Deux échecs

Je fais face à deux échecs :

Je suis malheureux parce que je ne réalise pas mon rêve d’être créatif à plein temps. C’est mon premier échec.

Je connais deux solutions à ce problème : la première est d’agir pour changer ma situation, ce que je fais, petit à petit. La deuxième est de me contenter de ce qui est, par la pleine conscience, par la concentration sur le moment présent.

Mais me concentrer sur le moment présent, je n’y arrive pas. Je sais de cœur et de raison que c’est pourtant la meilleure chose à faire. Pourtant, je fais des efforts. Je mange lentement, j’écoute ma respiration, j’écoute les gens parler autour de moi, j’observe les détails de mon bureau, je m’immerge complètement dans la tâche en cours. Les effets sont bénéfiques à court comme à long terme, et des périodes où je l’ai plus pratiqué j’ai retiré de longs mois de sérénité. Mais ça, je ne le fais pas tout le temps. C’est mon deuxième échec.

Quand on n’est pas heureux sans savoir comment résoudre le problème, c’est désespérant. Et quand on n’est pas heureux en sachant exactement quelle est la solution ?

Les moments où je ne suis pas en pleine conscience sont désastreux. Je rumine mon passé, je m’angoisse pour l’avenir, je retourne à mes vieux démons : boulimie, vagabondage sur internet, procrastination.

Derrière ces choses se cachent la peur. Peur de l’inconfort, peur de la douleur, peur de l’échec.

De quoi ai-je peur ? Essentiellement de l’échec. De l’échec à accomplir mon rêve d’être créatif à plein temps. Cette peur me pousse à sortir du présent, à me dérober aux bonnes promesses que j’ai faites à mon corps, à me dérober à mes missions d’époux, d’ami, de salarié… mais aussi de créatif, ou d’hédoniste. Quand je passe une après-midi de boulot à vagabonder sur internet, je ne suis ni engagé dans mon présent de salarié, ni engagé dans mon présent de créatif (tant qu’à faire semblant de travailler, je pourrais aussi bien écrire).

Nous voulons tous réussir notre vie. C’est autant un fait de société qu’une volonté propre. Sartre nous a appris que nous étions maîtres de notre destinée et en même temps Camus nous a appris que la vie n’avait aucun sens.

Je crois que si j’avais moins envie de réussir ma vie et moins peur de ne pas y arriver, je serais plus connecté à moi-même.

Si je me disais un instant : « C’est OK de ne pas être parfait. Ne cherche pas à atteindre telle ou telle espérance. Sois juste totalement en train de vivre ce que tu vis. Ce présent n’est peut-être pas exactement celui que tu voulais, mais c’est le seul que tu as, alors ne cherche pas à le fuir. ».

Réussir sa vie implique de renoncer à vouloir la réussir.

4 commentaires sur “Deux échecs

  1. C’est une fois de plus touchant d’apercevoir par le prisme d’un blog quelqu’un qu’on voudrait pouvoir aider sans le connaître.

    Je n’ai pas la prétention de détenir ce pouvoir, mais tes réflexions me font beaucoup penser à celles exposées dans « The War of Art » de Steven Pressfield. Il parle de ce phénomène de recul qu’éprouve l’esprit face à une tâche créative. Ce livre m’a beaucoup touché, il m’a permis d’aborder le problème de culpabilité de la procrastination sous un jour plus symbolique mais étonnamment plus concret justement.
    Je te le conseille en tout cas (si tu ne l’as pas déjà lu ! :))

    L’autre point que me marque dans tes billets, en particulier les plus récents, c’est cette lutte pour exister malgré le conformisme imposé. Une lutte que je partage. N’y vois pas un jugement, mais je vais te poser exactement la même question qui m’obsède parfois : cette lutte pour réussir à vivre une vie centrée autour d’activités créatives est-elle réellement une aspiration profonde ou résulte-t-elle d’une réaction de survie à la violence du conformisme ?

    En d’autre termes, si la démarche d’avancer vers ce que tu souhaites profondément n’est pas source de joie profonde, est-ce le bon chemin ?
    Ou peut être que la créativité permanente, le doute qu’elle instille, exclue-t-elle le bonheur.
    Peut-on réellement souhaiter autre chose qu’être heureux, finalement ?

