles :

+ Si le sacré est trop réduit et que le livre s’y limite, un apport massif de compétences de joueuses est nécessaire pour faire tourner le jeu.
+ Si le sacré est trop étoffé ou trop enrobé d’exemples ou de règles profanes, on prend le risque que le jeu soit une usine à gaz ou un jeu-carcan, ou que les joueuses passent à côté du sacré. La transmission totale reste de toute façon une gageure. Les jeux propulsés par l’Apocalypse semblent pourtant s’en rapprocher : ils donnent l’impression que tous les cas de figure ont été prévus. Mais en fait les cas de figures ont juste été restreints, avec la possibilité de faire des actions customisées pour combler les vides : le jeu de rôle reste un jeu incomplet et c’est là tout le challenge de sa transmission.

Pour aller plus loin :

Eugénie, Rédiger un jeu 2, sur JenesuispasMJmais

Pour conclure, j’ai noté que la discussion s’était focalisée sur la rédaction d’un livre de jeu, mais surtout sur la personne qui transmet. Ici, on n’a pas su ce que cherchaient les personnes qui recevaient. On a su comment elles voulaient que les choses soient transmises, pas quelles choses. En cela, des procédés de transmissions plus horizontaux / participatifs / à la carte sont intéressants, tels que les ateliers de Yukiko, Eugénie ou Felondra (sur le fait de présenter son personnage, de jouer l’impact, de jouer en performance, d’improviser…)

Je ressens le besoin de rajouter aujourd’hui une mention personnelle à ce sujet de la transmission si souvent débattu. Je m’inscris, autant que faire se peut, dans une école minimaliste qui consiste à transmettre le maximum d’informations utiles avec le minimum de moyens. C’est mon approche de l’accessibilité, qui s’oppose, je l’admets, à une autre école d’accessibilité qui prône l’abondance de supports pour faciliter le jeu (école par ailleurs à laquelle je tente de souscrire, en produisant des aides de jeu qui viennent compléter le jeu de base à l’intention du public qui pense en avoir besoin).

Cette école minimaliste implique encore plus de se consacrer sur le sacré. Celui-ci doit être bien transmis, et il est important d’omettre certaines choses : ce qui va de soi.
On s’entend, rien ne va vraiment de soi en jeu de rôle, tant nos pratiques s’appuient sur une expérience des joueuses, mais aussi sur toutes les techniques inhérentes au simple langage. Il convient cependant de retrancher de ses explications tout ce qui peut l’être.
Ces allants de soi qui vont passer à la coupe sont de l’ordre :
+ les explications de pourquoi ces règles sont si cool.
+ les stratégies possibles offertes par les règles.
+ les possibilités d’interprétation des règles ou de l’univers.
+ tous les arrangements logistiques qui peuvent être facilement décidés par la table sans que le jeu ne leur prémâche cette partie-là.

Je crée mes jeux ou je les présente en ayant en tête des profils rôlistes particuliers. J’essaye d’imaginer ce qui va de soi pour ces profils et je transmets en fonction, de façon à transmettre l’essentiel. Plus mes profils ciblés sont variés, plus je vais devoir transmettre abondamment, mais demeurent le souci de concision et l’appel au bon sens.

Peut-être que je vais perdre du monde ; peut-être que je les retrouverai avec toutes les aides de jeu et témoignages de jeu en annexe. Peut-être que j’en perdrai beaucoup plus en présentant des énormes pavés d’information non découpés.

Enfin, cette concision offre ce qui me paraît un grand avantage : une marge d’interprétation. Les règles et l’univers deviennent équivoques, ouverts à l’interprétation. Et l’interprétation des joueuses, tant qu’elle n’entame pas mon sacré, est un moteur puissant, facteur d’une émergence forte et d’une expérience adaptée aux joueuses.

Pour aller plus loin :
Valentin T., [v 1.0] Structure, Règles Explicites et Implicites, et Analogie de L’Iceberg, sur Courants Alternatifs
Thomas Munier, L’interprétation, Podcast Outsider

[Vidéo + Article] Thomas Munier, Comment transmettre oralement le jeu de rôle

7 commentaires sur “Jeu de rôle : la transmission, le sacré et ce qui va de soi

  1. Je me demande, si cette « mastication intellectuelle » ne nous eloigne pas du fun… En tout cas ce n’est certainement le genre d’article que je ferai lire à mes potes… Je vous déjà ce qu’ils vont dire… « Borrrrrrring… »

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    1. Alors pour le coup, le sacré n’a ici aucune définition mystique. Le sacré, c’est la part de l’expérience que l’auteur souhaite absolument transmettre à la table. Ceci s’oppose à la part la plus superflue de son propos. Exemple : mon sacré peut être que les joueuses doivent absolument incarner des teletubbies. Peut-être que le fait de savoir s’il y a un MJ ou non, des scénarios ou non, sont des questions superflues et qui peuvent être laissées à la discrétion de la table ou non expliquées.

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