Mana Earth, un monde libre à découvrir

François « Narc » Aubouy est l’auteur du jeu de rôle Mana Earth. Il a bien voulu répondre à mes questions autour de Mana Earth, où nous parlerons des œuvres de longue haleine, des joies et des affres de la création d’un univers, et du concept de jeu de rôle libre et participatif.

Thomas Munier :

Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours ? Tes influences rôlistiques et culturelles ?

François « Narc » Aubouy :

Mes influences rôlistiques sont très traditionnelles. J’ai débuté avec Warhammer, pour mes 13 ans. Puis on m’a offert la même année la quasi complète de Star Wars première édition. Par la suite, j’ai masterisé AD&D, Agone, Nephilim, JRTM, Rolemaster. J’ai également beaucoup joué à Vampire : la Mascarade. Récemment j’ai découvert INS, Feng Shui, L’Appel de Cthulhu. Je suis loin d’être à jour. Durant une bonne dizaine d’années j’ai également pratiqué le jeu de rôle par mails, en tant que joueur et MJ.

Mes influences culturelles sont également assez classiques : de la fantasy avec entre autres Le Seigneur des Anneaux, Les Portes de la Mort, L’Arcane des Épées, de la SF avec entre autres aussi Star Wars, Hypérion, Dune, Fondation, de la BD avec les incontournables Gaston Lagaffe, Astérix, Tintin, Le Génie des Alpages, La Rubrique à Brac, La Quête de l’Oiseau du Temps, mais aussi les mangas Akira, Ghost in the Shell, Apple Seed, Dragon Ball, Hunter X Hunter. Si je devais choisir un groupe de musique, ce serait Rhapsody. Si je devais choisir un film, ce serait Ghostbusters ou bien Princess Bride, ou alors le Voyage de Chihiro, ou bien Harry P… heu non, Snatch . Si je devais choisir un jeu vidéo, je serais bien embêté… peut-être Monkey Island 2 ou Daggerfall. Voilà pour l’essentiel. Mes références sont vieillissantes, mais je suis dans une période de ma vie où je dispose de moins de temps et d’énergie à consacrer à la culture.

 

TM :

Le premier sentiment qui me vient sur Mana Earth, c’est celui d’une certaine naïveté, de héros candides qui se battent pour le bien. Est-ce que j’ai bon ?

FNA :

Non, pas du tout en fait. Si c’est cela qui ressort de la lecture de Mana Earth, j’ai raté quelque chose. Les personnages de Mana Earth peuvent effectivement devenir des héros qui se battent pour le bien : c’est sûrement vers quoi tendrait un groupe de joueurs adolescents. Mon objectif était de faire un jeu d’aventure qui prendrait de la profondeur au fil des parties, ouvrant des questions sur les énergies qui régissent l’univers et les personnages. Le jeu n’est absolument pas manichéen. Les deux organisations secrètes s’affrontant sur Terre en sont un bon exemple : elles défendent chacune leurs intérêts, à leur manière.

 

TM :

Peux-tu nous parler des mécanismes de jeu ? Ils me semblent qu’elles donnent la part belle à la narration !

FNA :

C’est effectivement le cas. Le cycle de résolution s’appuie sur les différents facteurs (environnementaux, situationnels, psychologiques, liés aux capacités…) qui interviennent dans l’action. Même si des cartes sont à la disposition des joueurs pour faire intervenir le hasard ou influer sur l’interprétation, les actions peuvent être entièrement résolues par la discussion, à partir du moment où tout le monde a à cœur d’interpréter au mieux son personnage, et de faire vivre l’univers et l’histoire.

Je me suis intéressé tard à ce que sont les mécanismes d’un jeu de rôles orienté sur la narration, et je comprends pourquoi certains affirment que Mana Earth n’a pas vraiment de mécanisme de jeu. Je laisserai à chacun la possibilité de construire son propre avis.

TM :

Dès la publication de Mana Earth, tu as placé le projet sous licence Art Libre. Peux-tu nous dire pourquoi tu as pris cette décision et ce que tu attends comme retour ?

FNA :

Plusieurs points m’ont amené à placer Mana Earth sous Licence Art Libre. Premièrement, je n’ai jamais eu l’intention de gagner le moindre sou avec Mana Earth. A côté de cela, je voulais ouvrir la construction de Mana Earth à tous, et qu’elle puisse se faire en toute liberté. Je voulais également offrir aux intéressés ces 20 ans de travail et de réflexion ; tous les documents jamais créés pour Mana Earth sont disponibles sur Google Docs.