    Encore en d’autres termes, peut être que les échecs que tu ressens ne sont que des marqueurs positifs vers la réalisation de ton rêve, caractérisés par ce que Pressfield appelle la Résistance dans son livre. Peu être que tu es simplement en train de mesurer la réussite en cours de ton rêve. Et peut être que le rêve lui-même ne te rend pas totalement heureux ?

    Ce sont évidemment des questions sincères que je me propose de partager avec toi, pas des certitudes plaquées. Mon expérience m’amène à penser que la créativité, vivante et dynamique (-faire- quelque chose impliquant) se nourrit de l’inertie (-recevoir- un moment, un film/jeu/musique). J’implique le travail salarié subordonné dans cette inertie. Et même si je ne défendrais jamais la forme de ce dernier aujourd’hui, l’obligation qu’il représente peut-être source de créativité dormante par le repos de l’âme qu’il instille.

    Je réalise que je dérive.
    Encore une fois mille mercis pour le partage courageux des étapes de ta quête.
    Je suis sûr de ne pas être le seul anonyme touché et concerné par ta démarche.

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    1. Salut Cerambyx, je suis ravi d’avoir de tes nouvelles. Plein de questions intéressantes ! Je vais essayer de répondre pour moi mais aussi en généralisant.
      Ce doute, cette procrastination avant d’aborder une tâche créative, n’est-il pas présent avant toute tâche importante ? Remplir sa mission de salarié, de parent, accéder à des expériences de vie fortes ? Quelle peur se cache derrière cette procrastination ? N’est-ce pas lié à la notion, illusoire, d’échec et de réussite ? Alors si oui, comment en finir avec ces illusions qui nous paralysent ?
      Si tout le monde était créatif, est-ce que ça me séduirait d’être créatif ? Quand on créé, quelle part fait-on pour soi, quelle part fait-on pour les autres, contre les autres ?
      La créativité est-elle le plus court chemin vers le bonheur ? ça n’est pas évident de répondre. Créer, c’est laisser le mental nous submerger. C’est bon si on le fait consciemment et qu’on s’y abandonne complètement, c’est néfaste si on laisse nos pensées créatives toucher en tâche de fond en permanence, quoiqu’on fasse. En théorie, la créativité est une activité auto-réalisatrice, qui est un moyen d’atteindre le flux, et d’atteindre le bonheur. Mais si on crée pour un autre but, comme être célèbre, s’exprimer ou partager avec les autres ? Alors oui, dans ce cas, la créativité est-elle le seul ou le meilleur moyen ?

      Ce qui est compliqué, c’est que le bonheur se base sur deux choses : se contenter de ce que nous vivons dans l’instant présent, et oeuvrer à optimiser nos expériences dans le futur, en apprenant. C’est cette tension permanente entre l’expérience du présent et l’anticipation qui est difficile à équilibrer.

      Sinon, c’est absolument vrai que la créativité se nourrit de l’inertie, du repos de l’esprit. Mais elle est toujours présente dans nos vies, elle n’est pas obligée d’être synonyme de travail alimentaire. Si tu es créatif à plein temps, tu dois quand même faire le ménage, te promener, gérer des papiers, contempler… donc l’inspiration viendra forcément car l’inspiration est partout.

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  2. Très inspirée comme réflexion.
    Moi même je me débats souvent dans des considérations de réussite de vie et de peur par rapport à ce que je voudrais faire et ce que je fais « en vrai ». La vie, c’est pas facile.

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    1. Je ne saurais te contredire. En progressant dans la réflexion, on se dit qu’on a toujours le choix. Cependant, il faut composer avec ce que nous a livré le passé, nos mauvais comme nos bons choix, nos engagements, nos obligations, nos proches. Impossible d’envoyer plaquer tout ça. Pour ce qu’il est possible de changer, il faut passer par le dialogue et la préparation. Pour le reste, ce qui n’est pas de notre ressort, un proche dépendant, une obligation forte, une impossibilité physique, il faut apprendre à se contenter.

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