A ce jour, les retours sur Mana Earth ont été très peu nombreux et personne ne s’est lancé dans la création de scénarios, de guides, de règles, pour le jeu. Mais il n’est jamais trop tard.

 

TM :

« 600 ans après la Météorite. Des aventuriers sortent des villes et partent à la redécouverte de la Terre. Ils ont tous un potentiel magique à révéler. « . Ce que je retiens du jeu, c’est cette passion de la découverte, que les personnages sont à la fois sur un parcours pionnier et initiatique, et que le MJ va inventer le monde au fur et à mesure que les personnages vont le construire, qu’il a juste un pas d’avance sur eux, ce qui me paraît justifier l’étiquette de jeu de rôle participatif.

Mais c’est ma lecture personnelle, j’y projette un peu de moi-même. J’aurais aimé savoir ce qui t’a poussé à te consacrer à Mana Earth depuis 20 ans. Quelles sont les principaux thèmes que tu as aimé explorer avec tes joueurs ?

FNA :

C’est juste. Un des intérêts du jeu repose sur la découverte de ce qu’est devenue la Terre 600 ans après la Catastrophe, alors que toutes ces années les Terriens ont vécu repliés sur eux-mêmes pour se reconstruire. Mais la curiosité, la soif de connaissance, le désir de s’unir à nouveau avec la Terre, vont pousser les personnages à quitter l’univers confortable et technologique des villes. Cette Terre que les personnages vont découvrir n’est jamais tout à fait la même, car chacun y apporte quelque-chose de différent. Chaque joueur, chaque groupe de joueurs, doit avoir sa propre vision de l’univers. Sans cela, Mana Earth perd quasiment tout son intérêt.

En 600 après la Météorite, tous les terriens acceptent l’existence de la Magie, mais peu nombreux sont ceux qui auront la chance de ressentir cette énergie en soi et de comprendre les subtilités de son essence. Les personnages font partie de ces élus. La quête de la Magie est, à mon sens, le principal intérêt de Mana Earth. Au début du jeu, le MJ a toutes les clefs en sa possession, mais seule la discussion et l’initiation de ses joueurs et de ses personnages lui permettront d’ouvrir toutes les portes.

Tout cela laisse champ libre à la participation. Effectivement, le monde va se construire naturellement, au fil des parties.

J’ai consacré 20 ans à Mana Earth, d’abord parce que c’était mon univers, et aussi parce que je voulais réussir à le partager de façon honorable. Mais je n’ai pas travaillé en continu sur le jeu autant d’années, il y a eu des pauses, des errances.

Les campagnes de test avec les amis, sur table ou par mails, les innombrables discussions sur la Magie, m’ont permis d’avancer sur la création de l’univers. La mise en place du système de jeu a été beaucoup plus compliquée. Je voulais laisser une telle marge de manœuvre à l’interprétation et à la création des sorts qu’aucune règle ne me satisfaisaient vraiment. J’ai fini par créer ce système de jeu un peu effacé, que chaque groupe interprète et complète pour trouver l’équilibre qui lui convient.

TM :

Quels sont tes meilleurs souvenirs ?

FNA :

Les innombrables discussions enflammées sur la Magie font sûrement partie de mes meilleurs souvenirs. Il y a aussi ces quelques semaines début 2002, où mes joueurs de Mana Earth par mails, tellement impliqués dans l’histoire et dans l’interprétation de leur personnage, m’ont envoyé plusieurs centaines de pages Word de mails. Je ne pourrais non plus oublier l’Histoire de Levy, le Mutant Epaulard : 10 ans d’échange de mails avec l’un de mes amis, qui m’ont permis au fil des années d’approfondir l’univers et la Magie de Mana Earth. Sans ce miroir, je n’aurais pu aller aussi loin dans la réflexion. Bien sûr, certaines parties sur table sont également gravées dans ma mémoire.

 

TM :

Qu’est-ce qui, en rédigeant le jeu pour des personnes extérieures, a enrichi ta propre expérience de Mana Earth ?

FNA :

Ce que je vais répondre va paraître bateau, mais le plus difficile a été de rendre intelligible à d’autres ce qui était intuitif pour moi. Ayant reçu très peu de retours sur mon travail, j’ai peut-être d’ailleurs échoué dans cet exercice. Rédiger Mana Earth m’a obligé à mettre à plat mes idées, à les organiser, à réfléchir à ce que pouvait être l’essentiel. Quelqu’un qui lirait le jeu, puis qui prendrait le temps de lire tous les autres documents, mails, textes, écrits un jour sur Mana Earth, réaliserait la quantité incroyable de choses imaginées en 20 ans, par moi, et par la trentaine de personnes qui ont un jour gravité autour du projet.

Pour le moment, je dirais que la rédaction de Mana Earth m’a essentiellement apporté deux choses : ce que j’ai appris en terme de création de site internet et de design (même si j’ai encore une bonne marge de progression dans ces domaines), et la rencontre avec de nombreux passionnés de jeu de rôles. J’ai réalisé à quel point certains d’entre eux sont impliqués et se battent pour faire vivre le jeu de rôles.

TM :

Que dirais-tu à une personne qui a sa propre proposition de jeu, d’univers ou de personnages et cherche quelques conseils pour rédiger et mettre à disposition du public ?

FNA :

Je lui dirais d’être patient mais de ne pas rester aussi longtemps que moi cloîtré dans sa cave. Je lui conseillerais de se cultiver sur ce qu’est le jeu de rôles, de parler avec les gens, de ne pas hésiter à se remettre en question, de se faire connaître avant de diffuser son jeu. Je n’ai pas encore vraiment réussi à savoir ce qui du design, de la qualité de la rédaction, de la force marketing, de l’idée, qu’elle soit géniale ou totalement conventionnelle, est le plus important dans un projet. Ce doit être un savant dosage de tout cela, mais rien n’est à mettre de côté.

 

TM :

Et que dirais-tu à une personne qui serait tentée de baisser les bras parce qu’elle ne reçoit pas autant de retours sur son jeu qu’elle en espérait ? Et à une personne qui n’oserait pas diffuser son jeu parce qu’elle penserait que ça n’intéresse pas assez de monde ?

FNA :

Je vais d’abord prendre la question pour moi. Récemment, j’ai créé un nouveau site pour Mana Earth, j’ai préparé la maquette et le plan d’une seconde version de Mana Earth, plus courte, plus ciblée. J’ai mis en place un « vrai » mécanisme de résolution, basé sur une nouvelle façon de décrire le personnage. J’ai en partie testé ce mécanisme avec mes amis. J’ai également créé une nouvelle fiche de personnage, plus conventionnelle. Malgré tout, je ne saurais dire si je baisse les bras, mais j’éprouve le besoin de faire une pause. Je me relancerai plus tard dans la rédaction de cette seconde version… ou pas. Il y a sûrement une part de déception, accentuée par la difficulté d’être seul sur un projet.

Je m’adresse à la personne qui n’ose pas diffuse son jeu :

« Ne baisse pas les bras mon ami, prends le temps qu’il faut. Même si tu dois laisser ton projet de côté pendant deux ans, vas au bout car ton jeu est sûrement bien. Créer n’est pas à la portée de tout le monde. »

Je m’adresse maintenant à la personne qui serait tentée de baisser les bras :

« Tu dois te poser une question importante : pourquoi ton jeu ne marche-t-il pas ? Les génies restent souvent incompris. Seulement les génies ne sont pas légion… Tu as deux solutions : soit t’accrocher à ton concept et assumer le flop, soit te remettre en question, déterminer ce qui a manqué à ton jeu et te remettre au travail. Tu devras sûrement aller à la rencontre des gens pour ça. »

 

(toutes les illustrations de cet article sont de Laurent Aubouy, sous Licence Art Libre)

 

http://www.mana-earth.com/

2 commentaires sur “Mana Earth, un monde libre à découvrir

  1. Un grand merci pour cet interview, et de l’intérêt que tu as porté à Mana Earth. Tu as tous mes encouragements dans tes projets, et particulièrement pour tes projets libres.

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    1. Merci François ! En fait, ça faisait longtemps que je voulais faire cette interview. Et finalement, quand je me suis décidé, cela ne m’a pris que le temps de te poser quelques questions. Certaines choses mériteraient de ne pas être reportées indéfiniment, alors qu’elles ne prennent que quelques minutes.

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